A portrait of Yann Tissot
Nous avons continué à valoriser le Swiss Made.

Yann Tissot

Détenteur d’un doctorat en photonique de l’EPFL, Yann Tissot, CEO et fondateur de L.E.S.S. SA, a acquis des connaissances supplémentaires en gestion de systèmes et en entrepreneuriat à l'Université d'Oxford et au Babson College de Boston tout en travaillant dans des entreprises de haute technologie pendant quatre ans. Ancien nageur de compétition, il revient dans la course sur le campus lausannois grâce à une bourse à l’innovation pour ses recherches, où il a eu l’idée d’adapter à l’éclairage les techniques d’amplification des signaux.

7 minutes de lecture
16 juil. 2021

Alors que le coronavirus continue de faire les gros titres, de dominer la politique et l’agenda des entreprises, une nouvelle normalité commence à se dessiner. EY a demandé à plusieurs leaders d’opinion et décideurs de faire le point et de partager leurs idées sur les prochaines étapes. Yann Tissot, CEO et fondateur de L.E.S.S., nous parle de la fragilité des écosystèmes et de l’importance de l’entraide en période de crise.
Yann, à quoi ressemble une journée standard pour toi, de nos jours ?

La journée standard aujourd’hui se résume à beaucoup de contacts clients via Zoom, Teams, ce qui nous permet de garder le relationnel et de rassurer nos clients. C’est plutôt une séquence de meetings à distance que des voyages d’affaires dont j’avais l’habitude avant la crise.

Comment est l’environnement général actuellement ?

On voit une forte polarisation chez nos clients dans l’automobile. D’une part, certains gros clients déjà bien établis sur le marché adoptent une stratégie conservatrice en coupant massivement les budgets d’innovation. D’autre part, de nouveaux acteurs ont émergé en faisant de cette crise une opportunité et sont en besoin d’innovation pour intégrer le marché. Quant à notre premier marché, celui de l’équipement, nous avons dû faire face à des « budget freezes » très secs et il est très difficile de planifier la reprise de ce segment à court terme. Il reste néanmoins des opportunités prometteuses, dont on va se saisir.

Donc, une forme d’évolution…

Oui, oui – ça a été une évolution très sèche au début de la crise et ça commence à se relaxer un peu. Les gens se sont habitués à la situation et ils recommencent progressivement à planifier sur le moyen terme. Ça reste quelque chose de très flottant mais, une nouvelle fois, il reste des moyens de travailler de manière constructive avec nos clients actuels et futurs.

Y a-t-il des domaines d’activité dans lesquels vous êtes revenus à une certaine normalité ?

Non, ça va prendre du temps. On a profité de cette période pour nous diversifier sur notre premier marché, en sortant de nouveaux produits qui ne sont plus exclusifs à l’horlogerie mais qui s’adaptent également à la pharma et au medtech, par exemple. En revanche, je pense que pour nos clients de longue date ça va prendre plusieurs années pour retrouver les conditions pré-Covid.

On a profité de cette période pour nous diversifier.
Yann Tissot
CEO et fondateur de L.E.S.S.
On dit que dans chaque crise, il y a des opportunités, es-tu d’accord ?

Il y a effectivement des choses qui se sont accélérées, principalement dans l’automobile : bien que certains acteurs aient fait preuve d’un surconservatisme dans l’innovation, la quasi-totalité des acteurs adoptent une stratégie de surélectrification qui s’est fortement accélérée avec la crise. Oui, il y a des opportunités, par contre ça reste une crise ! Mais à l’intérieur d’une crise il y a toujours des moyens de naviguer.

Comment as-tu tenu tes équipes et tes collaborateurs informés et motivés ?

On a mis un gros focus sur l’industrialisation et la R&D, et conservé les investissements dans ces deux départements, ce qui est rassurant pour tous sur la stratégie à moyen et long terme de l’entreprise. Nous avons fait le choix de ne pas restreindre l’effectif et nous avons réussi à mettre en place des mesures Covid efficaces (masques, distances) beaucoup plus tôt que ce qui était préconisé, pour que l’option de venir travailler soit optimale chez nous et ainsi limiter le télétravail.

As-tu pris des mesures pour préserver le moral des collaborateurs ?

