IA et Frugalité : Opportunités, Challenges et Impact.

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Cet article est le résultat de recherches menées par le Sustainable AI Working Group : Volha Litvinets, Kevin Franco, Mira Pijselman, Cong Li, Andras Vekassy, Rosa Egglink, Angèle Schmidt.


En résumé :

  • L’intelligence artificielle (IA) présente un dilemme en permettant à la fois de nouveaux cas d’utilisation susceptibles de réduire les impacts environnementaux, tout en accélérant encore davantage les dégâts sur l’environnement en raison de l’intensification croissante de son utilisation de ressources.
  • Les cadres réglementaires et législatifs existants sont souvent insuffisants pour fournir des orientations complètes permettant aux entreprises d’évaluer et d’intégrer des mesures de durabilité liées à l’intelligence artificielle.
  • Les évaluations et informations sur la durabilité des systèmes d’IA demeurent complexes en raison des méthodes existantes qui ne tiennent pas pleinement compte des impacts environnementaux holistiques de la chaîne d’approvisionnement de l’IA.

Introduction

Le concept de durabilité a notamment été articulé dans le Rapport Brundtland, publié par les Nations Unies en 1987, qui définit la durabilité comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ». Cette définition souligne l’importance d’équilibrer les demandes actuelles avec la préservation des ressources pour l’avenir, un principe de plus en plus pertinent à l’ère de l’intelligence artificielle (IA).

Aujourd'hui, l’IA est marquée par une dualité distincte : elle stimule l’efficacité et favorise des solutions innovantes à des problèmes environnementaux et sociaux complexes, tout en nécessitant toujours plus de ressources, jusqu’à  rivaliser avec les besoins de consommation d’énergie de nations entières.

Cet article est le premier de la série EY SustAInable, un assortiment d’articles, d’enquêtes et d’opinions axés sur l’exploration de l’intersection entre IA et durabilité. Chez EY, nous avons inclus la durabilité comme un élément central de notre Cadre d’IA Responsable et des Principes d’IA Responsable correspondants. Nous nous engageons à intégrer les considérations de durabilité dans notre approche du développement et de l’acquisition de systèmes d’IA et dans la manière dont nous travaillons avec les clients sur les missions liées à l’IA.

CITATION
Principes d’IA Responsables, définition, Durabilité :  les considérations des impacts de la technologie sont intégrées tout au long du cycle de vie de l’IA pour promouvoir le bien-être physique, social, économique et planétaire.
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Dans ce premier chapitre de la série, nous nous concentrons tout particulièrementsur les opportunités et défis environnementaux posés par l’IA et sa commercialisation rapide, à travers trois questions fondamentales :

  1. Quelle est l’importance des impacts environnementaux de l’IA générative (GenAI), et quels défis spécifiques posent-ils ?
  2. Quels sont les cadres et législations actuels permettant de guider la durabilité des technologies d’IA, et quelles sont leurs lacunes ?
  3. En pratique, de quelles manières les organisations peuvent-elles intégrer la durabilité dans leurs stratégies de développement et de déploiement de l’IA pour atténuer les impacts environnementaux ?

Équilibrer les gains et les risques de durabilité de l’IA

Alors que l’IA devient de plus en plus omniprésente dans différents secteurs et régions, une variété de cas d’utilisation sur l’environnement ont émergé. Par exemple, considérons le mouvement AI for Good, défendu par des organisationscomme les Nations Unies. Il se concentre sur les façons dont l’IA peut être exploitée pour aider à atteindre les Objectifs de Durabilité (ODD), dont beaucoup se concentrent sur les aspects environnementaux de la durabilité (par exemple, l’Objectif 13). D’ici à 2030, le Think Tank du Parlement européen estime que l’IA pourrait être utilisée pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 1,5 à 4%, ce qui aiderait directement à atteindre les objectifs établis dans l’Objectif 13.

Comment les initiatives IA pour le Bien s’alignent sur les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies :

Objectifs de développement durable des Nations Unies : initiatives spécifiques à l’IA qui s alignent sur les ODD des Nations Unies. Ces initiatives démontrent l'impact transformateur de l’IA dans divers secteurs, y compris la santé, la conservation de l’environnement, l’éducation, la réponse aux catastrophes et l'agriculture, en mettant en évidence comment les technologies de l’IA font progresser les efforts de durabilité mondiale et améliorent les avantages sociétaux.

