L'immobilier figure actuellement parmi les plus grands risques pour le secteur bancaire, à côté de ceux liés aux taux d'intérêt et aux conséquences des incertitudes économiques et géopolitiques, livre José Manuel Campa, président de l'EBA (European Banking Authority), dans une interview du 18 mars dernier1.
A la suite de la crise immobilière de 2008, le marché immobilier luxembourgeois, grâce à sa rentabilité attrayante, a très vite été la cible d’investissements massifs. L’augmentation significative des prix dans ce secteur s’explique d’abord par la forte croissance du secteur financier entraînant une demande de plus en plus forte et également par un contexte de taux d’intérêts bas qui a favorisé l’accès à l’emprunt immobilier.
La crise du COVID en 2020 et les confinements successifs ont provoqué une désertion des espaces de bureaux. La pratique du télétravail s’est normalisée, questionnant la nécessité d’espace de bureau aussi vastes. Malgré la fin de la crise sanitaire, ces questions perdurent tant pour exercer les activités de service, mais aussi sur les valeurs et rendements à attendre de l’immobilier commercial.
Cela n’a pas empêché les banques luxembourgeoises de continuer à financer le secteur de la promotion toujours en plein essor, tant sur l’immobilier neuf résidentiel que commercial. Les crédits accordés aux promoteurs immobiliers pour le secteur résidentiel ont été multipliés par deux entre 2019 et 2021, alors qu’ils ont augmenté de +43% pour l’immobilier commercial2.
A partir de 2022, la hausse des taux a rapidement stoppé cette croissance, entraînant une chute du nombre d’actes notariés pour de l’immobilier neuf de -26,4% en 2022 et de -68,2% en 20233.
Deux facteurs expliquent ce phénomène.
D’une part, face à la hausse des taux les investisseurs -particuliers et institutionnels- se sont désintéressés de payer au prix fort de l’immobilier neuf quand leur charge d’emprunt explose.
Cela a eu pour conséquence directe une baisse générale des prix de vente et particulièrement sur les appartements vendus en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement), dont le prix moyen au mètre carré a diminué -10,1% sur le dernier trimestre 20234.
De leur côté, les promoteurs disposent d’un stock grandissant de biens disponibles qui ne trouve pas preneur. Certains préfèrent parfois retirer les biens disponibles du marché afin d’éviter des décotes sur le prix de vente et la matérialisation de pertes commerciales.
Ceci rajoute une couche de difficultés supplémentaires à certains promoteurs immobiliers (et les sociétés de construction partenaires) qui n’ont pas d’autre choix que d’attendre que la situation économique s’améliore et que les taux d’intérêts diminuent, tout en gérant les prêts qu’ils ont contractés auprès des banques de la place.
Les promoteurs se font généralement financer l’acquisition du terrain et contractent un prêt-ballon à taux variable à moyen terme (5-7 ans) à une ou plusieurs banques qu’ils remboursent grâce aux réservations faites par les clients-acquéreurs lors de la commercialisation du projet. Si le nombre de ventes s’essouffle, le promoteur n’est plus en mesure de rembourser son prêt dans les temps et doit renégocier la durée de son prêt en plus du retard pris dans la construction. Les frais financiers des projets augmentent, la construction doit être financée par ses fonds propres et les prix de vente sont rabaissés affectant la rentabilité du projet et fragilisant sérieusement la liquidité du promoteur.
Par conséquent, les banques font face à plusieurs défis.
A la vue du contexte économique, les banques ont nettement réduit leur appétit de financer des nouveaux projets de promotion.
Selon les statistiques publiées par la BCL, les nouveaux encours de crédits accordés aux promoteurs immobiliers ont diminué de 33% en 20235.
Les promoteurs étant en manque de liquidité et les délais de finalisation étant difficilement atteignables à cause des tensions du marché, les banques vont devoir faire face à des vagues de refinancement et des demandes de prorogations dans les mois à venir et le risque de crédit porté sur ce portefeuille va mécaniquement augmenter.
Les projets immobiliers étant financés via des véhicules d’investissements dédiés et les cautions généralement difficiles à activer en cas de défaut, limitent les recours possibles des banques qui s’exposent à une saisie du projet en cours et une possible vente forcée. Ces paramètres doivent être pris en compte dans le calcul du provisionnement des expositions en cas de défaut.
De son côté, le régulateur a densifié la supervision des banques luxembourgeoises sur leur suivi du risque de crédit lié au secteur immobilier. Cela s’est traduit par l’introduction de nouvelles circulaires sur le suivi du délai des projets de promotion immobilière, de nouvelles remontées périodiques d’informations et des inspections dédiées à cette thématique.
Il les incite fortement à contacter leurs clients promoteurs via des questionnaires de prise de contact périodiques sur des thèmes précis et à collecter des informations financières récentes. L’objectif est de détecter au plus tôt la volonté du client de renégocier les termes de son crédit si des difficultés financières sont à prévoir.
Face à la nette augmentation du risque de crédit sur les promoteurs immobiliers et ses prestataires, le régulateur s’attend à ce que les banques accroissent le suivi individuel des contreparties par des déclassements en « watchlist », voire en défaut. Il s’attend également à une évaluation plus pointue des créances pouvant s’avérer douteuses.
Les banques luxembourgeoises, ayant dans leurs comptes encore très peu de créances douteuses et défauts des acteurs de la promotion, font face à des contraintes règlementaires accrues pour mieux capter les augmentations significatives du risque de crédit des clients en difficultés financières. Elles doivent créer et développer des procédés de détection d’alerte précoce et de gestion de ses expositions non-performantes, dans la continuité de ce qui a été demandé pendant la crise COVID.
Les méthodologies de provisionnement sont également en train d’évoluer afin de mieux capturer l’effet temps, l’actualisation des flux de trésorerie futurs du débiteur et les frais supplémentaires liées à une saisie et une vente forcée. Il ne suffit plus de regarder seulement la valeur du terrain mis en hypothèque mais également la solvabilité du débiteur.
Les perspectives à court terme sur le secteur de l’immobilier restent négatives avec des taux d’intérêts dont la baisse annoncée par les grandes banques centrales tarde à arriver. Certains acteurs du secteur sont de plus en plus affectés et la relance de la demande peine à s’activer, dans l’attente de mesures gouvernementales concrètes et une inflation qui tarde à trouver les niveaux attendus par les banques centrales.
Les banques luxembourgeoises sont-elles prêtes à faire face aux futures évolutions de la crise du secteur immobilier ? Celles pour lesquelles le risque de concentration sur l’immobilier est fort sont contraintes de revisiter leurs procédures de suivi du risque de crédit afin de les adapter aux nouveaux risques émergents et miser sur la détection des premiers signes de difficultés financières plutôt que de constater l’augmentation du risque de crédit lors des premiers impayés.
Plusieurs solutions s’offrent maintenant à elles.
Nous observons un attrait des fonds spécialisés dans le rachat de créances pour le rachat de créances en défaut ou en difficulté à des banques qui veulent assainir leur bilan et leur stock de provisions.
Elles peuvent également procéder à une restructuration générale de leur portefeuille de crédits, seules ou collectivement afin d’adapter et d’harmoniser leurs pratiques aux nouvelles conditions de marché.
Enfin, le gouvernement a également une carte à jouer à court terme pour aider les acteurs professionnels de l’immobilier et sur le long-terme à travers sa stratégie de développement du secteur immobilier.