5 min de temps de lecture 11 mai 2021
Emilian Popa : Buzz numérique : une opportunité en or pour investir et entreprendre en Afrique

Emilian Popa : Buzz numérique : une opportunité en or pour investir et entreprendre en Afrique

Par EY Alumni

Building a better working world

Le réseau Alumni d’EY en France offre à ses près de 10 000 membres des occasions d’élargir leurs opportunités et expériences futures tout en nourrissant les liens qu’ils ont tissés avec EY.

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« EY, une expérience très structurante, avec des missions variées, pour des clients de tous secteurs et des process différents où j’ai accumulé beaucoup de savoirs. »

Quel a été votre parcours chez EY et qu’en avez-vous retenu ?

J’ai rejoint EY France en 2001. J’y ai travaillé en audit interne pendant sept ans dont cinq passés à l’étranger. J’ai notamment participé à la documentation des processus TCE (Telecoms, Communications and Entertainment) de Business Risk Services, ce qui m’a conduit à visiter les bureaux EY à Cleveland, Los Angeles et San Francisco. J’ai eu la chance également de faire trois expatriations d’un an à New York, Amsterdam et Johannesburg dans le cadre des Global Exchange Programs ou des missions longue durée pour des clients EY. Ma première expérience en Afrique date de 2004 avec une mission d’un an en Angola qui m’a permis de voyager en Angola, au Gabon et au Cameroun.

C’était une expérience très structurante, avec des missions variées, pour des clients de tous secteurs et des process différents où j’ai accumulé beaucoup de savoirs. EY m’a permis de mieux appréhender l’organisation et le fonctionnement d’une entreprise. C’était une excellente préparation pour ce que j’allais faire par la suite et cela fait une grande différence par rapport aux jeunes créateurs d’entreprise.

Vous avez quitté EY en 2008 pour vous lancer dans l’aventure entrepreneuriale ?

J’ai quitté EY en 2008 pour faire un MBA de deux ans, entre la Columbia Business School et la London Business School, en faisant des missions de conseil pour payer mes études. En 2009, j’ai créé ma première entreprise, Twangoo, avec un camarade de classe suisse, sur le même business model que Groupon. Nous l’avons développée dans six pays et rencontré un véritable succès en Afrique du Sud ; c’est ainsi que nous avons vendu cette filiale à Groupon ! J’ai ensuite rejoint Rocket Internet pendant 3 ans pour lancer et développer de nouvelles start-up dans l’e-commerce en Inde, en Chine, en Russie et en Afrique du Sud. Je devais à la fois monter des équipes et des business de A à Z jusqu’à la première vente.

J’ai racheté l’une des start-up que j’avais créée avec Rocket Internet, que j’ai revendue deux ans plus tard pour rejoindre à nouveau Groupon Afrique du Sud en 2014 comme Managing Director.

Mais la structure était devenue trop grosse à mon goût. Alors, en 2015, j’ai rejoint un fonds de capital-risque basé à Londres qui souhaitait créer une filiale en Afrique. Pendant trois ans, j’ai investi 3 à 5 millions de dollars dans des entreprises de technologie en Afrique du Sud, au Kenya, en Egypte et au Nigéria. Une très belle expérience qui m’a permis de connaître encore mieux les rouages d’une entreprise avant de prendre la décision d’y investir.

En 2019, vous décidez de créer Ilara Health à Nairobi. Qu’est-ce qui vous y a conduit ?

Je suis personnellement passionné par le secteur de la santé. En créant Ilara Health, mon objectif était de proposer un mini laboratoire, chez le médecin par exemple, afin qu’il puisse, à côté de la visite médicale classique, faire des tests de sang basiques, des échographies, etc. car il existe très peu de laboratoires en Afrique et, lorsqu’il en existe, les examens y sont très chers.

Cette idée de décentralisation est primordiale dans les pays où toute forme d’infrastructure est généralement inexistante ou défaillante, que ce soit dans l’énergie, le transport, la distribution… Il faut alors ramener une partie de ces services et produits au plus près du consommateur grâce aux nouvelles technologies, car ce sont la décentralisation et la miniaturisation qui permettent de répondre aux besoins des plus démunis.

