19 oct. 2021
E-mobilité : la ruée vers l’électrique en 4 questions

E-mobilité : la ruée vers l’électrique en 4 questions

Auteurs
Jérémie Haddad

Associé, Consulting, Customer, Power & Utilities Leader, France

Passionné par la transformation du monde, par la technologie et par le progrès humain. « #Entrepreneur #Energie #Digital ». Magicien à ses heures.

Alexis Gazzo

Associé, Climate Change & Sustainability leader, France

Aider les entreprises et les gouvernements à s'engager dans des stratégies à faible émission de carbone. Créer et protéger la valeur à long terme pour les clients.

19 oct. 2021

Découvrez le point de vue des experts d'EY sur les évolutions à attendre dans un moment décisif pour les transports : le passage des énergies fossiles à l’électrique.

En résumé
  • La transition vers les véhicules électriques va transformer en profondeur le marché automobile.
  • Les réglementations françaises et européennes joueront un rôle critique, en influençant notamment les choix technologiques faits par les constructeurs.
  • La France produit en théorie déjà suffisamment d’électricité pour alimenter 15 millions de véhicules électriques, soit la cible définie en France pour 2040.
  • Le V2G ou Vehicule-to-Grid, système permettant de redistribuer l’énergie des voitures dans le réseau électrique, est promis à un bel avenir.

A l’occasion de la sortie de l’étude "Accelerating fleet electrification in Europe: when does reinventing the wheel make perfect sense ?", Jean-François Belorgey, associé responsable du secteur de la mobilité pour EY en France, Jérémie Haddad, associé responsable du secteur Energie pour l’Europe de l’Ouest et l’Afrique francophone et Alexis Gazzo, associé en charge de la transition énergétique et climatique pour EY en France partagent leurs points de vue sur les évolutions à attendre dans un moment décisif pour les transports : le passage des énergies fossiles à l’électrique.

Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’Union européenne a durci les normes d’émission pour les voitures, camionnettes et les poids lourds et se prépare à renforcer la norme anti-pollution (Euro 7). A quelle évolution s’attendre dans le secteur automobile ?

Jean-François Belorgey : Le secteur automobile s’inscrit dans une logique de transition écologique au long cours, mais à plus brève échéance, ses orientations technologiques sont fortement influencées par les directives adoptées par les réglementations française et européenne. Par le biais du renforcement des mesures anti-pollution (essentiellement les fortes amendes prévues en cas de non-atteinte de la cible de 95 g de CO2, mais également les contrôles renforcés des taux d’ammoniac, de particules fines, etc.), les constructeurs sont fortement incités à se tourner vers l’électrique.

D’ici 2035, l’Union européenne envisage même d’interdire la vente de véhicules neufs utilisant l’essence ou le diesel. Certains pays parmi lesquels la France et le Royaume-Uni ont déjà sauté le pas en inscrivant cette orientation dans les textes de loi. L’interdiction entrera ainsi en application dès 2030 outre-manche, et en 2040 dans l’Hexagone. 

C’est un virage net qui prend la mesure de l’urgence climatique, mais qui, en imposant de facto une solution, l’électrique, ne va pas sans poser question. Notamment si l’on tient compte du coût carbone global de la production, du transport et du recyclage des batteries, mais aussi du développement encore insuffisant des bornes de recharge.

La neutralité carbone est en effet un sujet plus large que les seules émissions de CO2 pendant le roulage d’un véhicule. Les externalités générées par les véhicules électriques devraient aussi y être intégrées, notamment parce que les batteries sont actuellement fabriquées quasi-exclusivement en Asie (des projets d’usines sont toutefois en développement en Europe), que leurs composants incluent des polluants potentiels au moment du recyclage et qu’en faisant fortement appel aux terres rares, elles posent des questions environnementales, mais aussi sociales, en termes de conditions de travail.

Se pose également la question de l’origine de l’électricité (décarbonée ou non) et enfin de la pertinence des technologies électriques prises en compte dans les calculs de la Commission européenne, notamment les véhicules hybrides rechargeables.

Les constructeurs voient donc parfois avec inquiétude se resserrer l’éventail de leurs options de transition, notamment vis-à-vis des efforts qu’ils avaient réalisés pour réduire la consommation de carburant (des possibilités d’arriver à des consommations très faibles, de l’ordre d’un à deux litres aux cent kilomètres ont été évoquées) ou encore de l’opportunité de développer l’hydrogène.