Cependant, avec les grandes opportunités offertes par l’IA vient une aussi grande responsabilité,  à savoir gérer l’impact de l’IA, la technologie pouvant également être utilisée pour influencer l’environnement, la société ou l’économie. La chaîne d’approvisionnement associée aux systèmes d’IA et leur maintenance continue comportent un coût environnemental significatif, principalement dû à la haute consommation en énergie requise pour former des modèles d’apprentissage automatique avancés. Ces impacts s'étendent sur l’ensemble du cycle de vie des systèmes d’IA, de leur développement à leur fonctionnement et maintenance continus en passant par leur déploiement.

Empreinte environnementale de l’IA – dimensions clés

  1. Consommation en énergie : les modèles d’IA, en raison de leur complexité, nécessitent une forte puissance de calcul. Cette demande entraîne une utilisation élevée de l’énergie, en particulier pendant la phase de formation, qui peut être importante pour des modèles plus sophistiqués. Il convient de souligner que l’énergie consommée pendant la formation des modèles est généralement éclipsée par la consommation  associée à l’inférence, et notamment au type de modèle(s) sélectionné pour un cas d’utilisation donné, lequel peut influencer l’empreinte environnementale globale d’un système d’IA. L’apprentissage profond, le traitement du langage naturel (NLP) et les modèles GenAI, par exemple, exigent une puissance de calcul élevée et, par conséquent, sont plus énergivores que des modèles de classification plus simples.
  2. Émissions de gaz à effet de serre (GES) : l’'énergie significative requise pour alimenter les systèmes d’IA conduit souvent à des émissions considérables de GES, en particulier si l’énergie provient de centrales électriques non renouvelables.
  3. Consommation d’eau : les systèmes de refroidissement avancés sont une réalité nécessaire pour les grands centres de données, où les modèles d’IA sont fréquemment formés et exécutés, consommant d’énormes quantités d’eau. Cette utilisation peut exacerber la pénurie d’eau dans des régions déjà vulnérables.

Matériel et déchets électroniques : le matériel sous-jacent à l’IA, y compris les serveurs, les GPU et d’autres équipements spécialisés, a également un impact environnemental. La production et l’élimination de ces dispositifs impliquent une extraction de ressources significative, des émissions de fabrication et des déchets électroniques, qui peuvent conduire à la dégradation de l’environnement.

Les grands modèles de langage (LLMs), un type d’IA générative, comportent des dizaines à des centaines de milliards de paramètres et sont entraînés sur d’immenses ensembles de données pour produire du contenu. Cependant, l’impact environnemental de l’inférence de tels modèles est considérable.

Paramètres des grands modèles de langages (LLM) et émissions de carbone : la croissance des paramètres des LLM de 100 millions à 500 milliards reflète la complexité croissante et les exigences computationnelles de ces modèles. Le graphique des émissions de carbone montre des émissions substantielles en équivalent CO2 pour l’entraînement de divers grands modèles de langages. Source: Stanford AI Index Report, 2024.

Les recherches sur les moyens de rendre la chaîne d’approvisionnement de l’IA plus respectueuse de l’environnement sont en cours. Les stratégies pour relever les défis environnementaux pourraient inclure l’optimisation de l’efficacité énergétique des systèmes d’IA, l’utilisation de sources d’énergie renouvelable pour l’alimentation et le développement de technologies de refroidissement plus économes en eau pour les centres de données.  À titre d’exemple, le déploiement de grands modèles d’IA sur les équipements de périphéries comme les smartphones, les haut-parleurs intelligents et les appareils portables offre une alternative plus durable et plus populaire. Les appareils de périphérie, limités par une puissance de calcul moindre, ne peuvent pas exécuter de grands modèles avec des milliards de paramètres. Cette limitation réduit à la fois le coût des opérations et l’énergie utilisée pour les transferts de données dans le cloud computing. Ainsi, les modèles exploités sur des appareils de bord sont souvent beaucoup plus économes en énergie que ceux sur des systèmes cloud, réduisant considérablement leur impact environnemental.

En dehors de la formation, il existe d’autres préoccupations associées à la GenAI du point de vue de l ’utilisateur final concernant les coûts environnementaux de l’utilisation et de l’exploitation continues de tels outils. Par exemple, la génération d’images est plus énergivore et plus intensive en carbone que la génération de texte, et les grands modèles de langage généralistes également plus énergivores que les petits modèles de langage conçus pour des tâches spécifiques.

