15 Jul 2020
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2020 : les débuts de l’assurance du futur

By Brice Bultot

EY Luxembourg Partner, Insurance Leader

Passionate about Luxembourg's insurance market. Trusted Regulatory and Audit Partner. Married and happy father of two. Interested in golf, cricket. Active in the field of education.

15 Jul 2020
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Les oracles de l’assurance avaient prévu une année 2020 marquée par une accalmie relative – notamment dans le domaine réglementaire.

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Les assureurs avaient donc logiquement prévu de dédier leur énergie à des enjeux stratégiques, notamment via des réflexions sur la digitalisation, l’expérience client ou encore la finance durable.

Une dynamique ambitieuse en parallèle des efforts importants déjà consentis dans les projets liés à la norme IFRS 17. 

La pandémie Covid-19 est venue troubler cette marche vers un renouveau de l’Assurance. Un aléa qui continue de provoquer une redistribution particulière des priorités.

Afin de faire face à la déstabilisation généralisée du deuxième trimestre de 2020, les assureurs se sont concentrés, à juste titre, sur les besoins de leurs assurés, de leurs intermédiaires, mais aussi de leurs employés.

Si le marché luxembourgeois semble contenir la crise à court terme, les acteurs locaux ne sont pas exempts des défis qui s’imposent aux assureurs au niveau mondial.

Et même au-delà, ce sont les opportunités sur le long terme qui se jouent aujourd’hui.

Un premier bilan des influences du Covid sur le secteur global de l’assurance.

Une étude économique conduite au cours du mois de mai 2020 projette l’exposition des assureurs aux conséquences du Covid à USD 203 Milliards – soit un équivalent pour eux de deux « 11 septembre ». Cette étude met surtout en évidence que ce montant record résulte d’une combinaison de revers qui rend cette crise unique pour l’Assurance au niveau mondial : une prévision de pertes techniques à USD 107 Milliards, auxquelles vient s’ajouter une perte de valeur sur les actifs des assureurs projetée à USD 96 milliards

La tendance du marché local.

Prévoyant, le Commissariat aux Assurances a titré son communiqué de presse du 8 mai 2020 « un premier trimestre sous le signe de Covid ? ». Le bilan que le régulateur tire de ce premier trimestre fait surtout état de la fin (déjà annoncée) des produits d’assurance vie à taux garanti et de la croissance encore soutenue des assureurs non-vie, aussi bien sur le marché local qu’à l’international.

Les compagnies établies au Luxembourg semblent contenir les effets immédiats de la crise et en sont même, pour certaines, à réfléchir à une adaptation de leurs modèles opérationnels et d’interactions avec leurs clients.

Les acteurs du secteur qui veulent sortir plus forts de la crise du Covid doivent se pencher sur la résolution d’une équation qui combine :

-        L’évaluation de la performance dans le traitement de la situation de crise,

-        Un (re)positionnement clair d’une stratégie de croissance orientée client,

-        L’identification des opportunités dans lesquelles investir, à partir du bilan des forces et faiblesses des modèles opérationnels qui ont été mis sous stress.

Imaginer les tendances de croissance à long terme et le potentiel en affaires nouvelles est certainement prématuré dans une donne qu’on sait durablement chamboulée.

Cependant, tous les éléments sont déjà entre les mains des assureurs ; comme s’ils avaient été révélés par les dispositifs mis en place dans l’urgence.

Un accélérateur vers l’assurance de demain.

 

L’ensemble des acteurs a pu constater que la situation particulière des derniers mois a précipité l’évolution des attentes des assurés.

Pour l’illustrer, la vision futuriste du tout digital s’est révélée du domaine du souhaitable, dans de nombreuses situations où se rendre à un guichet n’avait plus rien de normal.

En s’intéressant par exemple à la question de la vente à distance, les assureurs ont dû constater que les pratiques, infrastructures et chaînes de valeurs n’étaient pas systématiquement au niveau souhaité.

Plus largement, des réflexions de fond sur l’interface client se sont engagées de manière profonde chez certains acteurs. Avec l’anticipation d’une évolution accélérée des comportements des clients vers une exigence d’instantanéité, de spécificité et de plus-value.

