Au cours des 20 dernières années, le secteur du luxe s’est fortement consolidé et le portefeuille de marques des grands groupes internationaux largement étoffé. Le ralentissement récent de la croissance du secteur du luxe est-il le signe de la fin d’un cycle ? Doit-on s’attendre à une baisse du nombre de transactions ? Pas tout à fait. Toujours plus protéiforme, le secteur du luxe ne cesse de se réinventer et trouve encore dans la croissance externe le moyen de sécuriser son avenir, d’accroître sa résilience… tout en préservant coûte que coûte la désirabilité de ses marques.
Bien qu’initialement controversée, la consolidation a bien été source de création de valeur
Ces dernières années, les groupes de luxe se sont livrés à une véritable course pour acquérir les marques les plus prometteuses de leur secteur. S’en est suivie une consolidation dont certains craignaient qu’elle se solde par un essoufflement des marques et de leur identité créatrice… Mais ce n’est heureusement pas ce scénario tant redouté qui s’est produit. Force est de constater que la capitalisation boursière des plus grands groupes de luxe a bondi de plus de 300 % au cours des 10 dernières années.
Les groupes de luxe ont en réalité su opérer deux mouvements habituellement très difficiles à concilier : d’une part ils ont mis en commun leurs fonctions régaliennes (finance, immobilier, juridique, IT, achats media, ressources humaines aussi, dans une moindre mesure), à la fois au niveau central / groupe et au niveau des régions, afin de faire pleinement levier sur l’effet de taille, générer des gains d’efficacité opérationnelle et accélérer la croissance à l’international. D’autre part, ils se sont attachés à préserver l’ADN des marques, laissant le champ libre et préservant à tout prix l’autonomie et même leur « secret sauce » sur les plans créatif, marketing et commercial.
Cet effort de synergies sélectives a aussi permis de créer des centres d’excellence visant à mutualiser les nouvelles expertises stratégiques, comme le Digital, l’Innovation, le CRM, la RSE. Ainsi, les synergies de taille ont bien contribué à nourrir la performance des marques, de façon certes indirecte, en leur donnant les moyens financiers de rester elles-mêmes … et in fine de hausser le niveau et le ton créatif.
Avec près d’une centaine de transactions par an, la profondeur de marché ne se tarit pas.
Le rythme de fusions et d’acquisitions dans le secteur n’a pas faibli avec entre 90 et 110 transactions réalisées chaque année depuis 2018, dont 25 % à 30 % seulement menées par des fonds d’investissement. Preuve de l’appétit et de la capacité de création de valeur des acteurs du secteur.
Au sein de ces transactions, c’est le secteur de la joaillerie qui tient le haut du tableau, comptant pour 50 % à 55 % des transactions, tandis que la mode représente 35 % à 40 % du volume de deals.
Ce flux de transactions continu reflète une profondeur de marché importante et qui ne se tarit pas, nourrie non seulement par un souffle créatif constant, mais aussi par l’expansion des frontières du luxe à de nouvelles catégories de produits et services : ainsi, la catégorie Outdoor a désormais sa place sur les podiums, à la fois dans les collections de marques traditionnelles et dans celles de spécialistes comme Moncler. De même, la croissance stellaire d’un segment de niche au sein des parfums et plus largement de la beauté - avec des marques comme Creed, Byredo ou encore Francis Kurkudjan – illustre bien l’envie des consommateurs les plus aisés de consommer luxe et exclusivité de bout en bout. Enfin, le développement d’un luxe expérientiel, qu’il soit appliqué à l’univers de la croisière (avec par exemple la Compagnie du Ponant) ou encore à celui de la mixologie (comme par exemple le bar à cocktail Cravan lancé à l’initiative de Moët Hennessy dans le quartier historique de Saint-Germain-des-Prés) résume bien la quête des consommateurs : des expériences marquantes dans des univers uniques et emprunts de l’art de vivre à la française.
Plus que le développement du portefeuille de marques, c’est l’intégration sur la chaîne de valeur qui motive bon nombre des transactions du secteur.
Le développement du portefeuille de marques des grands groupes de luxe se fait de façon relativement lente car les cibles remplissant l’ensemble des critères sont rares : les candidats doivent non seulement afficher une très forte désirabilité, mais ils doivent aussi avoir coché quelques autres critères essentiels au premier rang desquels d’une part une pertinence de marque internationale (i.e. capacité à attirer quelle que soit la nationalité et la culture) et d’autre part une résilience et une capacité à séduire au-delà du ou des références iconiques par lesquelles la marque s’est faite connaître. Le cumul de ces deux critères implique bien souvent pour les marques d’avoir dépassé le seuil des 150 ou 200 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Si ce n’est la consolidation horizontale, quel est donc le rationnel qui vient nourrir l’appétit des investisseurs et le volume de transactions ? Depuis le début des années 2020, c’est l’intégration verticale sur la chaîne de valeur qui semble être à l’origine d’une large part des transactions du secteur du luxe.
Si dans les années 2010, les groupes de luxe ont avant toute chose voulu prendre part au e-commerce en investissant dans des plateformes de vente en ligne comme Yoox, Net à Porter, Farfetch ou Vestiaire Collective, c’est une toute autre logique qui semble dominer les stratégies d’acquisition sur la période récente : celle de la sécurisation de l’amont.
Ainsi, les groupes de luxe multiplient-ils depuis 5-6 ans les prises de participation dans des ateliers spécialisés opérant dans les métiers de la joaillerie, de l’horlogerie ou du cuir. Ces investissements ne visent en rien à changer ou industrialiser les façons de faire. Bien au contraire, il s’agit avant tout de protéger des savoir-faire essentiels à la production et à la matérialisation de la créativité des marques. L’objectif est souvent de prendre le relai d’un actionnariat familial qui peine à sécuriser sa succession et/ou à suivre le rythme d’investissement en capacité que requiert la croissance. Ainsi, LVMH avec l’acquisition d’Orest et de Pedemonte, ou encore Kering avec le rachat des 4 ateliers de joaillerie (Blondeau, Belter, Chanson et FG développement) illustrent parfaitement cette volonté de sécuriser la production en qualité et quantité.
Bien sûr, cet investissement sur l’amont ne peut être dissocié d’une attention accrue à la question de la durabilité des produits, et aux initiatives innovantes en la matière ; ce qui ouvre la voie à de nouvelles opportunités de partenariats - comme entre Kering et Mogu, société spécialisée dans les biomatériaux, ou encore entre LVMH et Nona Source, plateforme de revente de tissus de maisons de luxe – toujours dans le but de mieux combiner croissance et durabilité.
Ainsi, loin de se résigner à la fin d’un cycle, le secteur du luxe continue de se transformer et d’innover, y compris en matière de croissance externe. Avec toujours cette créativité et cet esprit de conquête qui caractérisent le secteur et en conditionnent le succès.