4 minute read 14 Jul 2021
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L’assurance, maillon fort d’une société durable

Authors
Brice Bultot

EY Luxembourg Partner, Insurance Leader

Passionate about Luxembourg's insurance market. Trusted Regulatory and Audit Partner. Married and happy father of two. Interested in golf, cricket. Active in the field of education.

Vanessa Müller

EY Luxembourg Consulting Partner, ESG Services Leader

Fifteen-plus years of experience in the financial services industry. Wealth management and capital markets experience. Striving for a positive footprint, professionally and personally.

4 minute read 14 Jul 2021

Au moment d’évaluer les dommages économiques, conséquences des mesures sanitaires liées à la Covid-19, les comportements des assureurs ont été jugés de manière bien diverse selon qu’ils exerçaient dans une juridiction ou une autre. 

Les grands Assureurs ont souvent été critiqués lorsqu’ils ont invoqué l’inassurabilité de la pandémie, expliquant d’ailleurs plutôt bien les mécaniques de la mutualisation. Alors même que l’opinion publique semblait découvrir ce principe fondamental du métier d’assureur, on s’est aperçu en filigrane que de grands espoirs étaient fondés sur les interventions des compagnies d’assurance pour compenser les pertes causées par l’épidémie.

Certes, il existe un super-héros assureur incarné par Bob, dit «Monsieur Indestructible» ; mais doit-on pour autant y voir un symbole que le secteur lui-même peut sauver le monde ? 


Si la mission peut paraître trop ambitieuse pour être confiée à un seul secteur, l’assurance s’est certainement déjà engagée dans la préservation de nos sociétés en inscrivant ses stratégies dans une optique durable. 

Un secteur conscient de son rôle sociétal 

À un tournant critique de la crise sanitaire, les assureurs du Grand-Duché ont pris leurs responsabilités dans le soutien de l’économie en agissant sur des dimensions dans lesquelles on ne les attendait pas forcément. Ils ont en effet investi à hauteur de 400 millions d’euros sur les 2 milliards de l’emprunt obligataire à taux négatif émis par l’État luxembourgeois. Une action empreinte du sceau de la solidarité nationale dans la mesure où cet emprunt a servi à soutenir les aides étatiques. Une action même amplifiée puisque les assureurs avaient eux-mêmes décliné ces aides comme le mentionnait un communiqué de l’Association des Compagnies d’Assurances (ACA) qui remonte au confinement : «Malgré l’importante baisse d’activité, les principaux assureurs ont renoncé à formuler des demandes de chômage partiel et ont gardé toutes les équipes au travail.» 

Un effort qui a tout de même porté sur près de 4.000 employés. Cette renonciation s’est accompagnée d’une réflexion sur la possibilité de transformer les changements impliqués par cette crise en opportunités de développement pour le secteur. 

Digitalisation, adaptation des produits, renforcement de la relation avec la clientèle, sont ainsi des exemples parmi d’autres des pistes considérées par l’ACA et ses membres. Anecdote peut-être plus confidentielle mais en son temps parlante ; dans un monde sur lequel la pandémie n’avait pas encore fondu, l’émergence sur le segment micro-assurance de compagnies d’assurance mondialement réputées représentait un exemple concret que le secteur se rendait activement solidaire de sujets de sociétés jusque-là sous-estimés. 

Ces exemples contextuels sont grandement louables mais des problématiques d’envergure mondiale se dressent comme le véritable défi pour le secteur

Tout proche de nous, les inondations et les pluies diluviennes devenant toujours plus nombreuses ces dernières années ; et encore plus parlant la tornade qui s’est abattue sur le sud du pays en 2019 montrent que le Grand-Duché n’est pas épargné par les conséquences des dérèglements climatiques. 

Globalement, les assureurs, quelle que soit leur zone géographique d’exercice, sont confrontés à des évolutions qui tendent à remettre en cause leur modèle économique. Il s’agit par exemple de l’augmentation inexorable des zones inondables qui ne l’étaient pas lors de la conception de leurs produits ou encore la survenance de «la tempête du siècle» une fois par an au minimum. 

Cette thématique des risques climatiques, EIOPA (en français, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles ou AEAPP) a précisément demandé aux compagnies d’assurance de l’intégrer dans les modélisations de besoins en solvabilité depuis 18 mois. Les réflexions les plus récentes de l’autorité de supervision en sont maintenant à intégrer des stress tests climatiques dans le process ORSA (own risk and solvency assessment) avec une implémentation prévue dans moins de deux ans. Le sous-jacent à ces développements de la réglementation prudentielle trouve moins sa source dans les manifestations météorologiques qui tendent à s’aggraver, que dans la démarche qui s’impose inévitablement aux assureurs de considérer les risques liés au changement climatique dans leur stratégie globale.

