La prise en compte des enjeux environnementaux dans les prérogatives du CSE
Sous l’impulsion des propositions de la CCC, la loi Climat a intégré une prérogative écologique dans les attributions générales du CSE des entreprises d’au moins 50 salariés. La mission générale du CSE a été enrichie de manière à intégrer la prise en compte des conséquences environnementales des décisions de l’employeur relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail à la formation professionnelle et aux techniques de production⁴. Le CSE devient donc un interlocuteur inévitable en matière d’environnement.
Le devoir de protection de l’environnement est considéré sous le prisme de l’expression collective des élus du CSE. En revanche, l’assèchement des procédures lié à l’unification des instances au sein du CSE par les ordonnances Macron complique la prise en main optimale des sujets écologiques. Les élus du CSE n’ayant pas d’heures de délégation ou de formations supplémentaires, la thématique environnementale risque d’être diluée parmi la multitude des prérogatives attribuées à l’instance, ces derniers peinant déjà à gérer la complexité des sujets dont ils ont la charge. A noter cependant que la loi Climat intègre un volet environnemental dans la formation économique des élus.
La loi Climat a enrichi l’article L.2312-8 du Code du travail d’un nouveau paragraphe en vertu duquel le CSE doit être « informé et consulté sur les conséquences environnementales des mesures » faisant l’objet des consultations ponctuelles, c’est-à-dire intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise⁵. Par exemple, pour un projet de déménagement soumis à procédure d’information consultation du CSE, il conviendra également de consulter l’instance pour avis sur les impacts environnementaux de ce déménagement : performance énergétique des nouveaux locaux, impact du déménagement sur le temps de déplacement des collaborateurs, etc.
L’article ne précise cependant pas si l’avis du CSE sur l’impact environnemental du projet doit être distinct de l’avis portant sur le projet lui-même, cette distinction pouvant être source de contentieux à propos de l’élaboration de l’ordre du jour et du point de départ du délai de la consultation. Tout l’enjeu pour l’employeur est de fournir les informations nécessaires et suffisantes pour ne pas subir une suspension du projet par les élus.
Ce risque contentieux est d’autant plus présent que la notion de « conséquences environnementales » n’a pas encore de définition précise. Le droit à information du CSE manque en effet de clarté, notamment pour des projets où les risques écologiques sont difficilement identifiables comme un projet de modification de l’organisation juridique de l’entreprise. Les contours de cette nouvelle information consultation restent évasifs et sont sujets à interprétation. Il semble donc judicieux que le CSE et l’employeur s’accordent sur les sous-entendus de ces termes afin de faciliter leurs échanges pour éviter de faire appel au juge.
D’autre part, le CSE doit être informé et consulté pour formuler un avis sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sa situation économique et financière, sa politique sociale ainsi que sur les conditions de travail et de l’emploi. La loi Climat ajoute la notion d’impératif écologique : « le comité est informé des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise »⁶ dans le cadre des consultations dites récurrentes. Notons la distinction avec les consultations ponctuelles, puisqu’ici le Code du travail ne mentionne qu’une simple obligation d’information : les impacts environnementaux de l’activité de l’entreprise seront seulement évoqués lors de ces consultations récurrentes sans faire l’objet d’avis.
Le législateur a fait le choix d’une approche transversale et non celui de créer un nouveau thème de consultation récurrente. Cette information étant d’ordre public, elle ne peut être supprimée par accord collectif pouvant définir le contenu, la périodicité et les modalités de ces consultations. Le risque ici est que la thématique environnementale soit diluée dans les thématiques de consultations déjà complexes et que le CSE ne s’en saisisse pas véritablement.
