4 minute read 17 Nov 2020
L’évaluation d’entreprise, art ou science ?

L’évaluation d’entreprise, art ou science ?

Authors
Laurent Capolaghi

EY Luxembourg Partner, Private Equity Leader

Entrepreneur, passionate and keen to assist our clients navigating the changing landscape of Private Equity.

Marie-Laure Mounguia

EY Luxembourg Private Equity and Private Debt Partner

Extensive experience in Private Equity and Private Debt. CFA charter-holder and Réviseur d’Entreprises. Co-chair of the LPEA Private Debt Technical Committee. Practicing yoga and hiking.

4 minute read 17 Nov 2020
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Alors que les esprits se sont échauffés autour des élections américaines, nous vous proposons ce mois-ci un aparté sur le thème des évaluations d’entreprises dans le monde du Private Equity. 

P
lus concrètement, nous évoquons dans cet article les réponses apportées par les lignes directrices actuelles telles que les International Private Equity and Venture Capital Valuation Guidelines (« IPEV Guidelines ») et celles de l’américaine Association of International Certified Professional Accountants (« AICPA ») face aux enjeux de détermination d’une juste valeur. Pourquoi l’industrie oscille-t-elle entre adoption et rejet de ces recommandations ?

Quels enjeux se cachent derrière une juste valeur ?

La détermination de la juste valeur d’une entreprise via l’application de modèles d’évaluation cache plusieurs enjeux. Le premier enjeu est la qualité de l’information financière et en particulier la comparabilité de cette information entre les fonds d’investissement. Les investisseurs sont friands d’informations financières fiables afin d’évaluer et de comparer les performances, et ce tout au long de la vie des fonds, sans attendre la liquidation du portefeuille d’investissements. La difficulté dans le monde non-coté est que la plus-value réalisée sur un investissement n’est véritablement connue qu’au moment d’en sortir. Avant cela, il n’existe pas de cotation ou de prix de marché public. Les investisseurs doivent donc se fier à l’information que les gérants de fonds acceptent de leur fournir. En cela, les investisseurs rejoignent les régulateurs dans leur demande de transparence et d’harmonisation de la donnée financière. Les gérants, dont ceux qui ne se sont pas encore fait un nom, pourraient aussi y gagner en crédibilisant leur communication marketing et en permettant une supervision des risques de l’industrie plus affinée. Le deuxième enjeu de l’évaluation d’entreprise est celui de la détermination du prix de marché. Indispensable à toute décision d’investissement, la détermination d’un prix juste est au cœur de toute négociation précédant une transaction. C’est là une grande différence avec l’investissement coté, ce dernier devant prendre la cotation telle qu’elle est. L’acheteur à lui seul n’a en principe pas d’influence sur le prix de marché. Ce sont les forces collectives des demandes et des offres qui créent le marché. Dans l’investissement alternatif, le prix de marché ne tient souvent qu’à une seule transaction, l’acheteur et le vendeur faisant le marché. La détermination de ce prix est alors extrêmement sensible au contexte et aux circonstances particulières de chacune des parties, telles que l’horizon d’investissement, la stratégie du fonds, la rapidité de déploiement du capital et bien d’autres facteurs. Pourtant, ce prix ainsi déterminé sera un ancrage fort pour toute évaluation ultérieure de l’investissement et servira parfois de point de comparaison à d’autres transactions.

Quelle est la portée des lignes directrices d’évaluation actuelles ?

Les associations telles que l’IPEV ou l’AICPA ont bien compris les enjeux de la détermination de la juste valeur. En proposant un document unique de référence pour l’ensemble de l’industrie, elles ont tenté d’adresser la problématique de la standardisation des évaluations et de leur comparabilité. Ce faisant, elles ont rencontré un écho sans précédent dans le monde du Private Equity. Les investisseurs institutionnels en ont été les premiers défenseurs. En imposant des lignes directrices d’évaluation soumises au contrôle de l’auditeur, ils ont pensé y trouver la solution pour jauger facilement la performance des fonds. A mesure que le Private Equity s’institutionnalisait, les IPEV Guidelines devenaient plus englobantes, tentant d’adresser tout type de classes d’actifs et suivant ainsi la stratégie de diversification des fonds. Pour autant, la frustration n’a pas cessé d’augmenter au sein des fonds de Private Equity, et en particulier ceux positionnés sur des segments tels que la dette privée ou le Venture Capital. En ligne de mire se trouve le pouvoir prédictif des modèles proposés par ces lignes directrices. L’histoire montre que les IPEV Guidelines ont finalement été assez inefficaces à prédire le prix de sortie de certains investissements, notamment lorsque ceux-ci s’éloignent du cas d’école de l’investissement en capital dans une société non-cotée agissant sur un marché mature. 

