Dans un paysage bancaire complexe, les dernières années ont été marquées par d'importants changements économiques. Le Luxembourg reste cependant un centre financier majeur au niveau européen et international — 5ème place financière de l’Union européenne selon le Global Financial Centres Index 33 — reconnu grâce à son expertise bancaire, ses services d’assurances et de gestion d’actifs.
Avec une part d’emplois en léger repli au sein des différentes banques que compte le Luxembourg (26.254 personnes en 2011 et 26.148 au 31 décembre 2024, CSSF), le secteur bancaire, représenté par 115 établissements (31 décembre 2024, CSSF), reste le plus grand pourvoyeur d’emplois du secteur financier avec un résultat, avant provisions et impôts, atteignant EUR 7,6 milliards au 30 septembre 2024 (CSSF), en augmentation par rapport à l’année précédente.
Les différents événements de ces dernières années (pandémie, conflits armés, inflation, etc.) ont eu une incidence considérable sur les activités financières à l'échelle mondiale. Marquées principalement par la forte hausse des taux d'intérêt des banques centrales du monde entier afin de lutter contre une inflation galopante, ces dynamiques financières ont non seulement modifié la rentabilité des établissements de crédit, mais ont également redéfini les stratégies opérationnelles au sein du secteur, y compris au Luxembourg. Les banques du pays ont rencontré certains obstacles ces dernières années avec des conditions de financement difficiles, le coût de la réglementation, des salaires en hausse et des taux bas de longue durée. Les annonces successives de remontée des taux directeurs de la Banque centrale européenne ont permis une augmentation manifeste de la marge nette d’intérêts et du résultat net des banques ces deux dernières années.
Baisse des taux d’intérêt vers un taux « d’équilibre » pour la BCE
En 2023, les banques ont bénéficié d’une amélioration substantielle de leur rentabilité bien qu’elle n’ait pas été uniforme sur tous les segments du secteur — les résultats ayant été positivement influencés par une marge nette d’intérêts remarquable, bien que partiellement impactée par des commissions en net recul et des coûts toujours plus conséquents.
Concernant l’exercice 2024 qui vient de se clôturer, les banques vont, de manière générale, présenter des résultats tout aussi satisfaisants. Bien que les établissements de crédit aient dû continuer de gérer leur bêta de dépôt, c’est-à-dire la vitesse à laquelle les taux d'intérêt sur les dépôts rattrapent les hausses de taux des banques centrales. L’augmentation progressive de ce bêta a permis de maintenir une marge entre les taux de rémunération de l’actif et les taux de rémunération sur les dépôts. Si à court terme cela a permis de préserver des marges d'intérêt plus élevées, à moyen terme la concurrence d’acteurs plus agressifs sur les taux des dépôts représentent un réel challenge. Cependant, le pic de hausse des taux de la Banque centrale européenne ayant été atteint en septembre 2023 (4.00%), avec les premières annonces ou anticipations de baisse du taux directeur prochaines, — à 2,50% comme communiqué le 6 mars 2025 — la pression sur les prix des dépôts va revenir et devrait juguler les gains sur la marge nette d’intérêt.
La plupart des banques vont donc sans doute s’orienter vers des voies de croissance d’autres revenus pour maintenir leur rentabilité et atteindre les objectifs de leurs plans stratégiques. Après des années 2023 et 2024, qui ont vu l’augmentation significative du coût du risque en lien avec les événements macroéconomiques, et les secousses du marché immobilier et de la promotion immobilière, nous constatons la recherche de croissance par des flux de revenus hors intérêts et par la réduction des dépenses. En effet, les banques commerciales continueront à maintenir leur surveillance des crédits accordés à la clientèle de détail et aux entreprises dans un environnement de taux qui se stabilise mais qui se heurte au prix de l’immobilier national toujours élevé, malgré la correction du marché des 18 derniers mois, ainsi qu’aux problématiques rencontrées par divers acteurs de la construction et de la promotion immobilière, l’un des moteurs de l’activité économique du pays.
Les pistes de rentabilité pour 2025
Afin de stabiliser leur rentabilité, les banques en réflexion se préparent à différents choix stratégiques tels que : i) se concentrer sur leurs cœurs de métier les plus rentables en se séparant des activités secondaires ou par réallocation tactique des ressources y afférentes ; ii) augmenter les revenus en améliorant l'efficacité organisationnelle et opérationnelle, la tarification, l'acquisition et la fidélisation des clients ; ou bien iii) en améliorant les capacités de gestion des risques sur certains sujets clés.
Ces stratégies nécessitent une importante analyse sur le long terme tout en maintenant des coûts organisationnels et opérationnels à un niveau convenable. Cependant ces coûts restent en augmentation au sein de tous les établissements de crédits majeurs en Europe, comme au Luxembourg. Nous observons des augmentations de charges principalement au niveau de la supervision pouvant être proportionnellement plus conséquentes pour des structures moins matures ou moins internationales.
