5 min de temps de lecture 1 déc. 2023
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Seconde année d’application de la taxonomie européenne : enseignements et perspectives 2024

Auteurs
Philippe Aubain

Associate Partner, Climate Change & Sustainability, France

Philippe aide ses clients à intégrer les enjeux environnementaux et sociaux dans leurs activités et stratégies.

Inès Le Goaziou

Senior Manager, Climate Change and Sustainability, France

Faire de la durabilité une opportunité de création de valeur long terme pour les entreprises et la société

5 min de temps de lecture 1 déc. 2023

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Si la taxonomie verte constitue une première brique de la politique européenne en matière de finance durable et de lutte contre le greenwashing, elle doit encore démontrer son efficacité pour financer la transition vers une économie européenne bas carbone.

En résumé :

  • La taxonomie verte européenne est la première brique du plan de finance durable, partie du « Green Deal » européen ;
  • Dans ce nouveau rapport, EY examine la manière dont 320 entreprises européennes adoptent des pratiques de divulgation après la deuxième année d’application de la taxonomie et envisage d’éventuelles améliorations ;
  • L’alignement moyen des KPIs est limité à moins de 15%, avec d’importants écarts entre l’éligibilité et l’alignement.

La Taxonomie verte européenne, deuxième brique du plan de finance durable et du « Green Deal » européens

Présenté en réponse aux accords de Paris, le Green Deal européen a posé les fondations de la politique de l’Union européenne sur la transition écologique. Afin d’atteindre ses objectifs ambitieux de réduction d’émission de gaz à effet de serre notamment, un levier majeur a été identifié : l’orientation des capitaux vers les activités permettant la transition environnementale. La Taxonomie verte européenne est ainsi, après le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), le deuxième texte législatif dans le cadre du plan de Finance Durable sur la transparence des informations extra-financières. Elle doit permettre la qualification homogène et opposable des activités économiques selon leur contribution aux 6 objectifs de l’Union européenne : l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, la préservation de la biodiversité, la transition vers une économie circulaire, la prévention de la pollution et la préservation des ressources en eau.

Une analyse des publications Taxonomie de 320 émetteurs européens de 17 pays

La deuxième édition du baromètre EY a dressé le bilan de la seconde année d’application, par 320 sociétés cotées des indices de 17 pays de l’Union européenne (France, Italie, Allemagne, Espagne, Suède, Finlande, Pays-Bas, Danemark, Autriche, Belgique, Irlande, Grèce, Malte, Pologne, Hongrie, Luxembourg, Slovaquie). Ils confirment les résultats constatés en 2022 sur l’éligibilité et fournit de nouveaux enseignements sur l’alignement des sociétés non financières aux deux objectifs climatiques.

Chiffre d’affaires éligible et aligné : toujours moins du tiers des activités couvertes, avec un alignement moyen inférieur à 10% et de fortes variations sectorielles

En ligne avec les résultats du baromètre EY 2022, la part du chiffre d’affaires éligible aux deux objectifs climatiques est en moyenne de 25% ; la part d’alignement des émetteurs, nouvellement demandée, est limitée à 8% en moyenne, avec un écart type important selon le secteur : selon le secteur d’activité, l’alignement varie entre zéro et 30%, alors que l’éligibilité varie entre 1% et 60%. Les secteurs de la production d’énergie et des mines et métaux présentent les taux d’alignement les plus élevés avec 30% et 21% d’alignement pour 43% et 34% d’éligibilité respectivement. A l’opposé, les secteurs de la santé et la distribution présentent un taux d’alignement nul qui s’explique par des taux d’éligibilité inférieurs à 5%. A noter d’ailleurs que le classement des secteurs peut différer entre l’alignement et l’éligibilité : les deux secteurs de la construction & l’immobilier et de la mobilité présentent des taux d’alignement de 15% et 7% alors que leur taux d’éligibilité était de 60% et 57% respectivement.

Les disparités d’éligibilité et d’alignement entre les différents secteurs découlent de la volonté du législateur européen de se concentrer sur les secteurs les plus émissifs en matière de gaz à effet de serre, du niveau élevé d’exigences de l’UE en matière de transition ainsi que d’une hétérogénéité des critères techniques selon les activités et secteurs.

Part d’investissement aligné : les entreprises investissent aujourd’hui proportionnellement plus dans les activités durables

La part des investissements (« CapEx » au sens des normes comptables) éligibles aux deux premiers objectifs climatiques est en moyenne de 36%, stable par rapport à 2021, et supérieure de 11 points à la part de chiffre d’affaires éligible. Ceci s’explique principalement par la prise en compte d’investissements considérés éligibles « par nature » dans les bâtiments acquis ou loués, les équipements d’énergie renouvelable ainsi que les flottes de véhicules.

Le taux d’alignement moyen est lui de 15%, presque deux fois supérieur à l’alignement du chiffre d’affaires, principalement porté par les investissements soutenant les activités alignées des entreprises du panel, ce qui indique qu’elles investissent donc plus, en proportion, dans les activités les plus durables. A noter que plus de 40% des entreprises du panel ont déclaré 0% de CapEx alignés.