C’est exactement ce que fait Ilara Health aujourd’hui, dans 250 petites cliniques privées au Kenya, qui en compte 7 000 au total. Dans ce pays, le problème n’est pas l’accès aux soins mais leur qualité. Ilara Health a donc créé des petits centres d’imagerie médicale et laboratoires de 6m² à un coût compétitif au lieu d’un seul gros centre à 1 million d’euros. Nous couvrons aujourd’hui 90 % de la demande des médecins en matière de tests et de diagnostics !

Avec les « licornes » Paystack et Flutterwave, le numérique fait toujours le « buzz » alors que le continent africain manque d’infrastructures de base. Comment expliquer ce qui semble être un paradoxe ?

Le numérique permet de créer de petites infrastructures distribuées, tout simplement. En Afrique, il n’y a pas de banques à chaque coin de rue comme à Paris. Chacun a son téléphone portable et sa banque en ligne dessus, et c’est positif dans des pays où il n’y a ni infrastructure ni banque privée. Pourquoi passer des heures à attendre sur place dans une banque, alors qu’une application sur mon téléphone me permet de faire toutes sortes de transactions partout dans le monde en moins de 20 secondes ?

Cette tendance est en train de se développer partout dans le monde : des services développés pour les marchés émergents apparaissent ensuite dans les pays développés, à moindre coût. C’est ce qu’on appelle la reverse innovation.

Il y a de très belles start-up au Nigéria où les entrepreneurs sont excellents, mais leurs valeurs sont trop élevées contrairement à l’Afrique du Sud où elles sont très basses. Cela tient au fait, selon moi, que beaucoup plus de Nigérians brillants vont faire des études à Harvard ou au MIT et se font repérer par le Y Combinator ou un équivalent. Du coup, la valeur de leur entreprise triple ou quadruple en 6 mois et cette dernière va générer beaucoup d’argent. Les valeurs des start-up kenyanes me semblent plus normales. De plus en plus de Kenyans osent se lancer aujourd’hui, par rapport à il y a encore 5 ans. Quant à l’Afrique du Sud, les gens vivent dans leurs propres écosystème et micro-climat, si bien que les valorisations sont assez basses.

Enfin, l’Egypte, qui connaît depuis deux ans une forte augmentation des investissements dans les start-up, se rapproche du Nigéria.

En Afrique, vous êtes comparativement peu actif dans la zone francophone. Pourquoi cela ?

Parce qu’il faut avoir un business model adapté à des petits marchés ou des petits pays et que je connais mieux le Kenya que l’Afrique francophone. J’ai passé quelque temps à Abidjan, donc si on devait se lancer dans un pays francophone je pense que ce serait la Côte d’Ivoire. Mais, en comparaison, il est vrai qu’il n’y a pas assez d’argent investi dans la zone francophone. Ce que font Proparco et d’autres est intéressant mais ce n’est pas du seed capital.

Le Kenya s’est développé dans les dix dernières années. La Côte d’Ivoire a cinq ans de retard sur le Kenya. Elle avance plus lentement, car il y a moins d’entrepreneurs, moins de gens formés. Pourtant, on disait que c’était le nouveau Rwanda. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est un pays qui a des opportunités dans le secteur du transport, de la santé, et de l’énergie.

Selon les excellents rapports de Disrupt Africa ou Partech, les start-up technologiques de 25 pays africains attirent les investisseurs en capital-risque. Mais 80 % des fonds vont à quatre d’entre eux :  le Nigéria, le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Egypte, car les autres pays sont considérés comme trop petits pour que ça vaille la peine de lever de l’argent pour y créer du business.

Je pense qu’il faut juste trouver un business model adapté à chaque petit pays d’Afrique francophone pour que ça marche et que ces start-up puissent lever des fonds, mais est-ce que le marché lui-même est prêt à lever de l’argent ?

