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Nouveau nucléaire : Modèles de rémunération et schémas de financement

Comment les modèles de rémunération et les schémas de financement innovants peuvent soutenir le développement du nouveau nucléaire, en attirant les investisseurs et en atténuant les risques financiers ?


Cette étude menée par EY pour le Ministère de l’Économie et du Climat néerlandais analyse les modèles de rémunération et les structures de financement possibles pour le programme de construction de nouvelles centrales nucléaires aux Pays-Bas. En effet, le gouvernement néerlandais souhaite développer le nucléaire dans son mix énergétique afin d’atteindre ses objectifs climatiques de neutralité carbone, d’améliorer la sécurité énergétique et de réduire sa dépendance aux importations.

Le déploiement prévu de 4 réacteurs d’ici 2035 offre ainsi une opportunité exceptionnelle aux Pays-Bas de créer un programme d’énergie atomique qui assurera la pérennité de son approvisionnement.

Étant donné le coût d’investissement élevé et la longue durée de développement des projets nucléaires, le rapport évalue les modèles de financement et de revenus susceptibles d’attirer les investisseurs tout en atténuant les risques financiers. Pour mener à bien cette étude, EY s’est appuyé sur une revue complète des plus récentes études académiques et des travaux de recherches sur le financement du nucléaire par des organismes publics, ainsi que des consultations de marché avec des fournisseurs clefs du secteur du nucléaire.

EY a ainsi mis l’accent sur les modèles financiers, la répartition des risques et les mécanismes de soutien gouvernementaux qui seraient propices au développement rapide du nucléaire aux Pays-Bas et potentiellement en Europe à plus long-terme dans le cadre de la relance du nucléaire au sein de l’Union Européenne.

L’étude s’inspire également de cas internationaux de financement de centrales nucléaires de dernière génération, tels que Hinkley Point C et Sizewell C au Royaume-Uni et Dukovany 5 en Tchéquie, afin d’orienter l’approche néerlandaise et de tirer les leçons des échecs et réussites passés.

Un aspect clé de l’étude est la définition du "Government Support Package" (GSP), qui décrit les mesures de soutien étatique nécessaires pour rendre les ambitions du gouvernement néerlandais économiquement viables, et ainsi permettre de combler les contraintes de financement qui limitent le déploiement du nouveau nucléaire.

1. Questions clés abordées dans le rapport

  • Conditions d’investissement : Quelles sont les conditions nécessaires pour attirer des investisseurs néerlandais et internationaux dans le nucléaire aux Pays-Bas ?
  • Soutien gouvernemental : Quel type et quel niveau de soutien public sont nécessaires pour attirer les investisseurs privés ?
  • Modèles de revenus et de risques : Quels modèles de financement et de rémunération (RAB, CfD, PPA) sont les plus adaptés au contexte néerlandais ?
  • Retours des consultations de marché : Quelles sont les perspectives des parties prenantes, y compris les fournisseurs, les investisseurs et les régulateurs ?
  • Répartition des risques : Comment les risques financiers, réglementaires et opérationnels doivent-ils être répartis entre l’État, les investisseurs privés et les fournisseurs ?

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2. Activités réalisées

Aujourd’hui la politique énergétique des Pays-Bas est contrainte par l’attrition de la chaîne d’approvisionnement du nouveau nucléaire en Europe au cours des dernières décennies, du régime des aides d’État au sein de l’Union Européenne, d’un marché de l’électricité dérégulé peu favorable au déploiement de nouvelles capacités dites « baseload », et par l’incertitude politique qui encadre le déploiement et la régulation du nucléaire en Europe.

Cette étude a donc pour but d’apporter des solutions concrètes sur les meilleurs modèles de financement pour le nouveau nucléaire aux Pays-Bas, qui prennent en compte ces limites et permettent de répondre aux défis de la transition énergétique de demain.

2.1 Analyse des recherches académiques et des études sectorielles récentes

EY s’est appuyé sur une revue approfondie des recherches existantes et a mis en lumière des conclusions claires, qui ont guidé la suite de notre travail :

  • Le rôle crucial de l’énergie nucléaire dans la transition énergétique
    • L’énergie nucléaire est perçue comme un complément essentiel aux énergies renouvelables et intermittentes, et son intégration permettra de réduire la dépendance aux énergies plus polluantes telles que le charbon et le gaz.
    • Toutefois, son coût élevé reste un frein à son développement, nécessitant des mécanismes de soutien public.
  • Les modèles de financement les plus adaptés 
    • Les modèles de financement apportant une stabilité économique de long-terme sont à privilégier.
    • L’implication financière de l’Etat est nécessaire sous forme de garantie de revenus et/ou co-investissement.

Ainsi, EY a déterminé plusieurs voies de travail qui permettraient de répondre à ces défis en (i) analysant les modèles de rémunération existants, (ii) les modalités possibles de répartition des risques entre l’État et les acteurs de la filière nucléaire, et (iii) mener une consultation avec les fournisseurs clefs de technologie nucléaire.