Ceci dit, tout en posant de nombreuses questions, l’électrique est sans doute à court terme la seule solution pour réduire rapidement les émissions produites sur le sol européen par les véhicules.

Alexis Gazzo : Cette transition vers l’électrique va transformer en profondeur le marché automobile. Avec 1,3 million de voitures vendues en 2020 (soit une voiture vendue sur 8), les véhicules électriques représentent déjà 12,5 %[1] du marché en Europe, contre seulement 3 % l’année précédente. Pour mieux se rendre compte du phénomène, il s’agit d’une voiture neuve achetée sur 8. L’Union européenne a fixé un objectif de 35-40 % en 2030 et prévoit que 30 millions de voitures électriques circuleront en Europe en 2030. Cette extension du parc électrique nécessitera non seulement un investissement massif dans la technologie électrique, mais aussi l’installation d’un vaste réseau de stations de recharge. Selon l’Union européenne, 3 millions d’entre elles seront nécessaires pour assurer un maillage suffisant du territoire européen et 20 milliards d’euros d’investissement, pour les faire sortir de terre.

Jérémie Haddad : Dans cette course à l’électrique, tous les segments du marché ne se comporteront pas de la même façon. Les principaux obstacles à l’achat de véhicules pour les particuliers (prix, installation d’une prise à domicile, etc.) ne seront pas les mêmes pour les professionnels. Pressés par la société civile qui souhaite les voir contribuer positivement à la transition énergétique, ils devraient en effet renouveler plus rapidement leur flotte de véhicules que les particuliers. Le mouvement a déjà commencé en France avec Uber par exemple, qui a annoncé un plan très ambitieux d’électrification de sa flotte de VTC : 50 % de ses chauffeurs devront rouler dans des véhicules « zéro émission » en 2025 et 100 % en 2030. Cela s’accompagne d’investissements et de partenariats significatifs pour y arriver : les chauffeurs recevront des aides pour financer leur véhicule électrique et pourront accéder à des tarifs préférentiels chez certains constructeurs en plus d’accéder aux bornes de recharge exploitées par les énergéticiens. Ce mouvement est aussi à l’œuvre dans les administrations publiques. L’UGAP avait lancé un appel d’offres sur le sujet il y a plusieurs années : les flottes de bus de ville sont en cours d’électrification rapide depuis au moins deux ans, et pas seulement à Paris.

La production d’énergie pourra-t-elle suivre si le parc de voitures électriques atteint 15 millions de véhicules en France en 2040, comme les prévisions l’anticipent ?

Jérémie Haddad : Des estimations ont été menées sur le sujet par les gestionnaires du réseau et les résultats présentés sont rassurants. Selon eux, la consommation d’énergie liée au développement du véhicule électrique ne devrait pas dépasser 48 TWh, soit 10 % de la consommation française[2] par an (ou l’équivalent de la consommation actuelle des régions PACA ou Normandie).

En théorie, la France produit donc déjà suffisamment d’électricité pour alimenter 15 millions de véhicules électriques, d’autant que par ailleurs, cette consommation devrait diminuer du fait des efforts de maîtrise de la consommation d’énergie entrepris tant par les entreprises que par les particuliers (rénovation des passoires thermiques, installation de LED, etc.)

En revanche, la puissance appelée, soit la quantité d’énergie que le réseau est capable de fournir à un moment précis est un sujet de préoccupation différent : que se passera-t-il si tous les véhicules électriques se trouvaient branchés en même temps, par exemple à la fin de la journée ? Est-ce que le réseau électrique sera capable de l’absorber ? Là encore, les évaluations sont rassurantes, même en hiver où la puissance appelée est intensifiée par le recours aux chauffages électriques. Mais les gestionnaires de réseau comptent aussi sur des innovations technologiques pour transformer cette contrainte en opportunité. En effet, qu’est-ce qu’un véhicule électrique sinon un moyen de stockage d’électricité mobile ? De ce concept sont nées plusieurs idées visionnaires, comme celle de lisser automatiquement le chargement des véhicules électriques ou celle de réinjecter l’électricité des batteries de voitures électriques dans le réseau afin d’optimiser sa gestion, ou encore, de fournir un complément de revenu aux possesseurs de véhicules électriques. Les modèles économiques restent à affiner, mais le V2G (Vehicle to Grid) est probablement promis à un bel avenir.  

