1 oct. 2020
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Peut-on sécuriser le cadre juridique du mécénat de compétences ?

Par Charles Ménard

Avocat Associé, Droit fiscal, Western Europe & Maghreb, France

Responsable de l’activité « relations avec les administrations et assistance à contrôle et contentieuse » pour la région Europe de l’Ouest.

1 oct. 2020
Expertises associées Economie Sociale et Solidaire

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Peut-on sécuriser le cadre juridique du mécénat portant sur le prêt de main d’œuvre de salariés à titre gratuit ? Décryptage de Marie-Pascale Piot, Avocate en Droit social et Charles Ménard, Avocat en Droit fiscal.

Une des propositions du rapport sur « la philanthropie à la française » remis au Premier Ministre en février 2020 par les députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou, prévoit de : « Compléter l’article L8241- 3 du code du travail - L’objectif est de faire en sorte que les prêts de main d’œuvre au bénéfice d’un organisme éligible au mécénat ne donnant lieu à aucun remboursement (mécénat de compétences) soient explicitement considérés comme non lucratif et autorisés. ».

Cela veut-il dire que le mécénat de compétences n’est actuellement pas une situation juridiquement sécurisée ?

Le mécénat de compétences peut être défini comme un don en nature constitué par la mise à disposition gratuite par une entreprise au profit d’un organisme d’intérêt général, des compétences de son personnel.

Du point de vue fiscal, l’article 238 bis, 1 du code général des impôts (CGI) précise que les entreprises peuvent effectuer des dons en nature. Lorsque ces dons en nature prennent la forme d’une prestation non rémunérée, ils doivent être valorisés à leur coût de revient correspondant aux rémunérations et charges sociales y afférentes (BOI-BIC- RICI-20-30-10-20 n° 70). L’article 134 de la loi de finances pour 2020 a précisé que, lorsque le don en nature prend la forme d’une mise à disposition de salariés de l’entreprise, le coût de revient à retenir dans la base de calcul de la réduction d’impôt correspond, pour chaque salarié mis à disposition, à la somme de sa rémunération et des charges sociales y afférentes dans la limite de trois fois le montant du plafond mentionné à l’article L 241-3 du Code de la sécurité sociale (soit 10 284 € mensuel pour 2020).

Dans ce cadre, l’opération de mise à disposition gratuite de personnel ne peut être considérée comme un acte anormal de gestion réalisé par l’entreprise mécène. Concrètement, pour cette dernière, les charges correspondant aux salaires bruts des salariés mis à disposition gratuitement ne constituent pas des charges déductibles pour la détermination de son résultat. Cependant, elle bénéficie d’une réduction d’impôt en contrepartie de son don. Du point de vue de l’organisme bénéficiaire, l’avantage correspondant à la mise à disposition gratuite représente une ressource non lucrative.

De son côté, le code du travail prévoit un cadre juridique en cas de mise à disposition de personnel par une entreprise prêteuse à une entreprise utilisatrice (articles L 8241-1 et suivants). En principe, toute mise à disposition de personnel « à but lucratif » est interdite (et sanctionné comme délit de prêt de main d’œuvre).

En revanche, l’opération de prêt de main d’œuvre qui ne poursuit pas de but lucratif, c’est-à-dire « lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition » (refacturation à « l’euro, l’euro ») est autorisée à condition de respecter un certain formalisme (convention entre organismes et avenant au contrat de travail notamment).

Dans ce contexte, une ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, ratifiée par la loi du 29 mars 2018 − « ordonnance Macron » − est venue ajouter une situation particulière et créé un cadre juridique strict pour la mise à disposition de personnel refacturée en deçà du prix de revient. Ce cadre spécifique qui visait à l’origine à favoriser le prêt de main d’œuvre dans les start-up a été élargi au secteur de l’Economie Sociale et Solidaire.