Dépenses éligibles et alignées: une définition restreinte à des postes peu représentatifs des charges d’exploitation

En excluant notamment les dépenses énergétiques et la masse salariale, l’indicateur de dépenses opérationnelles (« OpEx ») est souvent restreint à des postes peu représentatifs des charges d’exploitation. Ainsi, 14% des sociétés européennes étudiées ont choisi d’utiliser le principe d’exemption de matérialité¹ prévu dans le règlement. En France, ce ratio monte également à près d’un sur deux pour les grandes entreprises².

Un décalage d’un an accordé aux entreprises financières

Pour l’exercice 2022, les entreprises financières (banques, assureurs, gestionnaires d'actifs et entreprises d'investissement) ont dû pour la seconde année consécutive déterminer la part éligible de leur portefeuille.

La contribution des banques aux objectifs environnementaux de l'UE est mesurée par le ratio d'actifs verts (GAR), c'est-à-dire des actifs alignés sur la taxonomie. Toutefois, pour l'exercice 2022, les institutions financières n'ont déclaré que les actifs éligibles, ce qui reflète la part du portefeuille de crédit et d'investissement ayant un potentiel de contribution aux objectifs environnementaux. L'éligibilité à la taxonomie, basée sur le chiffre d'affaires et les investissements des contreparties est de 26% en moyenne, avec une variation de 0 % à 55 %. L'exposition aux actifs éligibles comprend principalement les prêts immobiliers aux particuliers et les prêts à la consommation pour les véhicules et la rénovation de bâtiments.

La contribution des assureurs aux objectifs environnementaux de l'UE est mesurée à l'aide de deux mesures :

  1. Les « primes éligibles » reflètent le potentiel de contribution du portefeuille de souscription des assureurs à l'adaptation au changement climatique et sont en moyenne éligibles à hauteur de 48%, comprises entre 2 % et 92 % ;
  2. Les « actifs éligibles » indiquent le potentiel de contribution du portefeuille d'investissement des assureurs aux objectifs environnementaux et vont de 1 % à 39 %, avec une moyenne de 15 % sur la base du chiffre d'affaires des contreparties.

Les actifs éligibles des banques sont relativement plus élevés que ceux des assureurs (26 % contre 15 % en moyenne). Compte tenu des exigences croissantes en matière de reporting d'alignement à la Taxonomie et de la disponibilité de l'information auprès des contreparties, il est vraisemblable que les chiffres des institutions financières continuent de se fiabiliser.

A partir de 2023, les entreprises financières seront tenues de publier des indicateurs reflétant la part de leur portefeuille alignée avec la Taxonomie, en se basant sur la part du chiffre d’affaires et d'investissements alignés de leurs clients.

A noter qu’une révision du règlement SFDR³ est en cours, devant déterminer le rôle qu’aura la Taxonomie dans la qualification durable ou non des produits financiers.

Une mise en application progressive et un élargissement des entreprises soumises à partir de 2024 à concilier avec les besoins des entreprises financières

Pour l’exercice 2023, les entreprises doivent reporter à nouveau les trois indicateurs taxonomiques complets (éligibilité et alignement) relatifs aux deux objectifs climatiques, ainsi que les indicateurs d’éligibilité sur les quatre autres objectifs environnementaux (ressources aquatiques et marines, économie circulaire, pollution et biodiversité) et les nouvelles activités climat selon les nouveaux tableaux détaillés publiés en juin 2023 (cf. annexe II pour les entreprises non financières modifié par l’acte délégué du 13 juin 2023⁴).

Pour l’exercice 2024, les entreprises devront reporter les indicateurs éligibles et alignés complets, sur l’ensemble des activités des six objectifs environnementaux.

A compter des exercices ouverts après le 1er janvier 2024, ce dispositif sera intégré aux obligations de publication déterminées par la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), publiée le 16 décembre 2022. L’exigence de publication des indicateurs Taxonomie sera donc étendue progressivement aux autres sociétés soumises à la CSRD à partir de 2025, en fonction de la taille et de l’organisation de l'entreprise, selon des modalités qui seront précisées lors des transpositions nationales de la directive européenne, attendue en France en décembre 2023.

Autre conséquence de son intégration dans la CSRD, les informations Taxonomie devront également faire l’objet, d’une vérification indépendante explicite⁵.

Cela rapprochera la France des pratiques déjà observées dans d’autres états membres européens tels que l’Espagne ou l’Allemagne, où la vérification des indicateurs taxonomie est déjà quasiment systématique.

Des difficultés d’alignement liées à la fois à un fort niveau d’exigence de performance environnementale et de complexité de démonstration

La deuxième année de mise en œuvre a confirmé les conclusions du rapport de l'année dernière : les entreprises continuent de faire face à de nombreux défis dans la mise en œuvre du règlement.

Ces difficultés découlent non seulement de la nouvelle obligation pour les entreprises non financières de déclarer la proportion d'activités alignées à la Taxonomie de leurs chiffres d'affaires, dépenses d'investissement et d'exploitation, en complément de leur éligibilité, mais, plus encore, de la difficulté d'interpréter certains critères et de collecter les données et informations techniques et spécifiques nécessaires aux évaluations de l'alignement.

