4 minute read 16 Feb 2023
Le marché de l’immobilier résidentiel Luxembourgeois continuera-t-il à défier les incertitudes économiques et la hausse des taux d’intérêt ?

Le marché de l’immobilier résidentiel Luxembourgeois continuera-t-il à défier les incertitudes économiques et la hausse des taux d’intérêt ?

Authors
Antoine Le Bars

EY Luxembourg BCM Assurance Partner

Extensive experience in auditing international and local clients in banking and wealth and asset management. Continuously curious to learn and ready to take on any challenge. Loves sports.

Ramy Al Gemayel

EY Luxembourg Banking and Capital Markets Manager

4 minute read 16 Feb 2023

Après deux années de pandémie marquées par une hausse record du prix de l’immobilier résidentiel Luxembourgeois, 2022 a été l’année des incertitudes macroéconomiques. Le conflit russo-ukrainien suivi du changement drastique des politiques monétaires ont amené des turbulences ayant des conséquences sur le marché des prêts hypothécaires. Quels sont les risques qui en découlent pour les banques et l’immobilier résidentiel Luxembourgeois ? 

Une économie en turbulence et des taux d'intérêt en croissance

Depuis le début de l’année 2022, l'inflation de la zone euro a atteint des niveaux records. Le Luxembourg n’a pas été épargné avec des niveaux d’inflation jamais vus depuis les années 80 et atteignant leur plus haut niveau au mois de juin à 7,4% en glissement annuel avant de redescendre à 5,4% en décembre 20221. Cette montée de l’inflation s’explique par une combinaison de facteurs tels que l’envolée des prix de l'énergie qui a suivi le début du conflit russo-ukrainien et la distorsion de l’offre et de la demande du fait des problèmes d’approvisionnement liés aux chaines logistiques

Afin d’accomplir son principal objectif de maintien de la stabilité des prix, la Banque Centrale Européenne (BCE) a procédé à cinq augmentations successives des taux directeurs entre les mois de juillet et février 2023. Pour la première fois depuis décembre 2008 et le début de la politique monétaire accommodante débutée cette même année pour contrer les effets de la crise financière des « sub-primes », les taux directeurs de dépôts et de refinancement des banques ont franchi la barre des 2% et la barre des 3% sera probablement dépassée d’ici à fin mars2.

Ces hausses de taux d'intérêt directeurs ont été répercutées directement sur les prêts hypothécaires accordés au Luxembourg en 2022. On notait déjà une augmentation de 2% pour les taux fixes et de 1,2% pour les taux variables en glissement annuel au 30 Novembre 20223.

La différence entre les taux fixes et variables au 30 Novembre 2022 est principalement attribuée au fait que, pour les prêts à taux fixe, les banques ont anticipé l'augmentation future des taux d'intérêt directeurs et l'ont considéré dans leur fixation de taux actuels à moyen et long terme. Les taux variables étant ajustés après chaque variation effective des taux directeurs.

Les spécificités du marché luxembourgeois et les attentes pour 2023

Les conditions plus strictes imposées par les banques pour l’octroi de prêts hypothécaires et le fait que les acquéreurs deviennent plus réticents à contracter des prêts face aux coûts d'emprunt croissants et à la réduction de leur pouvoir d'achat (ou à une baisse du rendement pour les investisseurs), se traduit actuellement par une baisse de la demande. Cette baisse de la demande a, généralement, un effet immédiat sur les prix de l’immobilier. Ce phénomène est déjà fortement perceptible dans certains pays européens comme par exemple en Suède où la part des crédits hypothécaires en taux variable est largement majoritaire.

Cette baisse de la demande est perceptible sur l’année 2022 avec des transactions en baisse de l’ordre de -9% entre les 3 premiers trimestres 2022 par rapport à 2021 ou encore -15% entre le deuxième et troisième trimestre 20224. En dépit de ces baisses, les prix de l’immobilier résidentiel ont continué leur marche en avant au Luxembourg avec une hausse des prix estimée à environ 5,5% en 2022 par rapport à 2021.

Cependant, d'autres facteurs entrent en jeu pour influencer la demande de biens immobiliers, comme la croissance de la population, et en n’oubliant pas l’offre, qui jouera un rôle majeur dans la robustesse des prix au Luxembourg.

Entre 2018 et 2022, il y a eu en une augmentation d’environ 9 000 résidents luxembourgeois par an5. Ceci représente un besoin en logement annuel estimé entre 5,600 et 7,500 unités6, soit une moyenne significativement plus élevée que les 3,338 nouveaux logements réalisés entre 2008 et 2018 ou que les 4,363 autorisations de construction accordées annuellement entre 2001 et 2020 (moyennes annuelles durant ces périodes)7. Ces chiffres soulignent une pénurie de l'offre perturbant la corrélation entre les taux d'intérêt et les prix de l'immobilier et contribuant à la résilience du marché.

Il est aujourd’hui difficile de prédire comment le marché va évoluer. Cependant tant que l’inflation persistera à de tel niveau, la BCE compte bien jouer son rôle de catalyseur de l’inflation avec ses armes et par conséquent les taux d’intérêts vont probablement encore monter lors du premier semestre de l’année. Ces hausses vont peser de plus en plus sur les velléités des acquéreurs et des banques à les financer. Selon toute vraisemblance, le marché a connu son pic pour les années à venir et la hausse continue du prix de l’immobilier résidentiel pourrait s’arrêter en 2023 pour connaitre un léger fléchissement.

