1er Levier
Améliorer le fonctionnement interne de l’État pour devenir une administration plus économe et moins polluante
Pour être crédible dans la promotion et l’accompagnement de la transition écologique et énergétique, l’Etat doit être un acteur exemplaire.
Pour être crédible dans la promotion et l’accompagnement de la transition écologique et énergétique, l’Etat doit être un acteur exemplaire. Aussi, les services publics doivent repenser leur fonctionnement quotidien, en déployant les meilleures pratiques pour réduire leur consommation énergétique et limiter les effets de leurs activités sur l’environnement.
En mars 2020, le Conseil de défense écologique a initié un plan « Services Publics Eco-Responsables » composé de 20 mesures, destiné à instiller la TEE du quotidien au sein des services publics et à mobiliser les agents.
D’autres projets structurants, déployables au sein de tous les services publics, peuvent également être mis en œuvre, comme par exemple une démarche interministérielle de bilan carbone, le renouvellement du parc automobile de l’Etat, la rénovation énergétique des bâtiments de l’Etat, ou encore le développement du Green IT qui constituent des leviers majeurs pour réduire significativement l’émission de GES de l’administration publique.
Bilan carbone dans les ministères
Dans le cadre du plan interministériel « Administration exemplaire 2015-2020 », l’ensemble des Ministères ont été invités à déployer des plans actions pour réduire leur impact environnemental.
Néanmoins, seuls 5 ministères ont réalisé le bilan carbone de leurs administrations, qui sont par ailleurs très divergents en termes de périmètre et de méthode et qui présentent certaines lacunes en données.
Renouvellement du parc automobile de l’Etat
L’Etat compte près de 65 000 véhicules individuels et non militaires. A ce jour, les objectifs fixés par la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015 ne sont pas respectés : les véhicules à faibles émissions (hybrides et électriques) ne représentaient que 22% des renouvellements effectués en 2018 vs. les 50% imposés par la LTECV.
Le parc actuel aura émis en 2020 un équivalent de 178kT CO2 de gaz à effet de serre (en incluant l’impact environnemental de sa fabrication ainsi que de son traitement de fin de vie, répartis sur la durée de vie du véhicule). Sans évolution de la politique de renouvellement du parc automobile de l’Etat, ces émissions représenteront 95kT CO2 eq. en 2035 grâce aux évolutions technologiques permettant de rendre les véhicules moins polluants. Un engagement de l’Etat à respecter la LTECV permettrait de réduire de -12% les émissions en 2035 par rapport à un scénario sans inflexion de la politique de renouvellement de la flotte, tandis qu’un scénario ambitieux (accordant 80% des renouvellements à des véhicules faibles émission hybrides ou électriques) permettrait d’atteindre une réduction de -25% en 2035 par rapport au scénario initial.
Rénovation écologique des bâtiments
L’Etat occupe aujourd’hui un parc immobilier total de 99 millions de m², dont 25 millions de m² de bureaux et 21 millions de m² réservés à l’enseignement. Une estimation macroscopique de la consommation énergétique de ces 46 millions de m² évalue cette dernière à environ 8 300 GWh, représentant des émissions de GES de 290 kT eq. CO2.
Une politique ambitieuse de réduction de l’impact environnemental des bâtiments – à l’image de celle déployée par d’autres organismes, comme Poste Immo – permettrait de cibler une réduction de leur consommation énergétique de -30% (-2 500 GWh) d’ici 2025 et de -40% (-115 kT eq. CO2) des émissions de GES d’ici 2030. Ces ambitions pourraient être atteinte grâce à la mise en place de diverses mesures de gestion durable du parc immobilier : approvisionnement renforcé en électricité « verte » et production d’énergie renouvelable (photovoltaïque, géothermie…), valorisation des déchets de chantiers, bonnes pratiques du quotidien et exploitation responsable, etc.
Green IT dans les secteurs publics
Le Green IT est l’un des principaux leviers qui permettra à l’Etat de réduire son empreinte environnementale et de répondre ainsi pleinement à l’un des axes de la feuille de route interministérielle annoncée lors du colloque numérique et environnement du 8 octobre 2020.
Pour mettre en œuvre une politique de Green IT dans les services publics, l’Etat pourrait déployer une stratégie d’achat responsable (en privilégiant le reconditionnement à l’achat neuf par exemple) et lutter contre l’obsolescence programmée, en renforçant, dans ses critères d’achat, ses exigences en matière d’indice de réparabilité des équipements informatiques, de transparence sur la durée de mise à jour des logiciels d’exploitation, de réemploi et d’accroissement du recyclage.
