11 févr. 2022

La décarbonisation : une occasion stratégique de créer de la valeur à long terme

Initialement publié dans le  Canadian Mining Magazine.

Les sociétés du secteur des mines et métaux sont appelées à réduire leur empreinte carbone en apportant de grands changements à la façon dont elles exercent leurs activités et collaborent.

En bref

  • Pourquoi la stratégie de décarbonisation doit‑elle être considérée au même titre que tout autre risque ou occasion stratégique?
  • Les énergies renouvelables constituent l’initiative de réduction des émissions de carbone la plus abordable et efficace.
  • Pourquoi est‑il important de lier les risques et les possibilités relevés à l’analyse de scénarios?
Aborder la décarbonisation comme une occasion stratégique de créer de la valeur à long terme

Dans le processus de transition énergétique, les sociétés du secteur des mines et métaux font face à un scénario à deux volets. Elles doivent d’une part réduire leur empreinte carbone et leurs émissions et d’autre part fournir les minéraux et les matières premières dont les entreprises des secteurs adjacents ont besoin pour faire de même. L’atteinte d’un équilibre entre ces deux objectifs devient de plus en plus complexe. À l’issue de la Conférence des Parties des Nations Unies sur le changement climatique (COP26), les parties prenantes exigent des entreprises qu’elles prennent des mesures concrètes et exercent une pression croissante sur les sociétés canadiennes du secteur des mines et métaux pour qu’elles accélèrent leurs efforts de décarbonisation.

La lutte aux changements climatiques n’a rien de nouveau dans le secteur – la COP26 a cependant mené à une sensibilisation accrue et à un sentiment d’urgence à cet égard. Les répondants au sondage d’EY sur les dix principaux risques et possibilités d’affaires considèrent que les risques liés aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), à la décarbonisation et à l’acceptabilité sociale des activités sont les trois principaux risques pour les entreprises en 2022. Il en ressort que le fait de diriger en incarnant une raison d’être et en plaçant la valeur à long terme et le développement durable au cœur des décisions n’est plus un avantage concurrentiel, mais simplement la façon normale de mener ses activités. Les entreprises qui atteignent leurs cibles climatiques et communiquent ouvertement leurs progrès aux parties prenantes auront une longueur d’avance dans la course à l’obtention de capitaux et de nouveaux actifs.

 À l’inverse, celles qui ne le feront pas risquent non seulement de rater des occasions, mais, pire encore, d’être laissées pour compte. D’après un sondage récent, les investisseurs institutionnels partout dans le monde appuient davantage leurs décisions sur la performance ESG, et 74 % d’entre eux sont plus enclins à se départir d’un placement advenant une mauvaise performance ESG qu’ils ne l’étaient avant la pandémie de COVID‑19. Cette tendance s’est clairement fait entendre lors de la COP26, alors que le Canada s’est engagé à ne plus investir dans la production d’électricité au charbon et à cesser complètement d’utiliser le charbon d’ici 2040.

En plus de mettre fin au financement public du charbon, le gouvernement canadien a exhorté tous les pays à s’entendre sur un système mondial de tarification du carbone, afin que 60 % des émissions mondiales soient assujetties à une taxe sur le carbone d’ici 2030.

Après avoir dépensé plus de 30 billions de dollars américains à l’échelle mondiale en programmes d’aide liés à la COVID‑19, de nombreux gouvernements dans le monde tentent aujourd’hui de générer des revenus. Ainsi, des taxes et des politiques semblables risquent d’être introduites à plus grande échelle. Actuellement, seulement un cinquième des émissions de gaz à effet de serre mondiales est assujetti à un mécanisme de tarification des émissions de carbone, mais cette proportion est appelée à augmenter. Il sera difficile pour les sociétés minières de s’y retrouver dans la réglementation émergente, tant au point de vue de la gestion de la décarbonisation que de la reddition de comptes en matière de cibles climatiques.

Élaborer une stratégie de décarbonisation pragmatique et souple 

La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses sociétés minières se sont engagées à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Cela dit, ces engagements doivent se traduire par des gestes concrets et, à ce jour, peu d’entreprises ont fait les investissements nécessaires pour y parvenir. Pour la plupart, les acteurs du secteur tentent toujours d’établir ce que signifie « zéro émission nette » pour eux et attendent d’avoir des réponses avant d’affecter des capitaux. Or, il n’y a pas de temps à perdre – il faut agir maintenant.

Une stratégie de décarbonisation doit être considérée au même titre que tout autre risque ou occasion stratégique – traitée au niveau du conseil d’administration et de la haute direction et gérée dans le cadre de la stratégie d’affaires globale, plutôt que dans une stratégie sur le climat distincte confiée à une équipe autonome.

Pour y parvenir, il faudra recourir à diverses tactiques, notamment : planifier des scénarios pour les différentes avenues vers un bilan carbone à zéro émission nette, récompenser les comportements favorables au progrès, intégrer les cibles d’émissions aux stratégies d’affectation des capitaux, déterminer le bon moment pour vendre les actifs exposés et utiliser judicieusement des allégements et incitatifs fiscaux ainsi que d’autres types d’instruments financiers. 

