Ein Porträtfoto von Nicolas Durand
On entend particulièrement les milieux médicaux, mais pas beaucoup les milieux scientifiques.

Nicolas Durand

Nicolas Durand est le fondateur et CEO d’Abionic SA, qui a mis au point la plate-forme de diagnostic in vitro la plus rapide du monde, l’abioSCOPE. Titulaire d’un brevet de pilote de voltige aérienne, il est administrateur de la Chambre vaudoise de commerce et d’industrie, mais aussi officier de renseignement de l’armée suisse. Diplômé de l’EPFL en micro-ingénierie, ses travaux de doctorat ont débouché sur plusieurs publications et brevets, à l’origine de la technologie d’Abionic.

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12 May 2021

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12 Mai 2021

Alors que le coronavirus continue de faire les gros titres, de dominer la politique et l’agenda des entreprises, une nouvelle normalité commence à se dessiner. EY a demandé à plusieurs leaders d’opinion et décideurs de faire le point et de partager leurs idées sur les prochaines étapes. Nicolas Durand, fondateur et CEO d’Abionic SA, parle du rôle des milieux médicaux et des milieux scientifiques en période de crise.
Comment décrire une journée standard en tant que CEO d’Abionic aujourd’hui ?

Elle est relativement similaire à l’avant-Covid. Parmi nos collaborateurs, nous sommes une grande majorité à venir travailler sur place, en respectant les règles sanitaires. Ce qui a changé, c’est la difficulté de voyager, ce qui est très handicapant : on avait l’habitude de voyager pour mettre en place des collaborations, chercher des clients, accompagner certains utilisateurs. Mais on ne peut pas se permettre de faire systématiquement des quarantaines.

Comment décrirais-tu l’environnement sociétal dans lequel on se trouve aujourd’hui ?

De manière assez triste : on souffre de cette folie collective, de cette dictature sanitaire. Je pense qu’il y a une forme d’exagération un petit peu surprenante. On essaie de faire avec, de trouver dans chaque crise son lot d’opportunités mais en tant que société spécialisée dans le diagnostic médical, on a parfois de la peine à comprendre certaines mesures.

As-tu l’impression que les milieux scientifiques ne sont pas assez entendus ?

Oui et non. Il faut déjà définir les milieux scientifiques. On entend particulièrement les milieux médicaux mais on n’entend pas beaucoup les milieux scientifiques. Je pense que la task force nationale actuelle est surtout constituée de médecins et de cliniciens, mais malheureusement pas de gens représentant d’autres métiers complémentaires (comme des psychologues, des enseignants, des ingénieurs, etc.) qui pourraient apporter des perspectives différentes.

Tu dirais que le politique a laissé la main aux médicaux ?

De manière générale, on les a malheureusement un peu trop entendus. On a trois catégories de personnes qu’on n’aurait peut-être pas dû mettre ensemble : les politiciens, les médecins et les journalistes. En mettant ces trois profils ensemble, vous obtenez le parfait cercle vicieux pour créer une société qui vise le risque zéro et qui préconise de vivre en milieu hermétique.

Si on revient à Abionic, j’imagine que la crise vous a posé de nombreux défis. As-tu dû réorienter vos priorités, et si oui, comment ?

Ce fut un immense problème au départ : on avait prévu une levée de fonds assez importante et dès que la crise a démarré, les potentiels investisseurs intéressés ont renoncé à l’opportunité du jour au lendemain. Le fait qu’on ne puisse plus voyager a aussi compromis nos plans de commercialisation. Nous ne pouvions plus aller voir les médecins pour leur présenter nos produits, ils étaient tous obnubilés par le SARS-CoV-2.

Est-ce que vous avez trouvé un moyen de réinventer la fonction commerciale, sans rendre visite aux clients ?

Le bon côté de cette crise, c’est que ça a forcé tout le monde à faire un pas en avant vers la digitalisation. On a pu trouver des solutions avec les médecins les plus avant-gardistes et ouverts à tester de nouvelles technologies, mais ils ne représentent malheureusement pas la majorité des cas.

Le bon côté de cette crise, c’est que ça a forcé tout le monde à faire un pas en avant vers la digitalisation.
Nicolas Durand
Founder and CEO of Abionic SA
Donc, une accélération de la digitalisation grâce à la crise. A-t-elle créé d’autres opportunités ?

Nous nous sommes orientés vers le développement d’un test de sévérité des patients Covid-19, qui pouvait être utile sachant que la plupart de ces patients décèdent de sepsis viral (tempêtes cytokines). Nous voulions fournir gratuitement nos machines aux laboratoires et aux médecins de la région. On a été très frustrés et très déçus de n’essuyer quasiment que des refus. Dans l’histoire de l’humanité, l’innovation a toujours été un élément clé pour aider à surmonter les crises, mais dans ce cas, nous avons été choqués de constater que l’innovation était a été complètement reléguée au second plan. On a principalement travaillé avec des hôpitaux étrangers, qui eux avaient le courage d’essayer et qui sont convaincus. Les entreprises certifiées dans le secteur du diagnostic en Suisse se comptent sur les doigts d’une ou deux mains, et pourtant nous n’avons pas été pris au sérieux.

Dans l’histoire de l’humanité, l’innovation a toujours été un élément clé pour aider à surmonter les crises, mais dans ce cas, nous avons été choqués de constater que l’innovation était a été complètement reléguée au second plan.
Nicolas Durand
Founder and CEO of Abionic SA
Comment on gère cette frustration, en maintenant la motivation de l’équipe ?

