Réaffirmés par l'Accord de Coalition du Gouvernement en place, les travaux se poursuivent en vue de réviser la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le Budget. L'objectif est d'adopter d'ici 2028 les normes comptables IPSAS (normes internationales de comptabilité pour le secteur public) et EPSAS (normes européennes), malgré les défis liés au passage d'une comptabilité de caisse à une comptabilité d'exercice.
Celle-ci devrait permettre en particulier :
- De fournir une image plus complète des ressources financières du gouvernement, des obligations, de la performance, et de l'impact économique de ses actions.
- Une meilleure prise de décision concernant l’allocation des ressources, la budgétisation, et la politique fiscale.
- De renforcer la transparence vis-à-vis du public et autres parties prenantes quant au résultat économique des actions gouvernementales.
- D’harmoniser les pratiques comptables au sein de l’Union Européenne, permettant une comparabilité avec et les autres pays membres, contribuant à une meilleure évaluation de la performance et de la position fiscale du pays.
Le processus de réforme implique en effet non seulement de changer les pratiques comptables mais aussi de former les fonctionnaires du gouvernement, de moderniser les processus comptables et financiers et systèmes sous-jacents, et de réviser les cadres juridiques pour soutenir la nouvelle méthodologie comptable.
Par exemple, il a fallu environ quatre ans et demi à la France pour effectuer une telle transition, en considérant le temps écoulé depuis la promulgation de la Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 jusqu'à la présentation en 2006 des états financiers du gouvernement en droits constatés, selon les nouvelles règles applicables ; des affinements et améliorations supplémentaires du processus et cadre comptable ont par ailleurs continué bien au-delà de cette période. Également, le Conseil fédéral suisse a décidé de mettre en œuvre un modèle comptable harmonisé pour la Confédération basé sur les IPSAS en décembre 2002 ; le lancementpartiell des nouvelles normes comptables a commencé au cours des années suivantes, avec des changements significatifs introduits en 2007 lorsque l'Administration fédérale des finances a publié les premiers états financiers selon le nouveau modèle, qui reflétait les principes des IPSAS. L'adoption complète, avec la publication de l'ensemble des états financiers du gouvernement conformément aux IPSAS, a été réalisée avec les états financiers de l'année 2010, ce qui signifie que le processus allant de la décision à l’implémentation intégrale a pris approximativement huit ans.
De l’expérience vécue dans les pays ayant adopté les IPSAS ou des normes équivalentes pour le secteur public, il en ressort les principaux défis suivants pour les gouvernements lors de la mise en œuvre des IPSAS :
- Coût de la conversion : Le passage aux IPSAS nécessite souvent un investissement initial significatif tant en termes de ressources financières qu'humaines. Les gouvernements peuvent avoir besoin d'investir dans de nouveaux logiciels comptables, des formations pour le personnel, et le développement de nouveaux processus et contrôles.
Selon la Commission européenne[i], le coût de transition dans des pays de petite à moyenne taille pouvait en 2013 atteindre jusqu'à 50 millions d'euros (soit un montant supérieur à 60 millions d’euros de nos jours après inflation), indiquant par ailleurs qu’un pays de la taille de la France avait dépensé entre 2003 et 2013 plus de 1500 millions d'euros pour mettre en œuvre les réformes de la comptabilité et du budget.
En général, les études considérées par l’Union européenne présentent un coût estimé entre 0,02 et 0,1 % du PIB.
- Manque de personnel formé et résistance au changement : La formation du personnel est un élément clé pour réussir la transition comptable. Les comptables et autres professionnels de la finance ne sont pas toujours prêts pour les exigences liées à la tenue d’une comptabilité d’exercice, rendant plus difficile la mise en œuvre et le maintien des nouvelles normes dans le temps.
De plus, ce type de projet tend à ajouter une certaine pression sur les acteurs impliqués ; dans ce contexte, ceux-ci, par ailleurs habitués aux normes comptables préexistantes peuvent naturellement résister au passage à un nouveau système, surtout s'il est perçu comme plus laborieux ou complexe.