Par ailleurs, l’Etat pourrait aussi promouvoir la sobriété des usages, notamment l’écoconception des services numériques permettant de réduire l’énergie nécessaire au bon fonctionnement d’une application, et la mise en œuvre de projets d’économies d’énergie tels que le recyclage d’énergie calorifique dans les centres de données (datacenter). La sensibilisation et l’information des agents de l’Etat est aussi de mise pour promouvoir les bons comportements d’achat et d’utilisation du mérique.
2ème Levier
Orienter les politiques publiques par un meilleur ciblage et suivi de la dépense publique
La France, bon élève européen dans la protection de l’environnement.
La France fait partie des pays européens allouant la plus grande part de ses dépenses publiques à la protection de l’environnement (i.e. environ 1,82%) derrière l’Espagne et la Norvège.
Ces dépenses doivent être fléchées vers les politiques les plus prioritaires pour accompagner la TEE (rénovation énergétique des bâtiments, soutien aux transports décarbonés, etc.). De ce point de vue, la décision du gouvernement de consacrer 30 milliards d’euros du plan de relance à l’écologie est une excellente nouvelle.
Cependant, l’Etat ne peut se cantonner à un rôle de guichet de dépenses. Il doit également mettre en place des mesures de suivi complémentaires (fédération et coordination d’acteurs privés, communication auprès des agents économiques, etc.) pour assurer l’efficacité et l’efficience des dépenses engagées.
A cet égard, la politique de rénovation des copropriétés est un exemple probant parmi les plus de 1 000 projets prêts à être déployés à court terme en Europe pour une relance verte et résiliente.
Une politique de rénovation des copropriétés plus musclée
Jusqu’à présent, cette politique était soutenue par des mesures d’incitation financière (CITE / Ma Prime Rénov’, prêts éco PTZ, TVA à taux réduit, certificats d’économie d’énergie, chèque énergie, aides ANAH) et des contraintes règlementaires. Les dernières mesures prises dans le cadre du plan de relance économique vont également en ce sens : extension du nombre de propriétaires pouvant bénéficier de Ma Prime Rénov’, possibilité pour les locataires de « passoires thermiques » de se retourner contre leur propriétaire. Pourtant, les rythmes d’octroi de prestations financières et de rénovations sont régulièrement inférieurs aux attentes du gouvernement et près de 20% du parc résidentiel – soit 7 millions de logements - est encore aujourd’hui composé de « passoires thermiques ».
La raison principale du retard dans la rénovation du parc de logements en France n’est ni le manque de diversité des moyens mis en œuvre, ni l’insuffisance des montants mobilisés par l’Etat, mais bien la mauvaise coordination des nombreux acteurs qui y prennent part (législateur, architectes, entreprises de travaux, organismes d’information, organismes d’aides, etc.), entraînant la mise en place d’un parcours usager long et très complexe à appréhender pour les propriétaires de logements.
Dans ce contexte, la simplification du parcours usager est un levier essentiel de la montée en puissance de la rénovation énergétique. Dans ce cadre, l’Etat doit s’atteler à concevoir une stratégie incitant les ménages à entreprendre des travaux de rénovation globale de leur logement tout en assurant un parcours usager simple et efficace.
3ème Levier
Réguler le fonctionnement des filières économiques, pour inciter les entreprises à prendre plus rapidement le virage de la TEE
Chapter standfirst/teaser* (100 characters & spaces max without photo; 140 characters & spaces max with photo) Le niveau actuel d’endettement des Etats pourrait limiter le recours à la dépense publique pour accélérer la transition énergétique et écologique.
Aggravé par la crise sanitaire et ses conséquences économiques, le niveau actuel d’endettement des Etats pourrait limiter le recours à la dépense publique pour accélérer la TEE. Néanmoins, d’autres leviers existent et peuvent être plus pertinents que la dépense publique pour accompagner la transformation des filières industrielles vers des modes de production bas carbone. De ce point de vue, agir sur toute une filière permet de mobiliser l’appareil de production vers des solutions moins énergivores et moins polluantes.