R : C’est très difficile, car on a une équipe qui mixe des employés jeunes et plus âgés. Ils se retrouvaient à travers les événements sociaux régulièrement organisés, où les gens pouvaient avoir une activité sociale mais aussi dégoupiller certains craintes ou questionnements. Nous avons gardé un programme consistant dans l’industrialisation, avec des milestones précis. Mais on ne pouvait pas faire grand-chose face au manque de contacts sociaux à part permettre aux gens de venir au travail, pour rencontrer les collègues, le management, et ne pas rester cloîtrés chez eux.

Si tu disposais d’une machine à remonter le temps, quel message t’enverrais-tu avant le début de la pandémie ?

« Remember that shit happens » ! (rires) Je crois qu’une nouvelle fois, la crise mondiale est difficile à passer, mais les entrepreneurs qui sont des bâtisseurs dans l’âme et qui sont partis de rien, ont l’habitude de gérer ce genre de crise au quotidien. Il faut juste se souvenir que rien n’est jamais acquis. La crise est une bonne piqûre de rappel.

Les entrepreneurs qui sont des bâtisseurs dans l’âme et qui sont partis de rien, ont l’habitude de gérer ce genre de crise.
Yann Tissot
CEO et fondateur de L.E.S.S.
Quelques questions sur l’activité : comment résumerais-tu cette nouvelle normalité dans vos deux secteurs d’activité, l’inspection et l’automobile ?

Dans l’inspection, le marché de l’équipement est soumis à certains cycles et, en période de crise, c’est naturel d’étaler le cycle de rééquipement en usant les machines jusqu’au bout. On a saisi l’opportunité de lancer des nouveaux produits qui s’adressent à différents marchés, et principalement la pharma. Or, l’industrie pharmaceutique ne se situe pas qu’en Suisse ; la nouvelle normalité va limiter le nombre de contacts physiques et il y aura beaucoup plus de réunions intermédiaires et régulières en ligne. Cependant je reste convaincu que pour engager un deal et le clôturer il faudra pouvoir voir les gens. Au niveau de l’automobile, on a d’un côté des voitures équipées de technologies éprouvées qui capitalisent sur l’investissement dans les infrastructures précédentes et de l’autre la menace des nouveaux arrivants dans l’électrique, venus d’Asie ou d’ailleurs, qui réactivent fortement l’innovation dans le marché. Il y a une volonté de l’automobile de se transformer, ce qui est extrêmement positif pour nous. On a plus d’opportunités et notre clientèle est beaucoup plus fragmentée, avec des clients de plus petite taille mais plus dynamiques et plus innovateurs.

Ces clients, sont-ils forcés de changer ou en ont-ils la volonté ?

Ils sont clairement forcés, avec les nouvelles normes de CO2 et l’arrivée des acteurs chinois. Ils n’auraient pas changé d’eux-mêmes, ou ils auraient pris plus de temps pour effectuer cette transformation. Par contre, les nouveaux acteurs ont parfois une plus grande volonté de prendre des risques et de gagner des parts de marché. Pour le marché automobile, je pense qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde.

En conséquence, as-tu dû changer ta stratégie à long terme ?

Non. On dirait que plus de portes se sont ouvertes pour l’innovation. On voit que les arguments du gain de poids et design différentiateur commencent à porter : les clients sont obligés de réduire la consommation d’énergie, le poids – que des bonnes nouvelles pour nous. On a une stratégie plus opportuniste, pour des acteurs peut-être plus petits, plus agiles, des volumes un peu plus faibles mais qui se cumulent par le nombre d’acteurs.

On dirait que plus de portes se sont ouvertes pour l’innovation.
Yann Tissot
CEO et fondateur de L.E.S.S.
Quels sont tes objectifs à court, moyen, long terme ?

On a une roadmap qui reste très claire malgré la crise. On a continué à recruter, on a maintenu les investissements. On ne sait pas quand ça repartira, mais nous serons prêts.

Comment gères-tu cette incertitude ?

J’ai un passé de sportif d’élite. Quand on s’entraîne quatre, cinq heures par jour pour une ou deux échéances clés par année et qu’on se blesse quelques jours avant ces événements, il faut avoir des capacités de résilience et une vision claire pour prendre du recul, rebondir et reconstruire… Ce sont des valeurs universelles qui s’appliquent également au business. Avec la crise, beaucoup plus de gens viennent vers nous parce qu’ils connaissent notre crédibilité et ont pris le temps de valider les forces de notre technologie. C’est une très bonne nouvelle. Je reste convaincu par notre stratégie de diversification des clients, plutôt qu’un focus sur un ou deux monstres industriels.

