7 min de temps de lecture 28 avr. 2023
Femme en télétravail

Work from anywhere : le temps, notre bien le plus précieux

Par Pascal Curtat

Associé, Consulting, Workforce Advisory Services Leader France

Pascal accompagne les directions générales et les directions des ressources humaines dans leurs transformations et dans la mise en œuvre de nouveaux modèles de gestion des talents.

7 min de temps de lecture 28 avr. 2023
Expertises associées Workforce

Travailler depuis n’importe où, une pratique toujours en vogue en 2023, à l’heure où le télétravail s’invite dans de plus en plus de secteurs et d’industries du monde entier. Quelles sont les raisons de l’immense succès de cette nouvelle manière de travailler ?

Au sommaire :

  • Productivité et flexibilité
  • Vie professionnelle versus vie personnelle
  • La nouvelle normalité

Le temps semble au centre de toutes les réflexions autour du télétravail. Qu’il s’agisse de ses bénéfices, comme la productivité et la flexibilité, ou de ses inconvénients lorsque l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle est en péril, explorons dans cet article les aspects de la ressource qui nous est la plus chère lorsque nous travaillons à distance : le temps.

Téléchargements

1. Productivité et flexibilité

Interrogés sur les avantages du télétravail, les employés mettent en évidence deux aspects : une productivité et une flexibilité augmentées, lesquelles permettent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

a. Un lieu favorable à la concentration

Lorsque le télétravail a été imposé dans nos vies en 2020, cette pratique a été une découverte pour la plupart des salariés européens. À l’époque, le télétravail a mené les hiérarchies à se questionner sur la productivité des salariés, créant ainsi ce que certains ont appelé la « paranoïa de la productivité », c’est-à-dire la crainte que les employés ne soient pas aussi efficaces qu’au bureau lorsqu’ils travaillent à distance, et notamment qu’ils allouent leurs heures de travail à des activités non-professionnelles. Cette inquiétude semble toujours d’actualité en septembre 2022, puisque 90% des décideurs français admettent que les modes de travail hybrides les mènent à douter davantage de la productivité de leurs employés lorsqu’ils travaillent à distance¹. De manière surprenante, 90% des salariés français s’estiment productifs en télétravail, selon la même étude². Le constat va plus loin en pointant que la majorité des salariés français (58%) ne voit pas le télétravail comme un obstacle au travail en équipe³, ni à la productivité. C’est même plutôt le contraire puisque 58% des salariés français affirment travailler plus d’heures par jour à distance qu’au bureau⁴.

D’autres pays européens semblent sur la même longueur d’ondes. En effet, 67% des managers européens considèrent leurs équipes autant, si ne n’est davantage, productives en travaillant à la maison qu’au bureau⁵. Si l’on ajoute à cela que contrairement à une croyance populaire, la productivité est loin d’être idéale au bureau, avec en moyenne 2 heures et 23 minutes de productivité (sur une journée de 8 heures) pour un employé sur site au Royaume-Uni, force est de constater que le télétravail n’affecte pas tant la productivité que l’on pourrait penser.

Pourquoi les télétravailleurs sont-ils plus productifs ?

Tout d’abord, avoir du temps seul pour se concentrer sur une tâche s’avère bien plus facile dans un environnement calme, loin du bruit et des conversations entre collègues au bureau. Par ailleurs, travailler de chez soi implique moins de déplacements et de temps de trajet de son domicile à son lieu de travail, raison pour laquelle 80% des télétravailleurs considèrent l’absence de transports comme un important avantage du télétravail. Et c’est bon pour la planète – case RSE cochée pour l’entreprise. Enfin, les télétravailleurs notent un avantage moins évident (mais bien réel) de ce mode de travail : un code vestimentaire plus décontracté (69%)⁶, un gain de temps le matin pour beaucoup de salariés.

Finalement, tout ce temps économisé tout au long de la journée permet aux salariés à distance de travailler dans un état d’esprit moins stressé, tout en dormant plus⁷. Une étude récente menée au Royaume-Uni montre ainsi que les travailleurs hybrides dorment plus qu’avant la pandémie, avec jusqu’à 71 heures de sommeil supplémentaire par an⁸.

Les télétravailleurs sont plus productifs et les directions en bénéficient. Mais qui dit productivité dit aussi flexibilité. 

b. Flexibilité

Travailler depuis chez soi signifie également gérer son emploi du temps plus facilement. Que l’on souhaite faire une course rapide à un moment de la journée, ou récupérer ses enfants à l’école, savoir que l’on pourra reprendre son travail à la maison à un autre moment de la journée peut aider à préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Un quart des télétravailleurs européens souligne que le télétravail leur permet de passer plus de temps avec leurs enfants. Pour près de la moitié des répondants (47%), c’est également plus de temps dédié aux hobbies. Cela inclut les activités sportives, avec une moyenne de 4,7 heures d’exercice par semaine en 2022 pour les télétravailleurs anglais contre environ 3,4 avant la pandémie⁹.