Les investissements et les dépenses dans les domaines IT, Cyber et de digitalisation (protection, qualité et disponibilité des données clés financières et non-financières) sont également en constante augmentation pour pallier les défis internes et externes, mais également se différencier des concurrents pour une expérience client toujours plus importante. Ces investissements ne sont pas seulement une réponse aux conditions économiques actuelles, mais un mouvement stratégique vers la sécurisation des services bancaires.
Nous constatons également une augmentation des frais liés à l’attraction et à la rétention des meilleurs profils, qui deviennent de plus en plus spécialisés, sur un marché où la raréfaction des talents dans certains domaines se fait sentir. Enfin, dans un marché toujours plus compétitif, les marges s’érodent chez certaines banques pouvant résulter en une réorientation de certaines activités secondaires ou à l’acquisition de clientèle et de fusions afin d’atteindre des seuils critiques générant des flux de revenus satisfaisants par économies d’échelles et présence sur le marché.
L’acquisition et la cession d’activité : une piste de plus en plus exploitée
La plupart de ces opérations, axées sur l'amélioration de l'efficacité, visent également à développer de nouveaux flux de revenus grâce à des produits et services financiers innovants. Comme énoncé, de plus en plus d’établissements de crédit s’éloignent de segments moins rentables ou plus risqués. Les opérations de cessions d’activité permettent ainsi de dégager du capital à réinvestir. Dans cet élan, les banques ont recours aux opérations d’acquisition d’entreprise comme un levier pour renforcer ou développer des activités rentables.
Plusieurs tendances sur le marché des Fusions et Acquisitions (M&A) bancaires se dégagent actuellement
1. Recherche de la taille critique
Spécialement pour le secteur bancaire, la recherche d’une taille critique et des économies d’échelles reste le facteur principal des acquisitions du secteur. Cette tendance s’applique surtout aux marchés locaux et aux banques de taille moyenne, mais plusieurs transactions transfrontalières sont également attendues, comme nous l'avons vu dans le métier de la gestion de fonds récemment
2. Renforcement du cœur de métier
Le recentrage des établissements sur leur cœur de métier à haute valeur ajoutée est aussi un moteur des acquisitions et ventes stratégiques. Des banques avec des atouts particuliers dans des sous-secteurs tels que le financement de véhicules ou des domaines de la gestion de patrimoine et d’actifs, par exemple, sont susceptibles de procéder à des acquisitions pour renforcer leur business model
3. Recherche de revenus centrés sur les commissions
Les fusions et acquisitions continueront d'être une voie vers une augmentation des services basés sur les commissions. Les banques tendent à vouloir rendre leurs revenus de moins en moins dépendants de la marge nette d’intérêts, considérant les baisses des taux directeurs amorcés sur la deuxième partie de 2024. Les métiers de banque privée ou de services aux fonds en sont de très bons exemples.
4. Acquisitions de capacités technologiques
Les établissements bancaires continuent de faire face aux enjeux de digitalisation. Les transformations numériques, l'amélioration des mesures de cybersécurité et l'efficacité opérationnelle sont à la pointe de cette poussée informatique, qui comprend également l'intégration de l'intelligence artificielle et du machine learning pour rationaliser les services et améliorer l'engagement des clients. Les investissements technologiques ont entraîné une augmentation marquée de l'engagement numérique des clients pour les établissements de crédit.
Même si, sur le marché luxembourgeois, ces opérations ont été limitées ces dernières années, l’appétit des banques pour les acquisitions ou partenariats avec les FinTechs devrait croître. Pour les banques, l’acquisition d’entreprises technologiques est le moyen d’acquérir des technologies et compétences innovantes, tout en multipliant les voies d’acquisition de clients. En particulier, les FinTechs peuvent séduire et plaire aux plus jeunes segments de clientèle. Pour les FinTechs, de tels accords fournissent non seulement du financement mais aussi un accès aux clients et aux données. Les banques sont de plus en plus en concurrence avec les grandes entreprises technologiques, et cela continue à encourager les investissements stratégiques dans les FinTechs, qu’elles voient comme un réel partenariat à long terme.
5. La stabilité et la rentabilité par le désinvestissement
Les désinvestissements non stratégiques et la rationalisation des portefeuilles sont devenus plus importants pour les entreprises de gestion de capital, en partie en raison des récentes turbulences et de l'incertitude accrue sur les marchés. Nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive, suite à une période prolongée de consolidation générale du marché.
Les banques chercheront ainsi à vendre des activités si elles s'attendent à obtenir des valorisations plus élevées que le reste du groupe. Cela continuera d'être motivé par le désir de libérer du capital face à la pression sur la rentabilité et les exigences en matière de fonds propres avec l’application de la CRR 3 d’application depuis le 1er janvier 2025. Par exemple, nous observons aussi que les banques se séparent de plus en plus de leurs portefeuilles de prêts non-performants au profit d’investisseurs spécialisés.
En conclusion, nous devrions voir dans les prochains mois des opérations de cessions/acquisitions poussées par cette volonté des banques de renforcer leur modèle économique (rentabilité/profitabilité) en combinant un recentrage sur leurs activités clés, avec un focus croissant sur la récurrence des revenus et une stratégie d’amélioration de leur modèle opérationnel, que ce soit dans le service aux clients, ou leur organisation interne.