Les actifs de l’Etat au service de la TEE des entreprises publiques
Dans une ambition similaire, l’Etat pourrait renforcer et/ou réaffirmer les engagements des entreprises au sein desquelles sa participation lui permet de peser. A ce jour, seules certaines entreprises du portefeuille – comme Air France ou EDF– ont pris des engagements « verts » explicites.
Il convient également de s’interroger sur la définition d’un « actif stratégique » pour l’Etat au regard de son portefeuille de participations. Ainsi, un « verdissement » de ce dernier pourrait être envisagé, afin de mieux prendre en comptes les enjeux de la TEE, à l’image des principaux investisseurs privés qui ont commencé à repenser leur portefeuille pour intégrer au mieux ces nouveaux enjeux : JP Morgan a souscris à plus de 10 Md$ d’obligations vertes, la Société Générale s’est engagée à lever 120 Md€ en faveur de la TEE sur 2019-23, etc.)
Les finances au service du verdissement de l’économie
Pour répondre à l’urgence de la transition écologie et énergétique, il existe trois grands défis à relever en matière de finance verte.
D’abord, l’Etat doit faire vivre la stratégie climat ambitieuse qu’il a adoptée pour accompagner la transition écologique des acteurs économiques, mieux orienter l’investissement vers la transition bas-carbone et faire de l’exigence verte un point incontournable des négociations commerciales, comme de ses instruments de financement à l’export. C’est ce que fait la DG Trésor au travers de ses instruments financiers pour soutenir les exportations innovantes et permettre ainsi la valorisation et la réduction de l’impact des déchets sur l’environnement.
Ensuite, il est essentiel pour l’Etat de mobiliser encore davantage la finance au service du verdissement de l’économie, à travers l’épargne des Français ou ses propres obligations assimilables du Trésor (OAT). C’est ainsi qu’elle pourra conforter l'avance de la place financière parisienne en matière de finance verte. N’oublions pas que la France a été le premier Etat au monde à émettre une obligation verte pour une taille de référence, avec le lancement en 2017 de la première OAT verte d’un montant de 7 Md€ pour une maturité de 22 ans. Une démarche pionnière qui a entraîné le lancement d’émissions souveraines vertes dans plusieurs pays du monde. Au-delà du produit de dette qu’est l’OAT verte, l’Etat français doit tenir l’engagement d’évaluer l’impact environnemental de ses politiques publiques dont le financement est adossé à l’OAT verte.
Enfin, il est primordial de renforcer la transparence de la finance verte, et donc la qualité de la donnée extra-financière. C’est ce que rappelle le dernier rapport parlementaire sur le sujet « Choisir une finance verte au service de l’Accord de Paris » qui propose de créer une base de données gratuite en open data pour garantir la transparence et l’accès public de l’information environnementale et sociale.
Les dispositifs d’incitation fiscale permettent de soutenir la TEE de manière durable
La fiscalité constitue le dernier outil majeur à la disposition de l’Etat pour orienter les comportements des agents économiques vers la TEE. Cependant, en France, la part de la fiscalité verte dans le produit total des impôts et cotisations est inférieure à la moyenne des pays de l’UE (5,1% en France vs. 6,1% dans l’UE). Seules quelques taxes (e.g. TICFE, taxe générale sur les activités polluantes), pesant pour environ 32 Md€ de recettes fiscales, sont considérées comme vertes en France. Il apparaît pourtant qu’environ 60% des recettes fiscales en France (soit près de 240 Md€) sont « verdissables », c’est-à-dire que leur assiette peut être constituée par un produit ou service détériorant l’environnement. Par exemple, la TVA et l’impôt sur la fortune immobilière sont « verdissables » puisque le taux de prélèvement peut être proportionné à l’empreinte environnementale des produits et services consommés, dans le cas de la TVA, ou des bâtiments détenus, dans le cas de l’IFI. De même, plusieurs « niches » fiscales sur la TICPE grèvent son rendement budgétaire et avantagent des comportements nuisibles à l’environnement (ex. fiscalité du gazole, exonérations ou taux réduits pour certaines professions). Ainsi, en verdissant la fiscalité, l’administration pourrait contraindre les entreprises et les ménages à adopter des comportements en phase avec la TEE de manière durable. Pour ce faire, l’Etat devrait cibler les taxes à verdir en priorité, définir les critères permettant de verdissement des taxes (émissions de CO2 dans le processus de production des biens et services, empreinte environnementale des bâtiments), fiabiliser les modes de calcul de ces critères et communiquer sur la mise en œuvre de ces dispositifs incitatifs, pour s’assurer de leur prise en compte par les agents économiques.