À l’intersection de l’'IA et de la durabilité, la recherche en continu, associée à un regard accru sur quand, pourquoi et comment les organisations utilisent la GenAI, sera de plus en plus importante pour permettre un écosystème d’IA durable. Dans la section suivante, nous considérons les cadres législatifs pouvant permettre de résoudre le paradoxe de la durabilité de l’IA.

Soutenir la durabilité – législation en place

Pour comprendre la double nature de l’IA, il est important d’examiner comment le développement et l’utilisation de l’IA s’alignent avec les efforts de durabilité plus larges. Quelles sont les actions opérationnelles et les réglementations disponibles pour guider la durabilité et l'application des technologies d’IA ? Comment les gouvernements et les institutions mondiales peuvent-ils confirmer que les systèmes d’IA contribuent positivement aux ODD ?

Pour commencer, considérons la directive CSRD fixée par la Commission Européenne. La CSRD, qui est effective à partir du 5 janvier 2023, élargit le champ du reporting environnemental et social. À partir de 2024, un plus grand nombre d’entreprises, y compris des entreprises non européennes réalisant plus de 150 millions d’euros dans l’UE, doivent se conformer aux standards européens de reporting de durabilité (ESRS).

Pour aider les entreprises dans leur reporting environnemental, social et de gouvernance (ESG), plusieurs cadres ont été développés. Par exemple, le Carbon Disclosure Project (CDP) aide les entreprises à partager des données environnementales, couvrant la gestion des risques, les objectifs environnementaux et la planification stratégique. De même, le Global Reporting Initiative (GRI) offre un cadre standardisé pour le reporting sur un large éventail de questions ESG (par exemple, les émissions de gaz à effet de serre, les pratiques de travail, les droits de l’homme et l'impact communautaire), ce qui améliore la transparence et les pratiques de gestion à l’échelle mondiale.

Bien que ces cadres de reporting se concentrent sur l’impact plus large des organisations, ils devraient implicitement inclure une considération des systèmes d’IA et souligner l’importance de comprendre et de comptabiliser l'impact spécifique de l’IA au sein de ces divulgations ESG.

Nous notons également la présence de l’UE AI Act, qui mentionne l’intégration des considérations de durabilité dans le développement de l’IA, exigeant une programmation économe en énergie et minimisant les impacts environnementaux. L’article 95 spécifie que les systèmes d’IA doivent être évalués et conçus pour réduire leur empreinte écologique grâce à des pratiques de programmation et de conception optimisées.

Pendant ce temps, le cadre du National Institute of Standards and Technology (NIST) pour évaluer la durabilité de l'IA comprend l'évaluation des impacts environnementaux et des pratiques de gestion de la formation des modèles. Il se concentre sur l’établissement de bases de durabilité mesurables et l’évaluation de la fiabilité des systèmes d'IA en documentant des indicateurs de performance clés tels que l'utilisation des ressources informatiques et l'empreinte carbone opérationnelle.

Alors que de nouvelles réglementations et normes visent à atténuer les impacts environnementaux de l'IA, elles manquent de clarté sur la manière de mesurer et d’allouer l’utilisation de l’énergie à travers l'écosystème complexe de l’IA impliquant de multiples parties prenantes. Pour se conformer aux normes et aux meilleures pratiques, il est essentiel de disposer de cadres opérationnels et de méthodologies permettant d’évaluer et de mesurer les risques de durabilité posés par l’IA.

Considérations pratiques pour les leaders en durabilité

En bref, l’évaluation précise des impacts environnementaux de l’IA est un défi. Elle nécessite le développement de méthodologies de mesure robustes, une allocation claire de la responsabilité des impacts de durabilité à travers les parties prenantes impliquées dans la chaîne d’approvisionnement de l’IA, et un alignement sur ce qui est considéré comme « bien » en termes d’atténuation. En ce qui concerne la GenAI, des outils open-source commencent à émerger pour répondre à certains des défis de mesure associés aux impacts environnementaux des LLMs. De nombreux outils open-source ont été développés pour relever le défi lié à la mesure des impacts des LLMs. Ces outils considèrent généralement 4 facteurs principaux pour estimer les émissions de carbone :

  • La durée de formation du modèle, avec une influence directe sur le nombre d’opérations informatiques nécessaires.
  • L’efficacité énergétique du GPU, qui affecte la quantité d’énergie consommée pendant la formation.
  • Le lieu d’hébergement du centre de données, qui a un impact sur la quantité de CO₂ émise par kilowatt-heure d’électricité utilisée.
  • Les compensations potentielles par le fournisseur de services, qui pourraient neutraliser partiellement les impacts environnementaux de la formation.