Les clients des compagnies d’assurances sont euxmêmes attentifs à l’exposition que peuvent subirleurs proches ou leurs biens du fait des conséquences du dérèglement climatique. C’est ainsi potentielle- ment que toute la chaîne de souscription est en passe d’être repensée à la lumière de nouvelles pratiques environnementales : prise en compte des mesures de prévention ou actions positives de protection de l’environnement dans la conception de nouveaux produits, tarification adaptée à ces nouvelles modalités et convergence d’intérêts avec les politiques publiques sont autant de composantes qui pourraient guider le développement des activités du secteur. 

Une démarche d’autant plus logique que le secteur des assurances et a fortiori ses leaders mondiaux ont fait partie des précurseurs du secteur financier dans le domaine de la responsabilité Sociale d’entreprises. 

Des investissements en faveur de la lutte contre le changement climatique qui s’imposent logiquement aux assureurs, dans la mesure où les expositions aux évènements naturels font partie des aléas qui influ- encent fréquence et sévérité et donc la tarification et la rentabilité des compagnies. Avec le recul, les actions entreprises dans le domaine des risques climatiques ne l’étaient peut-être qu’en réaction à des constats tangibles et alarmants. 

C’est par exemple l’analyse qu’on pourrait porter sur les actions qui visaient à limiter les couvertures en assurances d’activités ou d’organisations qui présentaient un bilan carbone déraisonnablement élevé. 

Les nouvelles orientations des stratégies des grands assureurs mondiaux mettent ainsi en avant la conception de produits et solutions qui visent à aider les organisations dans leur transition vers un modèle à faible émission carbone ou soutenant les communautés qui se voient de plus en plus menacées par des risques d’inondation, de feux de forêts ou d’autres catastrophes naturelles. 

Un exemple qui illustre le nouveau cap que prennent les dirigeants des compagnies d’assurance en s’employant à réaligner leurs plans de développement avec la raison d’être et la portée sociétale de leur activité. 

En émerge une préoccupation centrale qu’est la création de valeur à long terme en ne s’appuyant plus exclusivement sur une mesure de la performance basée sur des données chiffrées. De nombreux assureurs ont par exemple embrassé les principes du capitalisme inclusif et ont entamé une démarche pour définir des critères de succès basés sur des indicateurs relatifs à la prise en compte de la diversité des talents, aux besoins réels des consommateurs, à l’impact sociétal et environnemental des activités ainsi qu’à la gouvernance d’entreprise. 

Une initiative suivie par de nombreuses organisations à dimension internationale qui ont vocation à faire émerger un ensemble de points de mesure comparables et de narratifs complémentaires afin d’introduire une certaine fiabilité dans la lecture des activités entre acteurs économiques, mais aussi vis-à-vis de la clientèle. Les assureurs feront certainement partie des premiers adoptants, dans la mesure où les banques d’investissement européennes prennent déjà en compte certaines données à composante ESG (environnemental, social et de gouvernance) dans leur modèle d’évaluation des sociétés d’assurance et de réassurance. 

Le concept de «Protection Gaps», qui va pouvoir payer ? 

Les risques non assurés – ou Protection Gaps –représentent un enjeu majeur dans les réflexions stratégiques des grands assureurs mondiaux. 

Dans les conséquences des enseignements de la crise sanitaire, s’est reposée la question de la pérennité de certains de nos modèles sociaux, tout comme celle de la capacité des États à intervenir en temps de crise. Sur le plan social, c’est le financement des régimes de pension et son possible relais par les grands acteurs de l’assurance qui refait surface de manière sérieuse, tout comme une extension de ces considérations sur les systèmes de santé ou encore la prise en charge des catastrophes naturelles de grande ampleur. 

Les assureurs investissent dans des outils technologiques faisant intervenir des intelligences artificielles qui sont censées leur permettre d’adapter les produits et leur tarification à des situations particulières. 

Ces Protection Gaps sont également des vecteurs de croissance pour le secteur en plus d’une opportunité d’apporter une contribution significative à nos modèles de sociétés. 

Une opportunité qui s’accompagne également de défis technologiques et opérationnels dans la mesure où l’innovation sera clé dans la manière d’aborder la conception des produits et la maîtrise des ratios de solvabilité. 