L’employeur devient cependant garant de fournir les éléments nécessaires à cette information du CSE. Les conséquences environnementales dont il est question ne sont pas définies, les informations à fournir aux élus restent floues et relèvent de l’appréciation des partenaires sociaux. Cela dit, un décret⁷ précise les informations devant être intégrées à titre supplétif dans la Base de Données Economiques, Sociales, dorénavant également Environnementales (BDESE). Tout l’enjeu réside alors dans la liberté laissée aux partenaires sociaux de déterminer par accord le contenu de la BDESE pour définir ensemble les indicateurs écologiques adaptés au secteur d’activité de l’entreprise. Pour les entreprises qui y sont soumises, la Déclaration de performance extra-financière (DPEF)⁸ constituera une source de données pertinentes dans le cadre des consultations récurrentes.
L’extension des consultations du CSE a également une répercussion sur le champ de l’expertise. « La mission de l’expert-comptable porte sur les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la compréhension » des orientations stratégiques de l’entreprise, de sa situation économique et sa politique sociale⁹. Le législateur a élargi le champ d’action de l’expert aux éléments environnementaux dans le cadre des consultations récurrentes, mais a fait le choix de ne pas ouvrir le recours à un expert pour les consultations ponctuelles. L’expert-comptable n’apparait pas de prime abord comme étant le plus à même de traiter des problématiques environnementales, mais son action sera complétée par celle d’autres experts spécialisés. En conséquence, les élus et l’employeur peuvent s’attendre à une augmentation du coût des expertises.
L’intégration de la transition écologique dans les enjeux de GEPP
A l’instar des attributions du CSE, la loi Climat assigne de nouveaux objectifs environnementaux aux négociations obligatoires sur la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP), anciennement Gestion Prévisionnelle des Emplois et des compétences (GPEC). Dans les entreprises ou groupes d’au moins 300 salariés, les négociations périodiques obligatoires sur la mise en place d’un dispositif de GEPP devront également répondre aux enjeux de la transition écologique¹⁰. Cette obligation se retrouve aussi dans la négociation en matière de GEPP des branches professionnelles¹¹.
Le législateur encourage les partenaires sociaux de l’entreprise et de la branche à se questionner sur les besoins en compétences des collaborateurs en prenant en compte la transition écologique. Cette obligation est à regarder avec précaution, étant insérée dans les dispositions supplétives du Code du travail : un accord peut aménager les modalités de négociations sur la GPEC/GEPP et ainsi écarter ce point. De même, l’obligation d’ouvrir les négociations sur la GPEC/GEPP ne concerne que les entreprises de taille relativement importante avec un effectif de plus de 300 salariés. L’impact de la transition écologique sur la pérennité des emplois n’est en vérité pas limité aux grandes entreprises et groupes. Anticiper les restructurations pour cause de transition écologique et prévenir les licenciements est aujourd’hui une nécessité pour la majorité des secteurs dans un contexte de forte évolution des activités et méthodes de travail, peu importe la structuration de l’entreprise.
Depuis 2008, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) table sur l’émergence d’une économie verte impactant profondément le monde du travail et traduisant le besoin d’évolution vers une société durable et moins carbonée. Le monde professionnel tend à évoluer vers une transition verte, de gré ou de force notamment sous l’influence européenne et par transposition de ces principes par le gouvernement français. Le marché de l’emploi sera, et commence déjà à être impacté par les politiques publiques menées pour la mise en œuvre d’une transition écologique. L’OIT considère que la lutte contre le réchauffement climatique créera environ 24 millions de nouveaux emplois nets d’ici 2030¹² . Ces métiers en mutations, dits métiers verts ou verdissants, nécessiteront par la force des choses de nouvelles compétences, que les employeurs doivent anticiper. Mettre en œuvre une GEPP/GPEC permet d’identifier et prévoir les compétences critiques et décroissantes, afin de déterminer les métiers à risque de disparition qui doivent bénéficier d’évolution par le biais de la formation.
L’anticipation de ces besoins de métiers verts permet d’éviter l’instrumentalisation du droit social en faveur de la protection de l’environnement. Dans les débats doctrinaux portant sur ce thème, certains réfléchissent à la possibilité de prévoir des dispositifs de licenciement pour motif écologique permettant de supprimer des emplois pour favoriser la transition environnementale. A titre d’exemple, le groupe PSA Automobiles a négocié en mars dernier un accord relatif à la GEPP et aux ruptures conventionnelles collectives en vue de tenir compte des “transformations de l‘emploi liées à l’électrification des véhicules“.