Il existe un autre aspect de la pratique work from anywhere que nous n’avons pas encore adressé. Si la plupart des lecteurs pensent tout de suite au domicile, ce n’est pourtant pas le lieu de travail auquel le télétravail se réfère automatiquement. Le télétravail c’est justement la possibilité de travailler depuis n’importe où : de chez soi, d’un café, d’un hôtel, de chez des amis ou de sa famille, ou encore d’un espace de coworking. Pour 25% des répondants européens, la flexibilité de travailler où on veut est particulièrement appréciée¹⁰.

Cependant, le télétravail implique aussi des contraintes, dont certaines sont totalement nouvelles et propres à cette manière de travailler. 

2. Vie professionnelle versus vie personnelle

Être en mesure de travailler de n’importe où parait séduisant au premier abord. Cela confère un sentiment de flexibilité, d’autonomie, la possibilité de choisir son lieu de travail et d’organiser son emploi du temps à sa guise. Mais en y regardant de plus près, difficile de ne pas également y voir les inconvénients.

a. Surmenage

Travailler depuis chez soi rend la tâche de séparer sa vie professionnelle de sa vie personnelle plus difficile. C’est ainsi que les télétravailleurs et travailleurs hybrides représentent 62% du total des salariés travaillant entre 41 et 60 heures par semaine en Europe¹¹.

Le surmenage est observé davantage chez les télétravailleurs sans enfants (55% contre 36%)¹² et les salariés plus jeunes (25-40 ans).

Pour la plupart des télétravailleurs, le piège du surmenage se referme lorsqu’ils ont « l’impression que ce qu’ils font n’est pas assez bien »¹³. Cela conduit à des effets indésirables certains. En effet, les télétravailleurs ont tout à disposition pour travailler lorsqu’ils sont chez eux, puisque leur domicile est devenu leur lieu de travail et que comme le souligne notre dernier article de la série Work from anywhere, les entreprises ont livré du matériel informatique au domicile de leurs collaborateurs au début de la pandémie. Les télétravailleurs disposent donc de conditions de travail identiques (voire meilleure) chez eux qu’au bureau. C’est ainsi que la culture « always on » a émergé, les télétravailleurs étant supposés être toujours disponibles pour travailler¹⁴, montrant ainsi qu’il n’y a qu’un pas entre conscience professionnelle et excès de zèle.

Certains télétravailleurs vont jusqu’à régler des alarmes le soir pour se rappeler d’arrêter de travailler. Cet exemple illustre à quel point le surmenage est un risque, mais également que leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est en péril.

b. Lorsque le travail s’invite dans la vie privée

Travailler depuis chez soi crée des barrières floues, et on peut être plus enclin à répondre à cet appel de dernière minute un vendredi soir, ou à consulter ses mails une dernière fois avant de dormir.

Même en passant du temps avec ses proches à la maison, il peut être difficile de complètement déconnecter son esprit du travail, d’oublier cette importante présentation à un client le lendemain, pour profiter tranquillement d’un dîner en famille. Les personnes autour de nous peuvent se rendre compte que nous ne sommes pas totalement présents, absorbés par des problématiques professionnelles.

En outre, certains télétravailleurs ne choisissent pas la meilleure option concernant leur espace dédié au travail à leur domicile. Par exemple, travailler dans son lit est une mauvaise idée, car cela empêche de trouver le sommeil et le cerveau de déconnecter la nuit¹⁵. Ce n’est également pas la situation la plus ergonomique, en plus d’être un lieu très personnel de son domicile. Preuve encore que l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle peut être endommagé !

Conscientes de ces enjeux, les entreprises ont tenté d’offrir des alternatives à leur télétravailleurs, imitées d’ailleurs rapidement par les pouvoirs publics dans différents pays.

3. La nouvelle normalité

Il parait compliqué d’adresser des problématiques telles que le surmenage et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, mais certaines entreprises ont relevé le défi avec une certaine créativité.

a. Des initiatives d’entreprises

Avez-vous déjà entendu parler de la fatigue liée aux réunions à distance ? Des chercheurs ont découvert que les marqueurs cérébraux liés au stress et surmenage sont plus élevés lorsque les individus sont dans des réunions virtuelles¹⁶ que lorsqu’ils réalisent des tâches individuelles n’impliquant pas d’interaction avec autrui (par exemple, écrire un email).

La littérature scientifique a éclairé les employeurs sur l’urgence d’agir concernant la santé mentale et l’équilibre de leurs salariés. C’est ainsi que de nouvelles mesures sont venues au jour, telles que les no-meeting days (Facebook en est notamment adepte¹⁷) ou la réduction du temps de réunion par défaut (comme chez Slack¹⁸). Par ailleurs, lorsque les réunions virtuelles doivent dépasser une heure, prévoir des mini temps de pause pour ses salariés peut les aider à se recharger, s’éloigner un instant de leurs écrans et prendre un café, avant de se replonger dans les sujets¹⁹.