Quels risques pour les établissements de crédit ?

Une inflation élevée, des taux d'intérêts en hausse qui induisent une baisse du pouvoir d’achat des ménages et de la demande de crédit hypothécaire et à contrario des promoteurs qui doivent avoir des liquidités suffisantes afin d’attendre des jours meilleurs, voici les éléments avec lesquels doivent jongler les acteurs bancaires actifs dans le financement de la promotion immobilière ou du crédit hypothécaire.

De cette équation résulte une augmentation du risque de crédit touchant différents types de clients. En première ligne les clients de détail ayant emprunté à taux variables. Ces derniers vont subir de plein fouet les brusques hausses des taux directeurs initiés par la Banque Centrale qui vont réellement commencer à se matérialiser dans les mensualités dans les prochaines semaines. Pour un ménage luxembourgeois au revenu moyen (i.e. : 6 421 € en 2021 d’après les prévisions de la Statec8) cela représente une hausse de la proportion des coûts d'emprunt par rapport au revenu mensuel de 41% à 53%. Fort heureusement, la production de crédits à taux variables, historiquement majoritaires à Luxembourg, a fortement baissé ces dernières années au bénéfice de crédits à taux fixe du fait des conditions très favorables du marché. Le risque résiduel est pourtant bel et bien présent pour les banques.

La production de nouveaux crédits va se trouver fortement et durablement affectée. De nombreux candidats à l’acquisition d’un bien immobilier auront des difficultés à trouver une banque pour les financer car les critères d’acceptation ne seront plus respectés. Ce resserrement des conditions de crédit pour les acquéreurs va également avoir un impact très significatif sur les promoteurs immobilier. Le ralentissement des transactions va pousser les promoteurs à finaliser les projets existants et à attendre avant de lancer de nouveaux projets. Néanmoins, ces derniers étant généralement propriétaires des terrains (contrairement aux pratiques dans de nombreux pays européens) des besoins de trésorerie vont rapidement se faire sentir chez certains d’entre eux afin d’honorer les échéances des prêts obtenus pour les financer. Ces problèmes de trésorerie pourraient se traduire à terme par des retards de paiement, de possibles restructurations de la dette afin de rééchelonner les remboursements ou, dans le pire des cas, des défauts de certains promoteurs.  

La gestion de l’augmentation du risque passe par une maitrise de l’ensemble du processus de crédit

Par conséquent, les banques doivent anticiper une augmentation de leur portefeuille d’expositions non performantes (ENP) et des pertes de crédit attendues qui en découlent lors des exercices à venir. Selon un sondage réalisé lors de la conférence bancaire annuelle d’EY en octobre 2022, 70% des répondants s'attendent à un taux de provisionnement plus élevé sur leur portefeuille de crédit au 31 décembre 2022 par rapport aux deux exercices précédents.

Les banques doivent d’ores et déjà envisager d'établir une stratégie visant à réduire les ENP, sur un horizon temporel réaliste mais ambitieux. Ceci passe par une révision de leur appétit aux risques avec un tri sélectif pour le financement de nouveau projet immobilier que ce soit du point de vue promoteur ou acquéreur, par une gouvernance stricte du risque de crédit par la mise en application de politiques et procédures conformément aux recommandations de l’Autorité Bancaire Européenne et des régulateurs nationaux et européens, en maitrisant l’ensemble du processus de l’octroi à la surveillance des crédits en cours en passant par une systématique réévaluation des garanties pour minimiser l’impact financier en cas de défaut des débiteurs.

Organisé par EY Luxembourg, un événement dédié aura lieu le 10 mars prochain afin d’échanger autour de l’influence des politiques monétaires et de l'environnement économique sur le secteur bancaire. Cet événement permettra aux professionnels du secteur de partager leurs points de vue sur l’évolution de la situation. Inscrivez-vous dès maintenant!

[1] « Dossier indice des prix à la consommation et inflation », STATEC, avril 2022

[2] « Key ECB interest rates », European Central Bank, février 2023

[3]  « Capital Markets and Interest rates », Banque de Luxembourg

[4] Statistiques des prix du logement, STATEC

[5] Population et emploi, STATEC

[6] « Projections des ménages et de la demande potentielle en logements : 2018-2060 », STATEC, avril 2019

[7] Rapport d'activité 2021 du ministère du Logement, Gouvernement.lu

[8] « Pandémie : progression du revenu des ménages, baisse de l’inégalité, hausse du taux de pauvreté », Statistiques.lu, septembre 2022 

Cet article a été publié dans l'AGEFI.

Summary

Après deux années de pandémie marquées par une hausse record du prix de l’immobilier résidentiel Luxembourgeois, 2022 a été l’année des incertitudes macroéconomiques. Le conflit russo-ukrainien suivi du changement drastique des politiques monétaires ont amené des turbulences ayant des conséquences sur le marché des prêts hypothécaires. Quels sont les risques qui en découlent pour les banques et l’immobilier résidentiel Luxembourgeois ? 

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