3 minute read 20 Dec 2021
La fin des aides gouvernementales signe-t-elle le retour des fonds de retournement ?

La fin des aides gouvernementales signe-t-elle le retour des fonds de retournement ?

Authors
Laurent Capolaghi

EY Luxembourg Partner, Private Equity Leader

Entrepreneur, passionate and keen to assist our clients navigating the changing landscape of Private Equity.

Clément Julien

EY Luxembourg Assurance Private Equity Real Estate Partner

External auditor but not only. Teaching from time to time at University of Luxembourg and always in for a chat around cycling.

Julien Dubar

Senior Manager, Private Equity, EY Luxembourg

3 minute read 20 Dec 2021
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L’histoire des crises économiques ou financières a vu l’émergence de fonds d’investissements appliquant des stratégies dites « special situations » ou « distressed » et se substituant au mode de financement traditionnel des banques, alors grippées : explications et débats sur cette stratégie d’investissement largement méconnue. 

Pourquoi cette stratégie est-elle utile au système financier ? 

Cette stratégie d’investissement consiste à identifier des entreprises en pleine crise de liquidité afin d’investir sous forme de dette, ou bien même de racheter à bas prix des créances dont le débiteur est en défaut de paiement ou proche de la faillite, avant de les restructurer. Lors de la crise des « sub-primes » par exemple, les fonds de retournement avaient été les seuls acteurs à apporter de la liquidité en se portant acquéreurs des actifs qualifiés de « toxiques » et dont les institutions financières voulaient se défaire afin de redresser leurs ratios prudentiels. 

Cette stratégie s’est renforcée depuis 2008, suite à l’évolution du cadre réglementaire aux États-Unis, notamment en raison de l’application de la règle Volcker qui a interdit aux banques, alors premiers concurrents des fonds de retournement, d’activités de « trading pour compte propre ». Une évolution règlementaire qui s’est confirmée en Europe puis durcie avant les accords de Bale III en 2010. 

Contrairement aux fonds de capital-risque traditionnels, comme les fonds de « venture capital » ou de « buyout », dont les performances sont positivement corrélées à la croissance économique, cette stratégie a connu ses meilleures performances lors de périodes durant lesquelles l’activité économique a fortement baissé et où l’accès au crédit s’est restreint. 

À titre illustratif, d’après Preqin [1], les fonds de retournement lancés entre 2000 et 2003 puis en 2008 et utilisant la dette comme classe d’actifs principale ont enregistré les taux de rentabilité internes les plus élevés de ce segment (rendement médian compris entre 15% et 22%). 

Plus récemment, ces fonds ont enregistré leur dixième mois consécutif de hausse en juillet 2021, présentant un gain cumulé de 11,45% [2], le plus élevé sur une telle période depuis 2009. 

Le rendement absolu et la diversification dans l’allocation stratégique d’actifs pour les investisseurs, qui permet de lisser leur retour sur investissement à travers les cycles économiques, ne sont pas les seuls atouts. En apportant de la liquidité dans des cycles économiques contraints, les stratégies de retournement permettent, sur le long terme, de sauvegarder la valeur dans les entreprises dans lesquelles les fonds investissent et d’éviter une faillite et les conséquences sociales qui en découlent. 

L’histoire peut-elle se répéter ? 

Depuis leur apparition dans les années 1980, on distingue deux évènements majeurs qui ont engendré une augmentation significative du nombre de fonds de dettes opportunistes : la crise de la bulle internet des années 2000 et la crise bancaire de 2008, durant lesquelles les montants collectés par ce type de fonds ont battu des records, représentant respectivement 8% et 10% des levées de fonds mondiales sur base d’une étude réalisée par Preqin [3] pour le secteur du capital-risque.