La balance entre start-up et investisseurs reste déséquilibrée. Des initiatives existent, comme celles menées avec les entreprises françaises Proparco ou Orange pour créer des incubateurs, mais cela prend plus de temps par manque d’entrepreneurs, comparé aux USA où des millions de start-up se créent chaque année. Il y a peut-être aussi la peur du risque. Les investissements sont généralement effectués à un stade avancé de développement, auquel peu de start-up arrivent en Afrique.

Quel rôle la diaspora africaine joue-t-elle dans le développement du private equity et des start-up ?

Beaucoup d’Africains quittent leur pays pour étudier en Europe ou aux États-Unis. La plupart d’entre eux choisissent de ne pas revenir et ceux qui le font sont l’exception. Ils ont un excellent profil, très recherché sur le marché local, mais cela reste encore limité. Or nous sommes confrontés régulièrement à des problèmes de recrutement. Le niveau d’enseignement dans les universités kenyanes, par exemple, est encore inadapté à nos besoins mais nous ne pouvons pas compter uniquement sur des expatriés. Il nous faut du personnel local qui connaisse bien le pays.

Concernant les investissements, l’Afrique de l’Est comporte peu de fonds créés par des grands noms de la diaspora. L’Afrique de l’Ouest, en revanche, semble plus avancée dans la participation des investisseurs locaux en capital-risque au sein des start-up.

Tu as investi dans des pays émergents de continents différents. Quelles similitudes et différences as-tu observées ?

Finalement, tous les marchés émergents ont des problématiques similaires d’accès au capital et aux ressources humaines. Et de fragmentation également, parce qu’il n’y a pas d’argent pour monter les infrastructures, sauf peut-être dans le cas particulier de la Chine.

Quand on investit, on s’intéresse à l’entrepreneur, au marché et au business model. Que ce soit en Afrique ou dans certains pays d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est, les problèmes sont les mêmes partout. Et beaucoup de business models reproduisent ce qui se fait en Inde. On dit toujours que l’Afrique est comme l’Inde d’il y a 15 ans.

Mais des différences majeures résident dans la structure et la taille des pays. L’Afrique, par exemple, est un continent qui regroupe 55 pays, avec des cultures et des gouvernements différents avec très peu de coopération entre eux, alors que l’Inde est une entité politique unique. A priori il est donc plus pertinent de créer son entreprise à Bangalore ou à Mumbai, car l’Inde est dotée d’une culture et d'une langue des affaires uniques et d’un marché de très grande envergure.

Donc si le modèle nécessite un marché très significatif, c’est délicat de monter un business au Rwanda, par exemple. On parle toujours de ce pays, parce qu’il est assez développé, organisé, etc. Mais il compte très peu de start-up et peu de gens qui investissent dedans. Parce qu’il n’a que 12 millions d’habitants. A contrario, la même offre et le même business model en Inde ou au Brésil vont s’épanouir rapidement, parce que le marché est beaucoup plus vaste.

Quels seraient tes conseils aux aspirants investisseurs en Afrique ?

Pour identifier les bons entrepreneurs à accompagner, il faut bien connaître le terrain ou avoir un réseau pour les connaître. Il faut être dans les réseaux d’entrepreneurs, aller dans les incubateurs, dans les écoles. L’entrepreneur qui est dans toutes les conférences ne travaille pas ! Pour trouver le bon entrepreneur en early stage, il faut être sur place et en rencontrer beaucoup.

Et puis il faut bien comprendre le business model et le marché car ils varient beaucoup d’un pays à l’autre.

L’Afrique est un continent à regarder de très près, car il compte énormément d’opportunités ! 

Ce qu'il faut retenir

Emilian Popa, investisseur et entrepreneur avec plus de 10 ans d’expérience en Afrique, nous explique pourquoi il a créé sa start-up Ilara Health dont l’objectif est de proposer des mini laboratoires au plus près des patients kenyans. Son entreprise couvre aujourd’hui 90% des demandes des médecins en matière de tests et diagnostics.

Il constate qu’il existe des similitudes et des différences majeures dans les pays émergents en termes d’investissement et nous donne son analyse. 

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