D’autant que les Insurtechs ou autres géants du numérique, attendent de saisir leur chance pour concurrencer les modèles traditionnels de l’assurance.  Ils peuvent compter sur un contexte d’autant plus propice qu’il est sous tension. Une période de crise est souvent sujette à la revue critique des couvertures d’assurance et comparaisons des tarifs, surtout pour les entreprises. Une tendance qui sera exacerbée par certaines situations où des exclusions de garantie ont été exercées, faute à la situation de Pandémie

Effet collatéral du tout à distance, le « Cyber » est remonté tout en haut des cartographies des Risk Managers. L’industrie s’était déjà penchée sur la conception de produits dédiés, la généralisation du travail à distance, notamment dans les activités financières, enrichissant les modèles et précipitant très certainement les souscriptions.

Les compagnies d’assurance n’ont pas échappé à l’adaptation forcée de la structure de back office et à la mise à l’épreuve des systèmes informatiques.

Ce fut le cas notamment pour les directions financières et les départements actuariels qui ont dû stabiliser des processus de clôture et de reporting « virtuels », tout en s’appuyant sur un système de contrôle interne qui n’a pas eu le temps de s’adapter à ce modèle.

Un redéploiement probable des ressources, humaines et technologiques se profile. Dans les projets de transformation, l’automatisation de certaines tâches et contrôles a récemment basculé du « nice to » au « must have »

Une réflexion sur l’actuariat de demain

 

Emile de Girardin disait il y a plus de 100 ans « Gouverner, c'est prévoir ; et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte ». Prévoir ou prédire est l’un des aspects du métier d’actuaire. Ces prédictions se limitent à des flux financiers, souvent à des montants de sinistre. Ce qu’on appelle prédiction est en général une observation du passé dont on suppose qu’elle va se reproduire à l’avenir.

Par exemple, une table de mortalité émane de statistiques basées sur des données étalées sur plusieurs années passées. Certes, on peut l’affiner mais elle reste le support pour le provisionnement ou la tarification actuelle.

Les assurances disposent de données historiques suffisantes et lisibles ; d’une statistique plutôt fiable.

Les affaires sont rentables. Si c'est rentable pourquoi faire plus ? Mais non, il faut prévoir, anticiper le comportement des preneurs d’assurance.

En général les habitudes, les mutations sociétales et les comportements changent progressivement.

On peut donc une fois de plus observer le présent et repérer les indices nous permettant d’appréhender la tendance future. Les GAFAM nous ont montré qu’avec des données on connaît suffisamment bien les individus et l’on peut donc améliorer sa stratégie avec pour objectif par exemple d'accroître son chiffre d’affaires ou d’améliorer son produit.

Bien sûr l’assurance doit être rentable pour exister mais elle se différencie des autres secteurs par une composante éthique indéniable. En effet, les risques sont souvent humains, matériels ou les deux en même temps. Le champ lexical des garanties d’assurance reflète le quotidien des gestionnaires et des clients sinistrés (ne pourrait-on pas les appeler « patients » ?) « décès, obsèques, rente de survie, pension, sinistre, dommage, invalidité, incapacité, dépendance ». Inévitablement, la mutation doit s’accompagner de réflexions éthiques.

L’automatisation et les intelligences artificielles dans le futur quotidien de l’actuaire

Dans un futur très proche, une grande partie des étapes de la chaîne de production de l’assurance sera automatisée. Ce n’est pas une prédiction, c’est un fait : La RPA (Robotic Process Automation) permet déjà de réaliser certaines tâches de façon autonome.

Au sein de chaque étape de la chaîne de production, de chaque service et de chaque département des mutations vont s’opérer pour s’intégrer dans le processus plus global qui tend vers l’automatisation.

On pourrait alors imaginer le process « déclaration de sinistre » suivant : Avec une simple photo d’une voiture accidentée suite à un sinistre, une estimation du coût est déduite par une intelligence artificielle (tel un réseau de neurones par exemple). Le montant de sinistre est alimenté dans les bases de données de l’assurance qui opère le paiement à l’assuré sur base des garanties souscrites. A la fin de l’année l’outil de prédiction de sinistres est en marche (en général déjà automatisé par l’actuaire en charge). Les montants de sinistres payés et les montants de provision sont alimentés dans les comptes selon les différentes normes et les multiples reportings réglementaires et groupes. Une intelligence artificielle bien implémentée fait ressortir une nouvelle segmentation des assurés pour affiner le provisionnement et la tarification. Certains prototypes en cours de développement permettent de réaliser cela.

Au sein de ce processus, l’actuariat doit s’intégrer tout comme les autres services.