Le jeu en vaut certainement la chandelle, tel que le souligne une analyse reprise dans l’étude 2021 EY Global Insurance Outlook, et qui quantifient qu’un risque non assuré coûte 7 fois plus aux contribuables que s’il faisait partie de l’offre d’un assureur. 

Une problématique qui place les actions ESG (environnemental, social et de gouvernance) au centre des stratégies long terme des Assureurs. 

Ces derniers mois ont marqué une accélération de la finance durable et du sujet connexe de l’ESG, en réponse d’une part à l’évolution des enjeux sociétaux, mais aussi en réaction aux nouvelles obligations réglementaires portées par le plan d’action européen qui s’imposent à la majorité des acteurs du secteur financier. La transition vers une économie plus verte passe nécessairement par un engagement fort de ce secteur, y compris des assureurs. Cette participation est par ailleurs très scrutée. Il y a les expositions aux risques nouveaux indiqués précédemment, mais aussi désormais les attentes affirmées des clients quant aux engagements et actions ESG de leur assureur. En conséquence de quoi 70% des assureurs européens interrogés dans une étude EY rapportent le développement de produits «durables» en 1. 

Ces questions sont aussi résolument au cœur des préoccupations des employés. «Nos employés s’attendent à ce que nous nous concentrions sur le changement climatique», déclare un dirigeant. Une autre note : «Nos employés veulent que nous fournissions des produits à un plus large éventail de clients».

Se concentrer sur ces sujets permettra aussi d’agir sur l’attraction et la rétention des talents chez les assureurs, notamment parmi les jeunes générations. 

Enfin, les exigences des investisseurs et agences de notation, qui attribueront des notes ESG aux assureurs sont une autre préoccupation majeure, car de tels classements peuvent avoir un impact conséquent sur leur valorisation, mais aussi sur leur réputation. 

Incarner la mission sociétale par les actes

94% des dirigeants d’assurance luxembourgeois interrogés dans le cadre d’une étude de l’ACA estiment que la durabilité sera importante pour le succès futur de leurs entreprises. 

Preuve que le secteur a conscience des enjeux de sa mission sociétale. 

Le champ d’action reste toutefois à investir pleinement, comme il ressort de l’étude EY de mars 2021 «How European Insurers are advancing the sustainability agenda» menée auprès d’assureurs européens : 

- Améliorer les performances par rapport aux indicateurs environnementaux, en particulier en ce qui concerne le développement de produits innovants ; 

- Combler les lacunes en matière d’inclusion et de diversité au niveau du conseil d’administration et de la direction, et plus largement dans l’ensemble de l’organisation (la proportion de femmes membres du conseil d’administration d’assureurs européens est de 33%). 

- Étendre la gouvernance du développement durable à l’ensemble de l’écosystème, pour couvrir les tiers et les fournisseurs (43% des participants déclarent considérer l’impact de leurs fournisseurs et seuls 17% se disent prêts à mettre fin à une relation si certains standards ne sont pas atteints). 

Les assureurs doivent également garder à l’esprit qu’ils ont un rôle moteur à jouer dans l’amélioration de la performance des autres secteurs. Les entreprises peuvent faire progresser la durabilité grâce à leurs décisions de souscription, leurs choix d’investissement et en s’engageant avec les clients sur les questions ESG.

Un article paru dans AGEFI Luxembourg en Juillet 2021.

Summary

Au moment d’évaluer les dommages économiques, conséquences des mesures sanitaires liées à la Covid-19, les comportements des assureurs ont été jugés de manière bien diverse selon qu’ils exerçaient dans une juridiction ou une autre. 

Les grands Assureurs ont souvent été critiqués lorsqu’ils ont invoqué l’inassurabilité de la pandémie, expliquant d’ailleurs plutôt bien les mécaniques de la mutualisation. Alors même que l’opinion publique semblait découvrir ce principe fondamental du métier d’as- sureur, on s’est aperçu en filigrane que de grands espoirs étaient fondés sur les interventions des compagnies d’assurance pour compenser les pertes causées par l’épidémie.

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Brice Bultot

EY Luxembourg Partner, Insurance Leader

Passionate about Luxembourg's insurance market. Trusted Regulatory and Audit Partner. Married and happy father of two. Interested in golf, cricket. Active in the field of education.

Vanessa Müller

EY Luxembourg Consulting Partner, ESG Services Leader

Fifteen-plus years of experience in the financial services industry. Wealth management and capital markets experience. Striving for a positive footprint, professionally and personally.