En juillet 2020, au cœur de la pandémie, l’Union Européenne annonçait un vaste plan d’aide européen de plus de 3 milliards d’euros pour la relance économique. La multiplication des confinements et la reprise difficile pour certains secteurs de l’économie a finalement poussé la Commission Européenne à débloquer 3000 milliards d'euros d'aides d'Etat depuis le début de la pandémie. Ces aides se sont traduites par des mesures concrètes comme le chômage partiel, les prêts garantis par l’Etat ou encore la création de fonds de solidarité. Elles ont permis d’apporter une bouffée d’air à plusieurs secteurs comme le secteur aérien. Comme l’a précisé Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence : « Sans une aide publique exceptionnelle, des entreprises autrement viables n'auraient pas survécu ». 

Cependant, cette dernière a récemment présenté le nouveau calendrier du financement de la relance post-Covid par les Etats membres, confirmant ainsi la fin des apports sans limite d’aides publiques par l’Union Européenne à partir de mi-2022. Cette démarche s’inscrit dans le cadre des règles européennes concernant les soutiens financiers aux entreprises par les Etats membres, qui étaient dans le viseur de la Commission avant la crise du Covid. La fin du « quoi qu’il en coûte » pourrait donc être un signe annonciateur de difficultés accrues pour les entreprises qui font encore face à des problèmes de liquidité, pour lesquelles l’activité n’a pas complètement redémarré ou qui n’ont pas réussi à pivoter leur activité selon les nouvelles habitudes des consommateurs. 

Les fonds de retournement sont-ils préparés à intervenir ? 

D’après une étude menée par Preqin [4], en Europe, le capital engagé par les investisseurs mais non encore investi par les gérants des fonds de retournement investissant en produit de dette (le « dry powder ») a cru de 53% durant le premier semestre 2021 dépassant de 12 à 18 milliards d’euros et inversant la tendance décroissante observée depuis 2015. En Amérique du Nord, il a atteint un record en s’établissant à 70 milliards de dollars. 

De nombreux fonds de retournement se sont constitués en 2021, dépassant même les objectifs fixés en termes de levée de fonds : en Europe, le dernier fonds d’un acteur majeur de la gestion d’actifs alternatifs en France a attiré 617 millions d'euros en juillet 2021, soit un montant quatre fois supérieur aux encours du millésime précédent et supérieur de près de 25 % à l'objectif initial. Aux États-Unis, un des principaux leaders du secteur a lancé son 11e fonds de dette distressed avec un niveau d’engagement atteignant les 15,9 milliards de dollars, dépassant l’objectif initial fixé à 15 milliards de dollars et devenant ainsi le plus important fonds dans l’histoire du gérant.

Les investisseurs ne semblent donc pas avoir été refroidis par les soutiens financiers apportés par les États pour contrer le ralentissement économique, et les gérants qui bénéficient de l’expérience acquise lors des crises précédentes semblent prêts à prendre les risques nécessaires. La thèse principale semble être que certaines entreprises, dont l’activité est maintenue grâce aux aides, finiront par faire défaut avant de se tourner vers les acteurs du marché qui seront susceptibles de les soutenir financièrement, avant d’être restructurées.  

Enfin, l’apparition de la cinquième vague de la pandémie COVID, le variant Omicron et les nouvelles mesures sanitaires prévues par les gouvernements européens pourraient freiner la reprise économique amorcée durant l’été et ainsi fragiliser davantage la situation financière de certaines entreprises.

[1] Preqin: Special Report Distressed Private Equity – October 2011

[2] Financial Times: Distressed debt funds sparkle in Covid recovery – August 2021

[3] Preqin: Special Report Distressed Private Equity – October 2011

[4] Preqin: Distressed Debt Dry Powder Jumps as Mega Funds Close – June 2021

Summary

D’après Preqin , les fonds de retournement lancés entre 2000 et 2003 puis en 2008 et utilisant la dette comme classe d’actifs principale ont enregistré les taux de rentabilité internes les plus élevés de ce segment (rendement médian compris entre 15% et 22%). L’histoire peut-elle se répéter ?

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