2.2 Analyse des modèles de rémunération

L’étude examine plusieurs modèles de financement utilisés pour les nouvelles centrales nucléaires dans le monde :

  • Regulated Asset Base (RAB) :
    • La RAB est la somme des investissements en actifs physiques qui sont nécessaires pour fournir un service public.
    • Ces actifs sont soumis à une réglementation par une autorité gouvernementale qui en détermine les tarifs permettant de récupérer les coûts associés à sa construction et son exploitation.
    • La RAB offre une certaine stabilité et prévisibilité aux entreprises de services publics, car elle leur garantit un revenu basé sur les actifs réglementés. Cela est particulièrement important pour les investissements à long terme, qui nécessitent une planification financière solide.
  • Contracts for Difference (CfD) :
    • Un contrat pour différence est un accord entre deux parties (généralement un producteur d’énergie et un acheteur, comme un fournisseur d’électricité ou un gouvernement) qui permet de fixer un prix de référence pour l’électricité produite par une centrale électrique.
    • Dans un CfD, si le prix du marché est supérieur au prix de référence convenu, le vendeur (généralement le producteur) paie la différence à l'acheteur. Inversement, si le prix du marché est inférieur au prix de référence, l'acheteur paie la différence au vendeur. Cela permet de stabiliser les revenus du producteur d'énergie, indépendamment des fluctuations du marché.
    • Aujourd’hui favorisé par la Commission Européenne comme moyen de rémunérer les futures capacités installées en Europe, un CfD apporte tombe sous le coup des aides d’État afin de déterminer le juste niveau de rémunération de l’actif.
  • Power Purchase Agreements (PPA) :
    • Dans le cadre d'un PPA, le producteur d’énergie s'engage à fournir une certaine quantité d’électricité à l’acheteur à un prix convenu. L’acheteur, de son côté, s’engage à acheter cette électricité pendant la durée du contrat. Les PPA peuvent être à prix fixe ou indexés sur des indices de marché.
    • Les PPAs peuvent être créés par des entités privées (« offtakers ») ou par l’Etat (comme en Tchéquie) pour garantir la rémunération de la centrale.
  • Modèle Mankala :
    • Le modèle Mankala est un système de coopération où plusieurs parties (généralement des entreprises ou des municipalités) se regroupent pour financer et exploiter une installation de production d’énergie.
    • Les coûts d'investissement et d’exploitation sont partagés entre les membres, tout comme les revenus générés par la vente d’électricité.
    • C’est un modèle adopté en Finlande pour la centrale d’Olkiluoto 3.

2.3 Répartition des risques et rôle de l’État

Nous avons identifié les principaux risques qui pèsent sur les projets nucléaires :

  • Risque politique et réglementaire :
    • Les changements réguliers de politique énergétique endommagent la crédibilité des efforts faits envers le nucléaire. Aussi, il faut que ces développements à long-terme bénéficient d’un soutien politique dans la durée, et d’une stabilité réglementaire pour éviter de coûteux retards et surcoûts.
  • Risque de construction :
    • Les dépassements de coûts et les retards nécessitent des mécanismes de protection financière adaptés.
  • Risque financier :
    • Le montant élevé et la complexité financière liés à la construction d’une centrale nucléaire nécessite des mécanismes de répartition claire du financement et de rémunération de l’actif.

L’État joue un rôle essential en fournissant un cadre réglementaire stable, des garanties financières et un soutien stratégique pour réduire l’exposition à ces risques.

3. Consultations de marché avec les fournisseurs de technologie nucléaire

L’étude a mené deux séries de consultations de marché en octobre et décembre 2023 avec trois grands fournisseurs nucléaires : EDF, KHNP et Westinghouse. Ces consultations ont permis d’obtenir des informations clés sur les préférences des fournisseurs en matière de financement, de modèles de revenus et de structures de livraison.

Plusieurs grandes conclusions sont à retenir de ces consultations :

  • Les fournisseurs préfèrent les modèles de financement avec garanties publiques sur les revenus, comme les CfD et RAB.
    • La stabilité et la prévisibilité des flux de trésorerie futurs sont un élément crucial du modèle économique d’actifs à longue durée de vie telles que les centrales nucléaires.
    • Aussi un mécanisme de revenu permettant de soutenir une levée de fonds externe – potentiellement auprès d’acteurs financiers privés – est cruciale dans l’établissement d’un plan de financement viable
  • Les investisseurs privés demandent des mécanismes de partage des risques garantis par l’État, y compris des protections contre les dépassements de coûts.
    • Les projets menés à bien en Europe ont régulièrement connu des difficultés économiques liées à des dépassements significatifs des budgets de construction.
    • Des acteurs intégrés comme les compagnies nationales d’électricité ont pu par le passé bénéficier de garanties d’État dans le déploiement du réseau de production électrique et ont partagé le coût de ces mises en services successives au sein de leur structure intégrée.
    • Le marché de l’électricité dérégulé ne permet plus ce type de structure et incite donc à une répartition des risques au fil des projets. Cette répartition sera potentiellement désavantageuse pour les états à court-terme mais garantiront le développement de nouvelles sources d’électricité, comme ce qui a été fait par le passé pour les renouvelables.
  • Le gouvernement néerlandais devrait assumer une partie significative du financement initial du projet, puis céder progressivement sa participation aux investisseurs privés au cours du développement des nouvelles centrales nucléaires.