Ainsi, l’article L. 8241-3 du code du travail met en place un modèle de mise à disposition de personnel « hybride » en vertu duquel une entreprise prêteuse peut refacturer cette mise à disposition en deçà du prix de revient pouvant aller jusqu’à zéro, sous réserve du strict respect des conditions relatives :

  • l’organisme prêteur : entreprises ou entreprises appartenant à un groupe d’au moins 5 000 salariés ;
  • à l’organisme bénéficiaire : « jeunes entreprises qui ont moins de huit ans d’existence au moment de la mise à disposition et petites ou moyennes entreprises de moins de deux cent cinquante salariés » et « personnes morales dont la liste est fixée aux a à g du 1 de l’article 238 bis du code général des impôts » - i.e. : organismes d’intérêt général éligibles au régime fiscal de faveur du mécénat. L’organisme bénéficiaire ne doit pas appartenir au même groupe que l’organisme prêteur ;
  • à l’objectif de l’opération : la mise à disposition doit permettre d’améliorer la qualification de la main- d’œuvre de l’entité d’accueil, de favoriser les transitions professionnelles ou de constituer un partenariat d’affaires ou d’intérêt commun ;
  • et à la durée : la mise à disposition « ne peut excéder deux ans ».

Cet ajout qui aurait pu être l’occasion de donner un cadre clair, homogène et pluridisciplinaire au prêt de main d’œuvre réalisé dans le cadre d’un mécénat de compétences, soulève en fait plusieurs difficultés qui avait été relevées par la députée Cathy Racon-Bouzon à l’occasion d’une question ministérielle (question n°18987 posée le 16 avril 2019)..

En 1er lieu, et même si une réponse a été apportée à la Députée (« les entreprises recourant à des mises à disposition gratuites de leurs collaborateurs dans le cadre du mécénat de compétences bénéficient dorénavant de la sécurité juridique des dispositions de l’article L. 8241- 3 du code du travail » − réponse de la ministre du travail le 23 avril 2019 à la question n°18987 posée le 16 avril 2019 par Mme Cathy Racon-Bouzon), le texte du code du travail dont le non-respect, rappelons-le, est pénalement sanctionné, ne permet pas clairement de couvrir toutes les situations de mécénat (et notamment celles qui ne répondent pas aux conditions de l’article L 8241-3 du Code du travail comme, par exemple, les mises à disposition intra-groupe).

De plus, l’ordonnance Macron n’apporte pas de précisions concernant le traitement juridique, fiscal et comptable du « delta » correspondant à la partie de la mise à disposition ne donnant pas lieu à facturation. Est-ce un don au sens fiscal du terme ? Comment ce delta doit-il être traité fiscalement tant du côté de l’entreprise prêteuse que de l’organisme bénéficiaire ?

A date, il existe un risque fort que le delta mentionné ci-dessus ne puisse être appréhendé comme un « don » consenti par l’entreprise prêteuse éligible au régime fiscal du mécénat. En effet, l’intention purement libérale de l’entreprise prêteuse pourrait être remise en cause dès lors que, pour une même opération de mise à disposition de personnel, elle bénéficie par ailleurs d’un remboursement partiel de la part de l’organisme bénéficiaire des salaires versés au salarié, des charges sociales afférentes et des frais professionnels.

Toutefois, à la lumière des précisions générales apportées par l’article 134 de la loi de finances pour 2020, peut- être est-il possible de considérer que le delta est éligible au régime du mécénat, sous réserve que sa valorisation respecte les prescriptions énoncées par le législateur.

Ainsi, dans certains cas, le mécénat de compétences présente des risques soit sociaux (si les conditions de l’un ou l’autre des articles du code du travail précités ne sont pas respectés), soit fiscaux.

Espérons qu’en attendant la réalisation de la proposition n°25 du rapport précité, les nombreuses entreprises désireuses de recourir au mécénat de compétences (notamment les 17 grandes entreprises françaises dont les dirigeants ont signé un manifeste pour encourager cette pratique en janvier 2019) pourront le faire sans remise en cause du cadre juridique et fiscal favorable.

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Ce qu'il faut retenir

Marie-Pascale Piot et Charles Ménard analysent les derniers points sur le mécénat de compétence, tant du point de vue fiscal que social. 

A propos de cet article

Par Charles Ménard

Avocat Associé, Droit fiscal, Western Europe & Maghreb, France

Responsable de l’activité « relations avec les administrations et assistance à contrôle et contentieuse » pour la région Europe de l’Ouest.