Cependant, des préoccupations subsistent quant aux obstacles à ce que ces outils fournissent des estimations précises sur le cycle de vie associé à un LLM. Par exemple :

  • Doute sur la disponibilité et la précision des données, en particulier pour l’efficacité énergétique du GPU et l’intensité carbone du centre de données (CUE).
  • Concentration sur la phase de formation, ce qui signifie que les émissions générées pendant les phases de peaufinage ou d’inférence du modèle ne sont pas considérées.
  • Conçu pour les développeurs de machine learning classique, qui ont des informations techniques détaillées ou un accès direct au code du modèle. Cela pourrait être une contrainte majeure pour les développeurs de GenAI, qui n'ont qu’un accès API aux modèles de base.
  • Limité aux émissions directes (Scope 2), négligeant les émissions indirectes (Scope 3) comme la consommation d’eau.
  • Manque de plan d'action concret pour éliminer l'impact de l’IA, à part changer de région hôte et  simplifier le code.

Sans oublier que, bien que les LLMs et la GenAI de manière plus générale aient pris une part plus significative de la conscience publique dernièrement, il est toujours nécessaire de comprendre, mesurer et rendre compte des impacts de durabilité des systèmes d’IA classiques et discriminatifs également.

Pour permettre une approche plus holistique de la mesure des impacts de durabilité des systèmes d'IA, les leaders en durabilité devraient considérer les dimensions suivantes :

  • Opérations de calcul : estimer la complexité computationnelle en comptant les opérations ou en utilisant les paramètres du modèle et les jetons pour les modèles hébergés par le fournisseur.
  • Utilisation de l'électricité : déterminer la consommation d'énergie en fonction de l’efficacité du matériel, avec des données disponibles auprès des fournisseurs de cloud.
  • Carbon footprint(Empreinte carbone) : Calculer les émissions directes de carbone en utilisant l’intensité carbone du centre de données ou son Efficacité d’Usage de Carbone (CUE), en notant les défis à quantifier les émissions indirectes.
  • Utilisation de l'eau : évaluer la consommation d’eau à travers l’Efficacité d’Usage de l'Eau (WUE) sur site et les impacts hors site via l’Efficacité d’Usage de l’Énergie (PUE).

Les équipes d’EY aident les clients à gérer les défis de durabilité posés par l’IA tout au long de son cycle de vie, du développement à la mise en œuvre et au suivi. L’approche d’EY ne traite pas seulement des émissions directes et indirectes, mais offre également des méthodologies pour réduire la consommation d’énergie et aider à optimiser l’utilisation des ressources. En intégrant de telles pratiques, les entreprises peuvent améliorer leur reporting de durabilité et prendre des décisions plus éclairées qui s’alignent avec les objectifs de durabilité à l’échelle mondiale.

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Remarques finales

Au milieu d’une variété de cas d'utilisation prometteurs de l’IA visant à atténuer le changement climatique et à protéger l’environnement, la croissance de l’écosystème de l’IA et sa complexité grandissante ont exacerbé les défis environnementaux existants inhérents à l'adoption de la technologie. Bien que des cadres législatifs commencent à être établis pour intégrer des considérations de durabilité dans la manière dont l’IA est développée, exploitée et utilisée, des lacunes importantes persistent et remettent en question la mesure dans laquelle les organisations peuvent se conformer à ces normes dans la pratique. Cette incertitude est particulièrement prononcée en ce qui concerne les méthodes disponibles pour mesurer l'impact de l’IA sur l’environnement, notamment en l’absence de mesures normalisées et de lignes directrices claires.

En l’absence de techniques de mesure universellement acceptées, il est difficile pour les organisations d’évaluer et de communiquer avec précision sur leurs efforts en matière de développement durable. En outre, les cadres actuels ne fournissent pas suffisamment de détails sur les actions spécifiques requises pour minimiser l’empreinte écologique des opérations d'IA.

Pour faire avancer l'intersection entre l’IA et la durabilité, nous proposons une approche plus holistique de la mesure des impacts environnementaux de l’IA afin de prendre en compte les dimensions des opérations de calcul, de la consommation d’électricité, de l’empreinte carbone et de l’utilisation de l’eau.

 

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