 

Tenir compte de tous les champs d’application 

La réduction des émissions des champs d’application 1 et 2 devrait être prioritaire pour les sociétés minières, si elle n’est pas déjà en cours. Il s’agit, respectivement, des émissions directes d’une organisation qui découlent de ses activités ou d’activités sur lesquelles elle exerce un contrôle et des émissions indirectes résultant de la production d’énergie achetée. Pour les sociétés minières, il existe plusieurs possibilités de réduire les émissions des champs d’application 1 et 2 sur place. Les énergies renouvelables – solaire et éolienne par exemple – constituent l’initiative de réduction des émissions de carbone la plus abordable et efficace. Selon les conditions propres au site, elles peuvent réduire considérablement les émissions. De plus, le passage aux énergies renouvelables favorise une utilisation intelligente des terrains aux alentours de la mine.

L’électrification de la flotte de véhicules et le remplacement du diesel par des options de carburant sans carbone dans l’ensemble de la chaîne de valeur offrent également des possibilités de réduction des émissions sur place. À elles seules, ces mesures sont toutefois insuffisantes pour décarboner une mine. En effet, les émissions produites par la transformation, la ventilation, le chauffage, la climatisation et l’alimentation électrique de secours demeurent importantes. Le captage et le stockage du carbone, éventuellement alliés à d’autres méthodes de compensation des émissions, sont nécessaires pour atteindre une cible de zéro émission nette.

C’est toutefois la réduction des émissions du champ d’application 3 qui va réellement changer la donne. Il s’agit des émissions indirectes à l’échelle de la chaîne de valeur, au‑delà de ce que détient l’entreprise. Conséquemment, elles sont plus difficiles à suivre et à réduire. Pour réduire les émissions du champ d’application 3, les sociétés du secteur des mines et métaux devront apporter d’importants changements à la façon dont elles exercent leurs activités, collaborer davantage avec les clients pour décarboner l’ensemble de la chaîne de valeur et communiquer la valeur qu’elles créent pour les parties prenantes. Le dernier jalon vers la décarbonisation pose un grand défi et la collaboration sur le plan des données comporte des limitations potentielles quant à l’exactitude et à l’exhaustivité des données nécessaires à l’atteinte des cibles. Pour les sociétés minières, la principale difficulté consistera à inciter et à habiliter toutes les parties de la chaîne de valeur à devenir carboneutres.

Communiquer en toute transparence pour créer une valeur durable

L’automne dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié des propositions en vue d’introduire des obligations d’information en matière de changements climatiques pour les sociétés ouvertes. Ces propositions sont en phase avec les normes établies par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC). Parallèlement, la Securities and Exchange Commission des États‑Unis examine des projets de règles concernant la communication obligatoire d’informations sur les risques liés aux changements climatiques pour les sociétés ouvertes. L’entrée en vigueur des nouvelles règles est prévue pour le début de 2022.

Les risques liés aux changements climatiques s’imposant à l’ordre du jour, les entreprises doivent se préparer à ajouter les informations relatives aux changements climatiques à l’étendue de leurs audits externes. Bien que le rapport Global Climate Risk Barometer d’EY révèle que les entreprises canadiennes adoptent les recommandations du GIFCC et fournissent des informations plus étoffées relativement à leurs stratégies en matière de changements climatiques et de gouvernance que leurs pairs d’ailleurs dans le monde, il leur reste néanmoins du travail à faire. Un élément se démarque par son absence, c’est‑à‑dire que les risques et les possibilités identifiés ne sont pas liés à l’analyse de scénarios.

Dans le cadre d’information du GIFCC, l’analyse de scénarios constitue une étape de planification cruciale qui permet de passer de la théorie à la mise en œuvre de stratégies concrètes et exécutables. Elle est essentielle pour la divulgation d’informations de premier plan, car les risques liés aux changements climatiques sont intrinsèquement à plus long terme et plus complexes que la plupart des risques d’entreprise habituels. Une analyse rigoureuse des différents scénarios de risques climatiques et un examen attentif des risques et des possibilités que présente le changement climatique pour les activités et l’ensemble du secteur contribueront à la présentation d’informations ESG fiables et significatives du point de vue financier, ce qui aidera les parties prenantes à mieux comprendre leur stratégie de valeur à long terme.

Dans le contexte d’incertitude entourant la nouvelle législation sur les émissions de carbone, les sociétés minières doivent prendre les mesures appropriées afin de répondre à la pression exercée par les parties prenantes pour respecter leurs objectifs climatiques et éviter de s’engager à atteindre des objectifs potentiellement irréalistes. Pour gagner la confiance des investisseurs et, éventuellement, un avantage concurrentiel, elles devront présenter leur feuille de route vers un bilan carbone de zéro émission nette et souligner leurs réussites tout au long de ce parcours.

Résumé

Les sociétés du secteur des mines et métaux devraient commencer à agir conformément à leurs engagements ESG, car des changements à la réglementation sont à prévoir et les exigences de transparence vont s’intensifier. Elles doivent accorder la priorité à la diminution des émissions des champs d’application 1 et 2. Pour ce faire, le passage aux énergies renouvelables est une solution abordable. S’attaquer aux émissions du champ d’application 3 demeurera le grand défi, car celles‑ci ne relèvent pas de l’entreprise. Les entreprises doivent se préparer à présenter de l’information relative aux changements climatiques dans leurs rapports d’audit.

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