La « data » sera la pierre angulaire de la mutation de l’actuariat. Ces dernières années nous avons vu apparaître de nouvelles méthodes et des nouveaux concepts : Big data, machine learning, intelligence artificielle, réseaux de neurones. Ces méthodes permettent de rentabiliser la data au maximum, faire germer des informations et relever des tendances que l’on n'observe pas avec les méthodes plus classiques.

L’actuaire, ou « ingénieur en assurance » est défini comme suit par le Larousse : « Spécialiste de l'application du calcul des probabilités et de la statistique aux questions de prévoyance sociale, d'assurances et de finances ».

Si on devait transposer cette définition dans le futur on pourrait ajouter à « probabilité » et « statistique» les concepts de « data mining », « machine learning » et « d’intelligence artificielle ». Il y aurait alors plus de données (par exemple grâce aux objets connectés dans nos maisons, nos véhicules et sur notre poignet), des nouvelles méthodes de modélisation avec plus de variables explicatives et plus de puissance de calculs pour faire tourner les modèles. A priori, ce n’est pas si disruptif que ça si les personnes concernées sont formées et possèdent les bons outils.

Aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, l’actuaire n’est pas ce grand mathématicien que l’on imagine dans son bureau avec un tableau rempli de formules incompréhensibles en lettres grecques et chiffres arabes. En plus d’être un expert de la tarification et du provisionnement en normes locales, l’actuaire est un expert des normes prudentielles et comptables (Solvabilité 2 et bientôt IFRS 17). En regardant les montants investis par les compagnies d’assurances dans ces deux sujets on en mesure l’importance.

La tarification devra s’adapter à la nouvelle demande des assurés avec peut-être une prime adaptée à leur profil de risque réel et évolutif. C’est donc une assurance sur mesure, dont la prime dépendrait aussi du temps d’exposition au risque « pay as you go » (ne payer que ce que vous consommez) que l’on voit déjà en assurance automobile. Un nouveau type de « data » va émerger. L’actuaire va pouvoir jongler avec les nouveaux modèles pour affiner ses prédictions et faire gagner en compétitivité à son employeur.

Une période pivot pour les projets IFRS 17 ?

IFRS 17 n’est pas encore en application, mais les troupes sont déjà fortement mobilisées. Au cœur de cette norme, la « data » a une importance particulière. Il ne s’agit pas là de mettre à jour ses formules de calcul dans Excel, mais de retravailler les données à leur genèse avant de pouvoir implémenter les nouveaux concepts d’IFRS 17. La granularité (ou maille de calcul) imposée par le standard est inédite, les polices d’assurance devront être classifiées par portefeuille, par profitabilité, et par cohorte. Ces trois notions sont définies par le standard et font l’objet d’études approfondies.

Les compagnies d’assurance n’ont pas les systèmes pour emmagasiner une telle quantité de données et à un tel niveau de détail.

Une simple migration vers un nouvel outil ne suffira pas, il faudra se rapprocher au plus près de la donnée et mettre en place l’infrastructure nécessaire et la puissance de calcul associée.

« Faire ce qu’il faut » : la nouvelle mission des assureurs ?

A travers la crise, le secteur de l’assurance réfléchit à sa mission fondamentale : protéger les individus, les entreprises et les collectivités.

La responsabilité sociétale, c’est justement l’unité de mesure avec laquelle la société va juger la contribution des assureurs dans la phase de relance que tout le monde espère.

Un des premiers signaux a été négatif : les exclusions de garantie pour cause de pandémie – notamment dans le cadre des couvertures en pertes d’exploitation ou annulation d’évènements.

Certains assurés ont décrié ce principe, au milieu d’une situation de fébrilité généralisée dans laquelle chacun se demandait qui aller pouvoir payer.

Mais les assureurs ont conscience qu’ils sont attendus et assumeront leur mission « d’institutionnels »

Un rôle qu’on perçoit déjà au niveau local lorsque le Ministère des Finances communique sur son plan d’émission obligataire en vue de financer la lutte contre la pandémie du COVID-19: «  Faisant preuve de solidarité nationale en temps de crise, les investisseurs institutionnels luxembourgeois, dont notamment le secteur local de l'assurance, représentent pratiquement un quart des souscriptions à l'emprunt obligataire ».

« Faire ce qu’il faut », voilà peut-être ce qui va constituer dès aujourd’hui les fondations de l’Assurance du futur. 

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« Faire ce qu’il faut », voilà peut-être ce qui va constituer dès aujourd’hui les fondations de l’Assurance du futur. Article publié dans l'AGEFI Luxembourg de Juillet 2020.

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