Certaines start-ups sont même allées jusqu’à créer un nouveau poste dédié : Head of remote. Ce rôle apparu après la pandémie, a vocation à aider les entreprises dans la création d’un environnement de télétravail réussi, dans la mesure où cette manière de travailler s’inscrit dans la durée. Quelques entreprises en Europe ont recruté pour ce poste, telles que Cargo One ou Doist²⁰.

Comme toujours, que l’on soit face à face ou à distance, la communication est clé. Il a été notamment prouvé qu’informer les salariés de la situation réelle de l’entreprise et les accompagner sur ces sujets, contribue à réduire leur sentiment d’insécurité²¹.

C’est ici que les managers jouent un rôle crucial en accompagnant leurs équipes à distance. Diriger avec exemplarité, se concentrer sur les résultats plutôt que le temps passé à travailler, et encourager ses équipes à profiter de leur temps libre, sont tout autant d’exemples d’attitude managériale qui peuvent influencer positivement le bien-être des salariés à distance.

Beaucoup d’entreprises conduisent par ailleurs des enquêtes chaque année sur le bien-être et la santé mentale de leurs salariés. Il devient d’ailleurs essentiel d’y inclure des questions sur leur ressenti en télétravail : ont-ils suffisamment de flexibilité dans leur agenda ? Travaillent-ils plus d’heures que ce qui est prévu dans leur contrat²² ?

Les enjeux sont grands, et les entreprises ne sont pas les seules à agir face aux difficultés engendrées par le télétravail.

b. Législations

Quelques États membres de l’Union européenne se sont emparés du problème et ont tenté d’y trouver des solutions, via la loi. Parmi ces initiatives, le droit à la déconnexion, reconnu par les législations locales qui mettent en lumière les conséquences négatives du télétravail sur la santé mentale et l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle des salariés. Des lois reconnaissant le droit à la déconnexion ont été votées dans neuf pays européens au total, entre 2017 et 2022, dont la France. De plus, des accords collectifs ont été négociés en France depuis le début de la pandémie afin d’instituer le droit à la déconnexion, notamment par des clauses protégeant les salariés du risque d’isolation²³.

Restez abonné à notre newsletter pour en savoir plus. Cet article est le deuxième d’une série intitulée Work from anywhere. Dans cette série nous explorerons les manières de tirer profit des avantages comme des pistes d’amélioration du télétravail : nous discuterons ouvertement des risques d’injustices engendrés par cette manière de travailler, et en apprendrons davantage sur l’équilibre à trouver grâce à des nouveaux modes de travail hybrides.

Abonnez-vous à notre newsletter mensuelle « Entre RH » !

Je m'inscris

Merci à Charlotte Rohmer, consultante senior, pour sa contribution à la réalisation de cet article.

  • Sources

    1. Hybrid work is just work, are we doing it wrong?, Work Trend Index Special Report, Microsoft, 2022.
    2. Ibid.
    3. 72% of European employees think remote working offers benefits for work-life balance, SDWorx, September 2022.
    4. Ibid.
    5. State of Remote Work 2021, Owl Labs, 2022.
    6. State of Remote work 2021, Buffer, 2022.
    7. L. TUNG, Remote work is giving people more free time, here’s what they are doing with it, ZDnet, October 2022.
    8. A. MIKHAIL, Hybrid workers are exercising and sleeping more, reporting better mental health than before the pandemic, Fortune Well, March 2023.
    9. Ibid.
    10. State of Hybrid Work 2022, Europe Edition, Owl Labs, 2022.
    11. K. PREDOTOVA, Workers want to telework but long working hours, isolation and inadequate equipment must be tackled, Eurofound, September 2021.
    12. Working Weekends a reality for nearly 7 in 10 remote professionals, Robert Half research, 2020.
    13. C. CUTTER, A year into remote work, no one know when to stop working anymore, The Wall Street Journal, March 2021.
    14. The rise in telework: impact on working conditions and regulations, Eurofound, December 2022.
    15. D. PACHECO, Getting better sleep while working remotely, Sleep Foundation, June 2022.
    16. E. COURTNEY, Remote meeting fatigue: how companies can help employees, Flexjobs, September 2020.
    17. T. KUNSMAN, Why a “no meeting day” is essential for better remote work, Remote work junkie, June 2022.
    18. C. CUTTER, A year into remote work, no one know when to stop working anymore, The Wall Street Journal, March 2021.
    19. E. COURTNEY, Ibid.
    20. M. PARTINGTON, If you haven’t thought about hiring a head of remote yet, should you?, Sifted, November 2021.
    21. T. FRITZ, Mental Health of remote working employees in Europe, Avans School of International Studies, March 2021.
    22. L. BARKER, 40 Employee Wellbeing Survey Questions to Prevent Burnout, Kona, July 2022.
    23. The rise in telework: impact on working conditions and regulations, Eurofound, December 2022.

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Par Pascal Curtat

Associé, Consulting, Workforce Advisory Services Leader France

Pascal accompagne les directions générales et les directions des ressources humaines dans leurs transformations et dans la mise en œuvre de nouveaux modèles de gestion des talents.

Related topics Workforce