La nécessité de prendre en compte la transition écologique dans les politiques sociales et RH
La loi Climat fait de la protection de l’environnement un sujet de dialogue social, mais peine à faire de cette thématique un incontournable des relations de travail. C’est la raison pour laquelle les partenaires sociaux doivent être acteurs de la transition écologique et favoriser la mise en place d’une stratégie verte. Certains CSE se sont déjà emparés de la question en créant des Commissions Ecologie ou Commissions Vertes, au sein de la société Worldine ou de OBS SA, filiale du groupe Orange.
La transition écologique, portée par les entreprises au quotidien, apparaît être importante pour trois raisons concomitantes.
La première est celle de la marque employeur et de l’attractivité des talents. Les millennials se tournent davantage vers une entreprise ayant une image « verte » qui se place en faveur de l’environnement. Selon une étude de CSA¹³, pour 91% des salariés interrogés, ”la transition écologique est un sujet important dans les entreprises françaises”, et 43% la jugent prioritaire. Cette même étude met en avant qu’à offre équivalente, « 78% des salariés préfèreraient rejoindre une entreprise engagée pour la transition écologique ». La transition écologique permet aux jeunes salariés de répondre à leur quête de sens du travail en se tournant en premier vers les entreprises qui agissent en faveur de l’environnement. Une stratégie de marque employeur fondée sur la protection de l’environnement et luttant pour la transition écologique est un levier d’attractivité à l’embauche. L’employeur doit donc être actif dans la responsabilisation de ses collaborateurs aux enjeux du développement durable.
La deuxième est celle de la santé et sécurité des salariés. Dangereuses pour l’environnement, les activités polluantes sont nécessairement nocives pour les collaborateurs. Les élus sont désormais appelés à analyser les impacts environnementaux pouvant aussi être liés à la santé au travail, permettant de préserver l’environnement et le bien-être humain. La prise de conscience écologique agit ainsi en faveur de la santé et de la sécurité des effectifs. Par exemple, l’activité de gestion des déchets nucléaires est nocive pour l’être humain et pour l’environnement. La transition verte des activités de l’entreprise est un instrument de préservation de la santé des collaborateurs et permet également d’assurer leur fidélisation.
Enfin, l’intégration des enjeux de transition écologique dans la stratégie de l’entreprise permet de proposer une activité pérenne et durable. La prise de conscience écologique citoyenne entraine des évolutions de consommation et certaines activités industrielles peuvent voir leur production impactée, voire disparaître. C’est le cas du secteur automobile, qui a vu ses ventes de voitures diesel décroitre fortement, les consommateurs préférant se tourner vers des voitures électriques ou hybrides moins polluantes¹⁴.
Le manque de cadre reproché à la loi Climat peut finalement être un véritable levier d’action pour les entreprises afin d’adapter au mieux ces nouvelles prérogatives sociales à leur activité. Il s’agit d’un sujet majeur à la fois pour l’environnement dans lequel gravite l’entreprise et pour le bien-être des collaborateurs. Anticiper permet de se transformer, et c’est en ce sens que les nouvelles prérogatives données au CSE et aux syndicats doivent être prises au sérieux par les instances dirigeantes des entreprises. Il est nécessaire de penser dès à présent aux compétences de demain, et de prévoir une mutation des entreprises les plus polluantes pour éviter les contraintes structurelles liées à la transition écologique.
Il est de la responsabilité des partenaires sociaux et des acteurs RH d’insérer au cœur des politiques sociales et RH des objectifs de protection de l’environnement. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) appellent à réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre d’ici trois ans pour éviter les conséquences les plus dévastatrices du changement climatique. C’est aussi au sein de l’entreprise que cela se joue. A bon entendeur…
Merci à Margaux Lépine et Victoria Rouxel pour leur contribution à la réalisation de cet article.