Pour répondre aux interrogations des émetteurs, l'UE a publié en mars et décembre 2022, ainsi qu’en juin 2023 des FAQs qui fournissent des réponses aux questions fréquemment posées concernant les obligations d'information pour les émetteurs, l’application de l'Acte délégué sur le climat et les Garanties Minimales. Les entreprises sont néanmoins soumises à plusieurs défis :

  • Des marges d'interprétation : malgré les précisions apportées par la Commission dans les FAQs, des incertitudes ont persisté quant à l'interprétation de certains aspects du règlement sur la taxonomie, menant à des évaluations parfois très disparates au sein de mêmes secteurs ;
  • Respect de la contribution substantielle : au-delà du fort niveau d’exigence des critères de contribution substantielle, nécessaire pour assurer la transition de l’UE vers une économie bas carbone, certaines entreprises ont été confrontées à l’absence d’informations suffisantes pour évaluer leur alignement (informations disponibles insuffisamment granulaires, absence de benchmark officiel, absence d’information de la part de tiers) ;
  • Evaluation du respect des critères « Ne pas causer de préjudice important », dits DNSH (« Do No Significant Harm ») : quand bien même certains critères DNSH relèvent de règlementations européennes existantes, d’autres sont plus ambitieux et deviennent même un élément limitant l’alignement du fait fort du niveau d’exigence de performance, parfois associé à la difficulté d’obtention de l’information très granulaire demandée, peu suivie jusqu’à présent par les entreprises ;
  • Garanties minimales : l'exigence de l'article 18 du règlement a suscité plusieurs doutes quant à ce qui devrait être considéré comme un « minimum » en termes de garanties, en particulier hors Union européenne, dans les pays ou le cadre social est très différent.

On s'attend à ce que la réglementation évolue encore au cours des prochaines années, ce qui obligera également les entreprises à effectuer des évaluations périodiques pour refléter les changements réglementaires.

On notera également que les régulateurs nationaux, dont l’AMF, et le régulateur Européen, l’ESMA, sont particulièrement attentifs à la manière dont les émetteurs appliquent le Règlement Taxonomie en conformité avec les exigences règlementaires et encouragent les entreprises à faire preuve de transparence dans leurs choix méthodologiques et d’interprétation.

Perspectives et évolutions attendues de la Taxonomie

Malgré le défi que constitue pour les émetteurs de publier les informations exigées par la Taxonomie, ces exigences constituent des opportunités au-delà de la conformité :

  • Une convergence des pratiques de reporting financières et extra-financière, plus largement permise par la CSRD, permettant d’améliorer le niveau de confiance des parties prenantes ;
  • Un accès à des options de financement plus avantageuses, comme les Green ou Sustainable Funds ;
  • Une image et réputation positive, attirant des consommateurs, partenaires et investisseurs sensibles aux enjeux environnementaux ;
  • Une création de valeur long-terme, plus résiliente ;
  • Une meilleure rétention des talents, dans un contexte où les employés valorisent les entreprises s’engageant pour la transition.

Par ailleurs, on peut s’attendre à ce que le type d’arbitrages appliqués au niveau européen entre besoins des émetteurs et ceux des investisseurs dans le cadre de la CSRD aient des implication en matière d’exigences liées à la Taxonomie. Cela pourrait permettre d’envisager une approche plus pragmatique, forte des enseignements des premières années d’application.

  • Sources

    1. Source : Acte délégué 2021/2178 de la Commission, Annexe I, paragraphe 1.1.3.2
    2. EY Research, 2023
    3. SFDR - Règlement (UE) 2019/2088 du Parlement Européen et du Conseil du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers
    4. Règlement délégué (UE) 2021/2178 de la Commission et son Annexe II (modèles de tableau), récemment amendés par l’acte délégué adopté par la Commission européenne en juin 2023
    5. « (…) le rapport d'assurance sur le rapport de durabilité de l’entreprise comprenne "une mention concernant [...] la conformité aux exigences de l'article 8 du règlement (UE 2020/852)" en matière de taxonomie » - Amendement n°10 à la directive 2013/34/EU selon la CSRD européenne en novembre 2022, p.73

 

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Ce qu'il faut retenir

Alors que l'UE s'efforce de se transformer en une économie moderne, efficace dans l'utilisation des ressources et compétitive, avec des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d'ici 2050, le Règlement sur la Taxonomie verte a vocation à devenir un élément clé de décision des investisseurs.

Les résultats du deuxième Baromètre de la taxonomie européenne d'EY révèlent les améliorations et clarifications possibles sur la collecte d’informations et le processus lui-même afin d’aboutir à une identification des activités des entreprises qui contribuent réellement à l'atteinte des objectifs environnementaux de l'UE.

A propos de cet article

Auteurs
Philippe Aubain

Associate Partner, Climate Change & Sustainability, France

Philippe aide ses clients à intégrer les enjeux environnementaux et sociaux dans leurs activités et stratégies.

Inès Le Goaziou

Senior Manager, Climate Change and Sustainability, France

Faire de la durabilité une opportunité de création de valeur long terme pour les entreprises et la société