Par exemple, le retour d'acteurs impliqués dans la transition vers la comptabilité d'exercice aux Fidji[ii] souligne en particulier que le gouvernement local avait essayé initialement de faire « trop de choses trop tôt », entreprenant de nombreux projets simultanément à de nombreux niveaux du gouvernement pour la migration, avec notamment pour conséquence une surcharge du personnel impliqué, et des in fine des retards significatifs dans la réalisation de la réforme comptable.
- Complexités techniques et opérationnelles liées à l’application des IPSAS: ces normes internationales sont hardues, ce qui rend leur compréhension et leur mise en œuvre difficile, celles-ci continuant par ailleurs continuellement d’évoluer.
Opérationnellement, à titre d’exemple, les entités du secteur public doivent pouvoir anticiper la nécessité de réaliser un inventaire complet de leurs actifs pour garantir que toutes les immobilisations corporelles qui doivent être reconnues sont effectivement prises en compte dans les états financiers.
Techniquement, les entités publiques doivent notamment déterminer la méthode d’évaluation appropriée en accord avec les IPSAS, et ce aussi pour des actifs et des passifs qui ne sont pas communs à d'autres organisations, tels que des actifs militaires, certaines infrastructures, le patrimoine culturel, les programmes d'assurance sociale, etc., amenant parfois des problématiques d’évaluation de valeur de marché délicates à appréhender.
- Gestion des données et infrastructure informatique : L'adoption des IPSAS peut nécessiter la mise à niveau ou la révision complète des systèmes informatiques pour gérer les données comptables basées sur l'exercice. La qualité et la gestion des données sont des défis clés pour assurer des rapports précis et en temps opportun. De même, le choix et/ou de la conception de l’infrastructure informatique revêt un caractère critique, une décision inadaptée en la matière pouvant naturellement grandement contribuer à l’échec d’une transition.
L'expérience de la Belgique sur le passage vers une comptabilité d'exercice nous apprend par ailleurs les difficultés résultant du manque d'implication de l'équipe des Finances dans la conception et la mise en œuvre du système informatique[iii].
- Problématiques locales de comparabilité et de cohérence dans le temps suite au changement de présentation comptable et financière : La comptabilité d'exercice peut impliquer la présentation de passifs précédemment non reconnus selon les normes précédemment appliquées, comme les obligations de retraite, nécessitant une certaine anticipation d’un point de vue budgétaire et dans la communication vis-à-vis du public et autres parties prenantes.
Également, la phase d’implémentation peut entraîner des incohérences à la fois dans les rapports d'un organe étatique au fil du temps et entre les organes étatiques à mesure qu'ils adoptent les IPSAS à des rythmes différents.
- Cadres légaux et réglementaires : Dans de nombreux cas, les lois ou réglementations préexistantes peuvent être basées sur les principes de la comptabilité de caisse et peuvent nécessiter des révisions à grande échelle pour être compatibles avec les IPSAS.
Pour conclure, aborder ces défis nécessite une planification soigneuse, un effort constant, et le soutien de tous les niveaux du gouvernement.Cela implique souvent une approche progressive de la mise en œuvre qui tient compte des besoins et capacités spécifiques des entités gouvernementales individuelles. C’est à ce prix que les pouvoirs publics pourront profiter dans les délais annoncés des bénéfices de leur réforme, et à terme obtenir une certification des états financiers de l’Etat par un réviseur d’entreprises agréé.
[i] Commission, E., 2013. Towards implementing harmonised public sector accounting standards in Member, Brussels: European Commission.
[ii] Tickell, G., 2010. Cash To Accrual Accounting: One Nations Dilemma. International Business & Economics Research Journal (IBER), 9(11).
[iii] Piron, D. & Legrand, F., 2019. Néolibéralisme, New Public Management et comptabilité : trois décennies de, Liège: ResearchGate.