Il faut aussi rappeler que l’intérêt de la voiture électrique est d’autant plus grand en France que l’électricité française est largement décarbonée grâce à la part du nucléaire et de l’hydroélectricité dans le mix énergétique global.

Alexis Gazzo : Le sujet est bien celui de la gestion de la flexibilité du système électrique à terme plutôt que celui de la quantité d’énergie, en particulier dans un contexte où plusieurs pays font le choix de surcapacités assumées grâce à des technologies dont le coût de production est de plus en plus faible (ce coût a diminué en 10 ans de près de 90 % ans pour le solaire et de près de 70 % pour l’éolien). C’est pour cela que le V2G, actuellement en phase de test dans différents territoires en France, pourra jouer un rôle si important. Une analyse EY a montré qu’à l’horizon 2030, si 30 % de la capacité de stockage des véhicules électriques en circulation est utilisée pour des services réseaux, cela correspondra à une capacité de 65 GW disponible pendant 4 heures, ce qui est considérable. Cet enjeu de flexibilité aura d’autant plus de sens au niveau local, où pourra être assuré un meilleur équilibre offre/demande grâce au pilotage des phases de recharge. Combiné avec des énergies renouvelables décentralisées, c’est aussi une véritable opportunité pour renforcer la sécurité énergétique des territoires. L’hydrogène pourra également participer de cette flexibilité, y compris grâce à du stockage sur de longues périodes et des transferts en utilisant partiellement des réseaux existants ou à construire (comme c’est l’ambition du projet de dorsale européenne de l’hydrogène).

Le changement demandé étant rapide, les constructeurs devront-ils financer, concevoir et installer eux-mêmes les bornes de recharge ?

Jean-François Belorgey : Bien que ce ne soit pas le métier premier des constructeurs, il est probable qu’ils doivent contribuer à initier le mouvement, soit en tant qu’investisseurs directs, soit en tant qu’apporteurs de solutions de financement. Des partenariats pourraient ainsi voir le jour avec les collectivités locales. Une autre piste envisagée est d’encourager le développement de hubs de mobilité où le concessionnaire occuperait une grande place, notamment pour la recharge des véhicules électriques, afin de compenser les pertes d’activité probables qui les attendent. En effet, le rôle des distributeurs automobiles sera amené à évoluer avec des véhicules davantage loués que par le passé (passage de la propriété à l’usage). Par ailleurs, les véhicules électriques nécessitent moins d’entretien que les voitures thermiques et le e-commerce ne va sans doute pas épargner la vente de véhicules aux particuliers. Cette tendance est déjà à l’œuvre, même si le phénomène reste marginal.

Alexis Gazzo : Le modèle privilégié actuellement par de nombreux constructeurs est celui de la recharge à domicile (à hauteur de 90 %[3]), mais un maillage plus fin du territoire et l’installation de bornes de recharge rapides encouragée par l’Union européenne permettrait de lever les obstacles à l’achat pour les véhicules particuliers, notamment pour les trajets longue distance. Si tous les constructeurs ne sont pas prêts à investir lourdement dans cette infrastructure, plusieurs d’entre eux continuent de faire avancer le sujet en Europe, par exemple Ionity, Tesla, ou Renault qui a mis en place une filiale (Elexent) pour déployer des projets de bornes de recharge, ou aux Etats-Unis (Volkswagen y investit 2 milliards dans l’infrastructure de recharge dans le cadre du programme Electrify America). Une évolution similaire pourrait se mettre en place pour le développement des stations de refuelling hydrogène. Par ailleurs, les majors pétrolières se positionnent, le plus souvent par croissance externe, sur des activités d’installation et d’exploitation de bornes de recharge (Total avec G2 Mobility, Shell avec New motion, BP avec Chargemaster), et feront partie des acteurs de poids dans un secteur qui est encore très fragmenté en Europe, et amené à se concentrer (plus de 1000 opérateurs de points de charge sont recensés en Europe).

Y a-t-il des synergies à attendre entre les constructeurs automobiles et les fournisseurs d’électricité ? Comment la chaîne de valeur va-t-elle s’intégrer ?