Toi ou l’entreprise avez-vous acquis une responsabilité particulière dans la gestion de cette crise, entrepris et redonné quelque chose à la société ?

Ce qui était important pour nous, à l’inverse de certains collègues qui se sont séparés de leurs collaborateurs, c’était de pouvoir souder les gens autour du management avec un leadership très fort. En 2020, on a même renforcé l’équipe. C’était extrêmement important d’avoir ce message très fort : vous pouvez compter sur votre job, on ne va pas en profiter pour faire une restructuration, pour augmenter nos marges ou quoi que ce soit. L’année passée, il y a eu zéro bonus pour tout le monde. Ça demande une prise de position très forte de la part du capitaine du bateau qui navigue dans la tempête, mais qui est très assumée de ma part, qui n’est pas forcément facile à prendre vis-à-vis des différents actionnaires ou acteurs financiers. Après, au niveau de la société, nous continuons notre concept de fournir des produits qui permettent une économie de poids et d’énergie dans un design épuré. Financièrement, nous avons eu de la chance de bénéficier des prêts cautionnés par le Fonds de technologie. Sur notre premier marché, on a continué à miser sur nos fournisseurs suisses, à valoriser le Swiss Made, quitte à diminuer nos marges.

C’était extrêmement important d’avoir ce message très fort : vous pouvez compter sur votre job, on ne va pas en profiter pour faire une restructuration.
Yann Tissot
CEO et fondateur de L.E.S.S.
Les attentes des actionnaires et des différentes parties prenantes ont-elles évolué ?

Joker ! (rires) Au début, certains n’ont pas compris l’ampleur de la crise mais dès qu’elle s’est généralisée et qu’elle a duré, ils ont plutôt salué la bonne gestion du cash-flow et de la boîte, malgré le manque de ventes. Après, on ne peut pas plaire à tout le monde, certains actionnaires seront contents, d’autres non.

As-tu subi des pressions de leur part dans ta manière de gérer la crise, de tenir le cap ?

La pression est relativement régulière… Ce sont des choses qui se discutent, qui s’assument mais à la fin les actionnaires ont encore confiance dans le management.

En matière de développement durable, avais-tu défini des objectifs pour la société ? Est-ce qu’ils ont changé, as-tu pu les atteindre ?

Non, ils n’ont pas changé. C’est principalement le produit lui-même qui est focalisé sur le développement durable. En interne, on avait pris le parti, depuis déjà longtemps, même si ça coûtait un peu plus cher, de faire une entreprise industrielle au sein d’une ville, parce que les gens peuvent utiliser les transports publics, aller rapidement au café, au restaurant, sans avoir besoin de faire 50 km en voiture. Ce choix est assumé et nous n’avons pas prévu de déménager pour aller chercher des locaux moins chers.

Avec vos produits, vous contribuez aussi aux objectifs de développement durable de vos clients…

C’est surtout ça. On ajoute de la valeur à nos clients, mais aussi de l’économie d’énergie, de l’économie de poids, et ils apprécient.

Question plus philosophique : la résilience est-elle innée ou peut-on l’acquérir ?

Je pense que si on a eu une vie toujours lisse, c’est très difficile de trouver de la résilience. Je reprends l’exemple du sportif : quand vous avez une blessure, il faut savoir prendre du recul et se reconstruire, repartir à zéro. Je pense que c’est le parcours de vie qui va donner l’énergie très spécifique à l’entrepreneur pour être totalement résilient. Le Covid, c’était une surprise pour tout le monde, mais pour moi c’est finalement devenu un challenge de plus.

Un dernier message ?

On espère tous que ça va aller mieux. Ce n’est pas la première crise, il y en aura d’autres. On ne peut pas tout contrôler. C’est un bon signal que la vie, l’environnement sont fragiles. C’est juste un premier avertissement de ce qui nous attend dans le futur.

Les trois recommandations de Yann Tissot pour faire face à la « nouvelle normalité » :

  1. Contrôler ce qu’on peut et naviguer à travers les choses qu’on ne contrôle pas
  2. Souder les équipes autour du management
  3. Diversifier la clientèle et les débouchés

Are you our next interview partner?

The New Normal Magazine is open for thought leaders and decision makers.

Contact us