4. Développement du concept du Package de Soutien Gouvernemental (GSP)

L’énergie nucléaire est une technologie à forte intensité capitalistique, avec des coûts initiaux significatifs dans ses phases de déploiement successives, de longs délais avant la mise en service commerciale, et une matrice de risques complexe à gérer. Cependant, les actifs nucléaires sont la pierre angulaire d'un système énergétique fiable, rentable et à faibles émissions de carbone, et ont fait leurs preuves en matière d'opérations réussies à travers les décennies dans le monde.

Aujourd'hui, l’énergie nucléaire, et principalement un programme de nouvelle génération tel que les réacteurs prévus par le gouvernement néerlandais, ne peuvent être compétitif sans une intervention gouvernementale significative. Après des décennies d'activité limitée, la chaîne d'approvisionnement nucléaire européenne a perdu des acteurs et des ressources critiques, et a besoin de temps, de carnets de commandes engagés et de planification à long terme pour retrouver des économies d'échelle.

Pour atteindre un coût compétitif de l’énergie avec le nouveau nucléaire, un programme de soutien gouvernemental (GSP) complet sera nécessaire. Ce GSP doit être créé pour cibler les principaux facteurs de risque qui pèsent sur l’économie des nouvelles constructions nucléaires aujourd'hui, tels qu’un coût de financement élevé et le manque de capital disponible pour l’échelle du nucléaire, le risque politique et réglementaire, le risque de marché, et les risques de chaîne d’approvisionnement et de développement industriel à long terme.

Nous avons interviewé des fournisseurs de technologies nucléaires sélectionnés au cours de plusieurs sessions successives de consultations de marché, et leurs retours étaient unanimes. Ils s'attendent à ce que les gouvernements aident à combler le « gap de financement » de l'énergie nucléaire et fournissent de la visibilité pour l’industrie.

Cela peut être réalisé par une planification industrielle à long terme, des investissements significatifs et un soutien politique du gouvernement néerlandais, qui sera crucial pour la matérialisation du nouveau nucléaire d’ici 2035. Ce n’est ni une demande nouvelle ni spécifique à l’industrie nucléaire, car les énergies renouvelables ont également reçu un soutien gouvernemental significatif pour atteindre l’échelle qui est la leur aujourd’hui.

Un GSP réussi devrait fournir :

i. Un soutien en capital direct tels qu’une injection de fonds propres dans l’entité qui devra développer et gérer le développement des nouvelles centrales nucléaires;

ii. Un soutien financier sous la forme de dette soutenue par le gouvernement (soit par le biais de garanties, soit par un soutien direct à la dette) ;

iii. Un mécanisme de rémunération juste et transparent, tels que le CfD ou la Base d’Actifs Régulés ;

iv. Une répartition claire et arrêtée des risques entre les différents acteurs du projet, incluant le gouvernement, les opérateurs de centrales nucléaires, les actionnaires des centrales, les fournisseurs et leur chaîne d’approvisionnement, ainsi que les consommateurs finaux de l’énergie ;

v. Une protection juridique à long terme contre les changements de politique vis-à-vis du nucléaire.

Une telle combinaison garantirait que les obstacles principaux au nucléaire sont abordés et enverrait un signal à l’industrie de l’énergie nucléaire que le gouvernement néerlandais a une bonne compréhension des moyens nécessaires pour soutenir une relance concrète de l’énergie nucléaire.

Le GSP proposé sera également analysé et négocié avec la Commission européenne sous le couvert d'un examen approfondi des aides d’État, ce qui pourrait également apporter des ajustements à son champ d’application final.

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Ce qu'il faut retenir

Le GSP est un instrument clé pour le financement du nouveau nucléaire aux Pays-Bas et en Europe, et permettra de sécuriser les investissements du secteur en offrant une protection contre les risques financiers et règlementaires majeurs.

EY recommande ainsi une approche mixe, combinant financement public en fonds propres, garanties souveraines sur la dette et mécanisme de rémunération de long-terme.

En s’appuyant sur les leçons principales des derniers projets nucléaires en Europe, EY est convaincu qu’un GSP bien structuré peut être la garantie de la compétitivité et de la durabilité du programme nucléaire néerlandais.

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