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La Cour constitutionnelle clarifie l'exemption du versement du précompte professionnel pour le travail en équipe et en continu

Les entreprises qui recourent au travail en équipe ou de nuit (ou en continu) bénéficient d’une dispense partielle du versement du précompte professionnel. Si toutes les conditions sont remplies, la dispense s’élève à 22,8 % (ou 25% en cas de travail continu) des rémunérations imposables, en n’y incluant pas les doubles pécules de vacances, les primes de fin d’année et les arriérés de rémunérations. Une des conditions pour pouvoir bénéficier de celle-ci concerne la notion « d’ampleur » des équipes.

A cet égard, la Cour constitutionnelle a été interrogée au sujet de la compatibilité de cette dispense avec le principe d’égalité et de non-discrimination en ce que seules les entreprises dans lesquelles les équipes font le même travail, tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur, peuvent bénéficier de la dispense, alors que les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses et les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes est comparable mais pas la même sont exclues de la dispense.

La Cour constitutionnelle a récemment confirmé que, la condition selon laquelle les équipes doivent accomplir un travail de même ampleur est pertinente à la lumière des objectifs du législateur de 2003 consistant, d’une part, à éviter que des employeurs réorientent leur organisation du travail vers un travail en équipe dans le seul but de bénéficier de l’avantage fiscal et, d’autre part, à contenir le coût lié à la mesure. Eu égard à la large marge d’appréciation du législateur, la mesure précitée est jugée non discriminatoire par la Cour.
 

Contexte

La dispense partielle de versement du précompte professionnel pour le travail en équipe ou de nuit (ou en continu) est depuis plus de 20 ans un moyen de régulation législatif visant à compenser les entreprises pour le coût salarial plus élevé lié à ce mode de fonctionnement. Ce surcoût salarial est censé inclure, notamment, une prime d'équipe - destinée à compenser le travail pendant des heures non conventionnelles. Pour plus d'informations sur la prime et les modifications législatives pertinentes, nous vous renvoyons à notre alerte de mars 2022 et mars 2023.

La prime d'équipe, et sa qualification (ou non) selon les termes fiscaux, reste un sujet de nombreux litiges lors des contrôles et a également été discutée dans la jurisprudence. Cependant, l'arrêt et la situation sous-jacente traitent d'une autre condition, à savoir que « les équipes successives font un travail de même ampleur ».
 

Ampleur

Les affaires qui ont conduit à ces questions préjudicielles impliquaient une entreprise proposant des services d'assistance pour les véhicules en panne et une autre exploitant des bus et des cars, toutes deux bénéficiant de l'exemption du versement du précompte professionnel pour le travail en équipe. Néanmoins, l'administration fiscale conteste leur éligibilité à cette exemption, estimant que leurs pratiques n'entrent pas dans le cadre du travail en équipe, notamment en ce qui concerne la taille des équipes. Ces deux cas ont été présentés au tribunal de première instance (en 2017) avant d'être portés devant la Cour d'appel d'Anvers (en 2019 et 2021).

A l’inverse de l'opinion du tribunal de première instance, la Cour d'appel a statué le 19 janvier 2021 que la notion d'égalité devait être révisée pour être interprétée comme "similaire" plutôt que "identique". Par conséquent, un nouvel élément de considération était introduit au sein du débat initial.

Ces informations revêtent une pertinence particulière pour les entreprises qui font face à des fluctuations de leur activité et qui fonctionnent avec un système de rotation spécifique qui, en principe, remplit les conditions pour bénéficier de l'exemption, même si elles n'organisent pas leurs opérations en équipes parfaitement identiques. Le secteur de la grande distribution constitue un exemple clair de ce type de situation.
 

Qu'est-ce qui est « similaire » ?

Dans la première affaire, la Cour d'appel d'Anvers, estime que des disparités sont envisageables concernant l'étendue du travail, notamment en ce qui concerne le volume de travail. La Cour a reconnu que, en raison de considérations économiques, l'équipe B ne peut pas nécessairement avoir le même nombre de membres que l'équipe A, malgré effectuant un travail similaire.

Toutefois, dans le cas présent, la Cour d'appel a constaté que les disparités constatées étaient excessives, ce qui a conduit à un rejet partiel de l'exonération accordée. Les contribuables ont porté l'affaire en cassation, qui a à son tour soumis une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

La Cour de cassation a alors soulevé la question de savoir si l'approche actuelle des autorités fiscales est en contradiction avec les principes constitutionnels lorsque des avantages sont octroyés aux entreprises ayant des équipes définies de manière stricte (comme dans le cas de la production planifiée ou des activités similaires, telles que l'assemblage de pièces de voitures), au détriment des entreprises ayant des fluctuations d'activité tout au long de la journée.