Nos collaborateurs se lèvent le matin avec l’envie de sauver des vies. Notre test de sepsis peut vraiment sauver plusieurs millions de personnes chaque année. Pourtant, même avec une technologie fantastique qui peut aider le patient, on constate que beaucoup de personnes se dressent en travers. On essaie d’y travailler de la façon la plus positive possible et de manière collaborative, mais parfois il faut accepter que ça ne passe pas et se concentrer sur des segments plus ouverts à ce niveau technologique.

Avez-vous mis en place des mesures spéciales pour accompagner l’équipe ?

Les deux tiers de l’équipe sont des biologistes ou des techniciens de production, et on n’a pas encore la possibilité de faire de la production en home office, donc ils devaient venir sur place, mais la question s’est posée pour les managers. La plupart font le trajet tous les jours parce qu’ils apprécient leurs collègues et notre environnement de travail qui respecte les normes sanitaires. Cela nous permet d’avoir cette relation sociale qui est primordiale au sein d’une entreprise comme la nôtre.

La mission est donc assez forte pour garder l’équipe motivée ?

Absolument. Nos collaborateurs savent que nous ne prendrons jamais une décision pour les chicaner, mais pour leur simplifier la vie. La relation de confiance que nous instaurons avec eux est absolument clé.

Quel message te laisserais-tu si tu pouvais remonter un an en arrière ?

L’aviateur que je suis dirait : accroche-toi au manche, ça va secouer, mais on en sortira plus forts.

La « nouvelle normalité » concerne-t-elle ton secteur ?

Notre industrie est suffisamment « essentielle » pour continuer ses activités de la manière la plus normale possible. À part les voyages, rien n’a changé fondamentalement.

Est-ce que les attentes de vos clients ont changé ?

Oui, nous avons constaté une focalisation sur le Covid, alors que le besoin dans le domaine du sepsis est beaucoup plus important, avec 11 millions de morts par année. Mais arriver avec un système point of care alors que les laboratoires ont une mainmise sur toute la partie diagnostic, ça ne se fait pas du jour au lendemain, plus encore en période de crise.

Quels sont les objectifs d’Abionic à court, moyen et long terme ?

À court terme, un succès avec la commercialisation des tests de sepsis. On a développé des activités commerciales principalement en Europe et en Asie, nous visons maintenant les Etats-Unis et d’autres marchés clés.

Vous n’avez pas été impactés de manière majeure, finalement ?

J’ai dû me battre pour qu’on ne le soit pas, parce que plusieurs de nos actionnaires voulaient réduire très fortement la voilure ! Avec le conseil d’administration, on a dû insister pour ne surtout pas trop réduire nos activités et expliquer qu’on tuerait la substance de l’entreprise en diminuant trop fortement son principal atout, qui est son capital humain. Une forme de panique s’est installée. Les gens se disent de manière générale qu’en dépensant moins, on peut tenir plus longtemps, ce qui n’est pas forcément un bon calcul, puisque l’intérêt c’est aussi de pouvoir reprendre de plus belle une fois que la crise est passée. Mais si on perd la substance, c’est très compliqué.

Comment gères-tu l’incertitude ?

Je ne sais pas si l’incertitude se gère, par définition. Notre motto a toujours été la persévérance dans la résilience. On s’accroche, on se bat, on va jusqu’au bout, on veut réellement changer le monde pour quelque chose de plus positif. Oui, c’est compliqué, oui, c’est dur, mais à la fin on s’en fiche : on le fera. Et c’est ça qui nous motive et qui fait qu’on se lève le matin avec le sourire.

La résilience est-elle innée ou peut-elle s’apprendre ?

De mon point de vue, la résilience ressemble au fait d’apprendre une nouvelle langue. Même celui qui n’est pas doué finira par l’apprendre s’il est plongé dedans suffisamment longtemps. On n’a simplement pas le choix et on s’adapte.

De mon point de vue, la résilience ressemble au fait d’apprendre une nouvelle langue. Même celui qui n’est pas doué finira par l’apprendre s’il est plongé dedans suffisamment longtemps.
Nicolas Durand
Founder and CEO of Abionic SA
On entend beaucoup parler de l’importance de la responsabilité sociétale, de redonner quelque chose à la société avec un grand S. Est-ce que c’est quelque chose qui est important pour toi ?

Oui, évidemment. Quand on a décidé avec mon cofondateur Iwan Märki de créer Abionic, on a décidé de le faire ici, pour l’écosystème suisse. Et dans le contexte de la crise actuelle on a immédiatement décidé d’y contribuer en donnant gratuitement nos tests et nos machines pour aider les hôpitaux à y faire face. Cette volonté de faire quelque chose pour l’écosystème, elle existe bel et bien.

Avez-vous des objectifs de développement durable chez Abionic ?

Aujourd’hui, les thèmes du développement durable et de l’écologie sont absolument clés. Evidemment, nous essayons à notre échelle d’intégrer ces notions dans toutes nos réflexions, mais notre principale mission c’est d’aider les gens à bénéficier de nos tests et de survivre au sepsis. C’est difficile d’être parfait partout, surtout dans les phases de démarrage et de croissance.

Le mot de la fin ?

Dans le pays numéro un de l’innovation, on aimerait inciter les gens à être plus optimistes, plus courageux avec les nouvelles technologies. Je pense qu’il faut considérer plus sérieusement les start-ups qui peuvent faire une différence positive pour notre société, sans ne voir systématiquement que les risques.

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