Il est néanmoins important de retenir que le mouvement des « Gilets Jaunes » a rappelé qu’une telle entreprise ne pouvait se faire sans, d’une part, intégrer une logique de justice fiscale, afin de limiter l’impact sur le prix des biens de première nécessité, et d’autre part, associer étroitement les citoyens sur la priorisation et les critères de ces évolutions fiscales. Enfin, l’Etat devra porter une attention particulière à ce que ces nouvelles mesures n’entravent pas la compétitivité de nos entreprises et industries à l’international.
Répartition des recettes fiscales françaises entre taxes vertes, non vertes et « verdissables », en Md€, en %, 2021
Conclusion
Et maintenant ? Passer de la volonté à la transformation durable
Les idées permettant d’accélérer la transition écologique sont aujourd’hui nombreuses et irriguent les politiques publiques.
Chaque gouvernement va avoir à cœur de transposer les propositions et les attentes des citoyens dans des projets concrets. Mais le rythme de la transition exige le même portage politique et managérial dans chaque organisation que fut celui de la transition numérique il y a quelques années. Changer en même temps les règles et les usages, les modèles économiques et les priorités, nécessite d’initier un agenda de transformation écologique et environnemental dans chaque ministère, opérateur de l’Etat et in fine dans chaque service déconcentré et chaque collectivité locale. Cet agenda s’articule en 3 moments :
- Une étape d’évaluation et de mobilisation, permettant de partager un audit sans concession et de faire remonter constats et attentes des collaborateurs ;
- Une étape de construction d’une stratégie ambitieuse et rationnelle, s’employant à définir une vision globale et un plan de transformation concret et opérationnel ;
- Une phase de mise en œuvre et d’embarquement des managers, des équipes et des usagers visant à ancrer la transition dans les faits, les actes et les mentalités pour avoir l’impact attendu.
Ainsi, la réalisation de l’ambition écologique française doit également s’appuyer sur l’engagement de tous les acteurs publics, dont les niveaux d’avancement sont très hétérogènes. L’expérience d’EY-Parthenon en ce domaine nous permet d’identifier 8 facteurs clés de succès pour la réussite de ces plans de transformation :
- L’évaluation précise de l’empreinte écologique d’un ministère, d’un établissement public, d'un opérateur ou d'une entreprise dont l'Etat est actionnaire afin de partager des chiffres et des thèmes qui ne sont pas habituels aujourd’hui dans les comités de direction publics pour favoriser une meilleure priorisation de l'intervention publique en faveur d'un Etat stratège et économe
- L’embarquement des agents dans le dispositif pour en faire un levier durable de la transformation
- La combinaison de tous les leviers règlementaires, budgétaires et fiscaux pour ne pas se contenter de mesures liées à l’écologie du quotidien
- La réalisation de mesures permettant le développement de l’activité par l’élargissement ou la diversification du cœur de métier de la structure publique, pour que l’écologie soit un facteur de développement économique
- La capitalisation des projets sur l’innovation technologique pour mobiliser les écosystèmes de R&D et les start-ups de la cleantech autour d’une ambition de transformation
- Le pilotage et le suivi du plan de transformation durable avec le même portage politique et managérial qu’un plan de transformation à composante économique ou digital, en renforçant les moyens de coordination interministérielle et en mettant les résultats en perspective avec les engagements de l'Etat pour accélérer la mise en œuvre de la TEE
- La création d’un dialogue annuel sur la question environnementale à tous les échelons de l’organisation (dans les IRP – instances représentatives du personnel – les comités de direction ou avec les tutelles pour les établissements publics)
- L’association des échelons déconcentrés via la déclinaison de plans locaux des services et leur association aux contrats de transition écologique pour que la transition durable ne soit pas un phénomène parisien mais une réalité française demain
Ce qu'il faut retenir
Alors que nous vivons une crise économique et sanitaire de grande ampleur, les prémices d’une autre crise, probablement beaucoup plus durable et profonde se manifestent déjà comme un rappel à l’ordre : épisodes de sécheresse ou au contraire de fortes précipitations, acidification des océans, fonte du permafrost, etc.
La crise écologique liée à l’impact de l’activité humaine sur l’environnement devient un sujet central du débat public.