Pourquoi la comparaison aux marchés cotés est-elle fallacieuse ? 

Investir dans le non-coté est fondamentalement différent de l’investissement en bourse. Lorsqu’un broker émet une recommandation sur une valeur cotée, il détermine son « buy » ou son « sell » sur la base de modèles d’évaluation, tels que ceux recommandés par les IPEV Guidelines. La cotation est alors considérée sous- ou sur-évaluée en comparaison de ce que serait la valeur inhérente de l’actif. Les modèles auraient alors une valeur prédictive de ce que pourrait être le rattrapage attendu du marché. De là, un évaluateur pourrait être tenté d’appliquer la même logique à l’investissement non-coté, à la différence près que le prix de marché est inconnu. Pourtant, le raisonnement du broker nous indique d’abord que la cotation ne reflète pas à chaque instant la valeur inhérente d’une société et que, dans certains cas, les deux valeurs ne se rencontreront jamais. Dès lors, appliquer la méthode des comparables de marché, d’autant plus en utilisant un exercice de calibration à l’entrée, est particulièrement périlleux, puisque le postulat de départ est que la cotation est un indicateur fiable de la valeur inhérente des sociétés. Or, ce qui vient momentanément perturber les bourses est rarement applicable à l’investissement non-coté qui s’inscrit davantage dans la durée. Le deuxième postulat de l’évaluation par les multiples de marché est qu’il existe une corrélation forte entre les variations de valeur du groupe de comparables cotés et celles de la société non-cotée. Si le marché non-coté n’était qu’un miroir des marchés cotés, il n’existerait pas. L’investisseur rationnel investirait dans les actions du groupe de comparables cotés et s’épargnerait les frais de gestion élevés que s’octroient les gérants de Private Equity. Les décotes et primes de liquidité ou d’intérêt minoritaire appliquées dans les modèles sont souvent subjectives et peuvent être difficiles à rapprocher de la réalité. Elles ne permettent pas de capter un élément fondamental de l’investissement non-coté : celui-ci s’inscrit dans une stratégie d’investissement qui permettra d’en révéler la valeur. 

L’importance de la stratégie d’investissement alternatif

L’inadéquation des lignes directrices d’évaluation réside dans leur incapacité à prendre en compte la stratégie d’investissement. Dans le cas d’investissements de type « Buyout », le fonds de Private Equity qui investit une société non-cotée n’est pas un investisseur anonyme. Il a une volonté d’influencer la gestion des opérations dans une perspective de création de valeur fondée sur sa propre expertise de l’industrie. La valeur de l’investissement tient donc tout autant dans les capacités du gérant à réaliser son plan sur le long-terme que dans les qualités de la société. La prise en compte de la stratégie d’investissement est particulièrement pertinente dans le cas des fonds de dette privée. Une stratégie de type « Buy and Hold » sur des instruments de dette devrait se traduire par une évaluation des actifs fondée sur la recouvrabilité des prêts accordés. Le fonds n’ayant aucune intention de sortir des lignes de dettes avant leur échéance, une évaluation qui consisterait à déterminer le prix hypothétique de ces dettes sur le marché secondaire n’apporterait aucune information pertinente quant à la performance du fonds. C’est pourtant ce que recommandent les IPEV Guidelines en calquant l’évaluation à celle des obligations cotées. Ce type de méthode apporte une certaine confusion à l’information financière puisqu’elle permet en théorie d’évaluer des lignes de dettes au-dessus de leur valeur de remboursement, même lorsque ces dettes sont détenues jusqu’à leur maturité.


Laurent Capolaghi
Partner, Private Equity Leader, EY Luxembourg

Marie-Laure Mounguia
Senior Manager, Private Equity, EY Luxembourg 

Summary

C’est en étant péremptoires que des lignes directrices d’évaluation servent le marché du Private Equity, et plus spécifiquement en favorisant la comparabilité des données financières. Si les recommandations existantes ont gardé des zones grises sujettes à interprétation, c’est probablement que leur inadéquation à adresser toutes les situations de l’investissement alternatif avait déjà été pressentie. L’industrie est donc restée sur sa faim et reste aujourd’hui en attente de lignes directrices définies par type de stratégie d’investissement, ce qui permettrait de satisfaire les exigences du marché quant à l’évaluation de la performance des portefeuilles.

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Laurent Capolaghi

EY Luxembourg Partner, Private Equity Leader

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Marie-Laure Mounguia

EY Luxembourg Private Equity and Private Debt Partner

Extensive experience in Private Equity and Private Debt. CFA charter-holder and Réviseur d’Entreprises. Co-chair of the LPEA Private Debt Technical Committee. Practicing yoga and hiking.

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