Dans la seconde affaire, l'administration fiscale a choisi d’introduire un pourvoi en cassation, concernant la législation en vigueur qui maintient la notion de similitude, c'est-à-dire quelque chose qui ne devrait pas nécessiter d'interprétation.
 

Aucune violation

Dans les deux cas, la Cour conclut qu'il n'y a aucune violation, en ne voyant aucun problème dans le traitement différencié entre une entreprise ayant une organisation stricte (avec des équipes "équivalentes") et une entreprise connaissant des fluctuations dans son fonctionnement. Les deux peuvent potentiellement bénéficier de l'exonération fiscale, pour autant qu'elles remplissent les critères requis, notamment celui d'effectuer un travail de même volume. La position de la Cour est ferme sur le fait que cela doit être une égalité effective et non simplement une similitude superficielle, comme cela a été suggéré précédemment.

Dans ses explications plus détaillées, la Cour met en avant le coût de la mesure pour le gouvernement belge. Selon un audit de suivi de la Cour des comptes datant de décembre 2023, près de 2 milliards d'euros ont été dépensés en 2021. Ce coût pourrait être réduit à zéro avec une interprétation stricte, ou augmenter considérablement avec une interprétation large.

De plus, la Cour souligne à plusieurs reprises que son attention se porte particulièrement sur le secteur industriel concerné, prétendument le travail à la chaîne, où les équipes sont organisées pour des raisons techniques. La nécessité technique est expliquée comme étant la continuité dans l'utilisation d'une machine (ou au moins son utilisation par deux équipes).

Cependant, selon la Cour, une nécessité technique ne correspond pas à l'intention initiale du législateur, ce qui soulève des questions quant à l'interprétation de la loi.
 

La valeur de cet arrêt pour les entreprises belges et pour l'administration fiscale

De nombreux contrôles ont été et continuent d'être résolus par des interprétations qui ne procurent pas de certitude pour les entreprises contribuables. Cette décision risque fort d'aggraver cette incertitude juridique et de susciter davantage de débats complexes.

L'arrêt examine la situation de deux cas qui remontent tous deux à l'année 2012, concernant une partie de la législation qui demeure inchangée à ce jour. Les positions prises pourraient servir d'arguments supplémentaires pour l'administration fiscale afin de renforcer certains aspects dans les dossiers actuels et futurs, au détriment des entreprises.
 

"Que faire maintenant ?"

La décision judiciaire a apporté des éclaircissements sur la définition de "volume", cependant, elle n'a pas dissipé toute l'incertitude.

  • Pour ce qui est du passé : on doit s'interroger sur l'effet pour les dérogations mises en œuvre pour l'année 2023 et précédentes. Les contrôles sur l'éligibilité sont en cours. Grâce à une réforme législative récente, les autorités disposent désormais de cinq ans pour effectuer leur évaluation, ce qui coïncide avec l'extension du délai de prescription.
  • En ce qui concerne le présent : on doit légitimement s'interroger si chaque entité met bien en œuvre la mesure. On pourrait croire qu'une entité applique la dérogation de manière consciencieuse, peut-être même à la suite d’un contrôle préalable.
  • Quant à l'avenir : d'un point de vue financier, cela crée une grande incertitude autant pour le gouvernement belge que pour les entreprises du pays. Cette incertitude pourrait affecter les investissements en Belgique.

Les entreprises bénéficiant de cette mesure doivent être au courant des conditions à appliquer, ainsi que des risques potentiels, et doivent par conséquent ajuster leur contrôle interne. La complexité de la question exige une approche méticuleuse qui prend en compte les changements internes à l'organisation, ainsi que les progrès législatifs et jurisprudentiels, et les intègre dans la stratégie de l'entreprise.

Il n'est pas toujours facile de mettre en place une telle approche et de l'ajuster régulièrement. Identifier les risques et les parties intéressées peut aussi être compliqué. EY offre un soutien permanent pour les calculs liés aux données financières et opérationnelles en temps réel et a développé un cadre d'analyse d'impact qui évalue les conséquences de cette décision judiciaire et d'autres changements récents pour une entreprise. Ce cadre est ensuite modulé aux besoins spécifiques de l'organisation pour identifier les risques, les opportunités, les recommandations et les démarches à suivre. Nous vous encourageons à nous contacter pour découvrir comment EY peut vous soutenir dans ce processus.