Jean-François Belorgey : Des synergies se créeront en effet probablement à trois niveaux. D’abord pour que les véhicules soient physiquement compatibles avec les bornes de recharge/smartgrids implantées sur la voie publique, les pouvoirs publics devront collaborer avec les constructeurs et les énergéticiens pour normaliser les équipements. Ensuite la nécessité d’augmenter la capacité de recharge des batteries et de réduire les détériorations dues à la charge rapide devrait également susciter de nouvelles collaborations, notamment entre les énergéticiens et les fabricants de batteries. Les constructeurs, éminemment intéressés par le progrès de cette recherche, pourraient y être associés en qualité de financeurs. Un autre sujet de collaboration à prévoir concerne les softwares intégrés dans la voiture, car ils devront être pensés pour permettre et optimiser la liaison dans les deux sens entre les infrastructures de recharge et le réseau d’une part et le véhicule d’autre part. Cette fois ce sont les constructeurs et les fabricants de batteries qui pourraient envisager d’associer leurs compétences pour faire naître une nouvelle génération de voitures électriques.

Jérémie Haddad : Des partenariats se nouent en effet actuellement pour optimiser les modalités de chargement des voitures électriques au niveau logiciel (smart charging). Pour que les voitures puissent charger de façon extrêmement rapide, elles doivent être pensées dès leur conception pour optimiser l’injection d’électricité dans le système. Des chercheurs américains de l’Université de Stanford travaillent par exemple actuellement sur des algorithmes d’optimisation à partir d’une bibliothèque de cycles de charge afin de réduire le temps nécessaire à la recharge tout en maximisant la durée de vie des batteries.[4]

Au-delà de cette synergie en R&D et comme évoqué, le V2G (Vehicle to Grid) pourra également donner lieu à des partenariats entre constructeurs et énergéticiens. Nissan a par exemple noué un partenariat avec EDF pour développer les offres de V2G déjà proposées en France par Dreev, la filiale spécialisée d’EDF dans ces technologies.

En utilisant les batteries des voitures électriques à la fois comme une source d’alimentation et de stockage, cette infrastructure devrait aussi permettre de stabiliser le réseau électrique confronté au défi d’intégrer des énergies renouvelables et intermittentes comme le solaire ou l’éolien. La massification de la production de batteries pour les véhicules électriques, leur forte capacité de stockage, même lorsqu’elles ne seront plus aptes à la fourniture d’énergie automobile vont conduire à mettre sur le marché de grandes quantités de batteries avec une capacité de stockage encore importante. Envisager leur seconde vie est également un des enjeux de cette transition vers le véhicule électrique. Des synergies entre les constructeurs et les fournisseurs d’électricité sont donc à prévoir, mais il est sans doute encore trop tôt pour se prononcer sur l’intégration de la chaîne de valeur. Le temps est encore à l’expérimentation.

Alexis Gazzo : Nous avons assisté depuis quelques années à l’arrivée des utilities dans le secteur des transports sachant que l’électrification de la mobilité est un relais de croissance majeur pour les énergéticiens. Les constructeurs automobiles et leurs équipementiers sont à l’inverse appelés à devenir des acteurs du secteur électrique, via les services de stockage sur réseau qui se déploient à l’heure actuelle grâce à la ré-utilisation des batteries de véhicules électriques, par exemple en Occitanie. C’est une diversification possible pour ces acteurs, sachant que l’enjeu de la compétitivité des batteries est commun au secteurs automobile et énergétique. Lorsque la commercialisation du véhicule électrique changera d’échelle, la baisse des coûts des batteries, l’allongement de leur durée de vie et leur reconditionnement pour une seconde vie devraient nécessairement améliorer l’équilibre économique des modèles de stockage sur réseau.

Ce qu'il faut retenir

La transition vers l’électrique va transformer en profondeur le marché automobile. Avec 1,3 million de voitures vendues en 2020, les véhicules électriques représentent déjà 12,5 % du marché en Europe, contre seulement 3 % l’année précédente. L’Union européenne a fixé un objectif de 35-40 % en 2030 et prévoit que 30 millions de voitures électriques circuleront en Europe en 2030. Cette extension du parc électrique nécessitera non seulement un investissement massif dans la technologie électrique, mais aussi l’installation d’un vaste réseau de stations de recharge. Un défi à la fois technologique, financier et humain.

A propos de cet article

Auteurs
Jérémie Haddad

Associé, Consulting, Customer, Power & Utilities Leader, France

Passionné par la transformation du monde, par la technologie et par le progrès humain. « #Entrepreneur #Energie #Digital ». Magicien à ses heures.

Alexis Gazzo

Associé, Climate Change & Sustainability leader, France

Aider les entreprises et les gouvernements à s'engager dans des stratégies à faible émission de carbone. Créer et protéger la valeur à long terme pour les clients.