Dans l’industrie du luxe, l’apposition d’un « Made in » dépasse de loin la simple fonction informative d’étiquetage. Elle incarne à la fois une promesse d’authenticité, un signal de savoir-faire, une justification du prix et un vecteur de confiance. Pour les consommateurs, un sac « Made in France » ou un costume « Made in Italie » ne signifie pas seulement que la dernière transformation substantielle a eu lieu dans ces pays, mais qu’il existe, derrière cette mention, un capital culturel et artisanal, fruit d’une tradition transmise et d’une réputation solidement ancrée. Pour les maisons de luxe, cette promesse est doublement contraignante : elle suppose le respect strict des critères juridiques définis notamment par le droit douanier et engage leur responsabilité réputationnelle dans un contexte de transparence accrue.
L’actualité américaine, marquante de l’année 2025, relative à la surtaxe des produits notamment issus de l’industrie du luxe et la stricte application du contrôle de ses règles du « Made in USA » constituent un parfait cas d’école pour réfléchir aux impacts et les stratégies envisagées par les opérateurs du secteur.
Enjeux juridiques et économiques du « Made in »
Les règles sont complexes et restrictives. En Europe, le Code des douanes de l’Union en fixe le cadre en définissant l’Origine non Préférentielle (ONP)1 : à savoir le pays où le produit a été entièrement obtenu ou a subi sa dernière transformation substantielle (Règlement (UE) n° 952/2013). Et c’est cette ONP qui permet de déterminer le « Made in ».
Au niveau national, les articles 39 et 40 du Code des douanes national (CDN) et la circulaire du 13 mai 2016 permettent à la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) de contrôler la conformité des marquages d'origine française et de sanctionner les infractions. L'article L. 121-2 du code de la consommation, lui, stipule que la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des Fraudes (DGCCRF) 2 doit s'assurer que les marquages d'origine ne trompent pas le consommateur.
Eu égard à la complexité des règles et en vue d’aider les entreprises à naviguer dans ces exigences, les services des douanes ont d’ailleurs mis en place en 2022 un Service de l’origine et du made in France (SOMIF), chargé d’assurer la délivrance de Renseignement contraignant tarifaire (RCO) ou d’information sur le « Made in France » (IMF) 3 : Cependant, il convient de préciser que l’IMF reste un simple avis qui ne constitue ni une certification, ni un label.
Ainsi, au-delà de la seule communication, cette vigilance juridique reconfigure concrètement la supply chain et la production des maisons de luxe. Côté traçabilité, les acteurs doivent cartographier la nomenclature produit (BOM), documenter l’origine de chaque composant et être en mesure de prouver la « dernière transformation substantielle » au sens du Code des douanes de l’Union pour toute allégation de type « Made in » en Europe. En pratique, cela se traduit par des déclarations fournisseurs, la conservation de routings/ordres de fabrication, factures et attestations, voire le recours à une décision d’information contraignante sur l’origine (RCO) pour sécuriser l’analyse en cas de contrôle.
Par ailleurs, l’Europe pousse pour une transparence accrue (passeport produit numérique dans le cadre de l’ESPR45) dans le textile habillement, ce qui standardise la collecte et la transmission d’informations tout au long de la chaîne de valeur.
En cas de marquage abusif, les sanctions peuvent être sévères : actions en concurrence déloyale, sanctions douanières ou pénales. La DGCCRF rappelle que des mentions d’origine inexactes relèvent des pratiques commerciales trompeuses et peuvent être sanctionnées, renforçant la nécessité d’un alignement étroit entre réalité industrielle et promesse marketing.
Aux États-Unis, la Federal Trade Commission (FTC) est allée plus loin en exigeant qu’un produit revendiquant le « Made in USA » soit entièrement ou presque entièrement « all or virtually all » fabriqué sur le territoire américain. Ils ont également étendu l’exigence de conformité à l’étiquette comme au digital (sites, catalogues, publicité) 6 et appliquent des pénalités civiles en cas d’allégation non qualifiée non conforme.
En 2025, la FTC a d’ailleurs adressé des lettres d’avertissement à des entreprises commercialisant des produits faussement présentés comme « Made in USA », les obligeant à changer leurs pratiques, à vérifier l’origine de leurs composants, et dans certains cas à réorganiser leurs approvisionnements.7 Ces exemples illustrent l’effet immédiat de la règle : contraindre les marques à prouver ou modifier leur production pour rester conformes.
Surtaxe et délocalisation : une pression croissante
La surtaxe sur les importations européennes aux États-Unis, jointe à la volonté croissante du marché américain d'acheter des produits "made in US" 8 accentue la pression sur les entreprises de luxe et créée un risque de délocalisation qui menace leur profitabilité. La délocalisation de la production est compliquée en raison des critères de performance et de sécurité élevés associés au "made in France". Dans le secteur cosmétique par exemple, il serait complexe de reproduire les mêmes formules à l'étranger, tout en maintenant un niveau de qualité identique, en particulier en raison des différences réglementaires. De plus, établir une usine aux États-Unis ne garantit pas que le savoir-faire et la qualité des procédés seront transférés de manière équivalente, ce qui rend la délocalisation moins avantageuse pour les professionnels du secteur.9
La chaîne de valeur : un impératif stratégique
L'industrie du luxe, ancrée dans une image de marque soigneusement cultivée, doit impérativement éviter tout risque de non-conformité qui pourrait entacher sa réputation. Pour cela, le contrôle de la chaîne de valeur s'avère essentiel. Les produits traversent fréquemment plusieurs frontières, à chaque étape de leur fabrication, avant d'atteindre le consommateur final, ce qui entraîne potentiellement une accumulation de droits de douane et augmente le coût commercial.
Cette vigilance juridique redéfinit les supply chains du luxe. La provenance des produits, souvent mise en avant par le label « Made in », doit être étayée par des justificatifs fournis par les différents opérateurs de la chaîne, ce qui nécessite une transmission d'informations efficace et transparente. Les maisons doivent désormais documenter minutieusement la provenance de leurs matières, justifier la localisation de leurs ateliers, conserver les preuves d’authenticité des opérations et former des équipes capables de garantir cette conformité. La traçabilité devient un impératif stratégique autant qu’un outil de communication. Dans un contexte où les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles à la transparence, notamment sur les réseaux sociaux où des critiques émergent régulièrement contre des marques accusées « d’embellir » le storytelling sur leur mode de fabrication, toute approximation constitue un risque réputationnel majeur.
De plus, la qualité du système juridique du pays fournisseur peut être un atout ou une contrainte, influençant la confiance dans le droit local des contrats. Les entreprises doivent également se conformer aux normes sanitaires et techniques imposées par le pays chef de file, ainsi qu'aux réglementations sur les pratiques commerciales déloyales et la protection des consommateurs.
Ainsi, la délocalisation dans la chaîne de valeur, peut entraîner des risques supplémentaires, rendant d'autant plus crucial le contrôle de chaque maillon. Pour les acteurs du luxe, maîtriser leur chaîne de valeur n'est pas seulement une question de conformité, mais un impératif stratégique pour préserver leur prestige et répondre aux attentes d'un marché en constante évolution.
Stratégies des entreprises : entre stockage préalable, délocalisation, maintien du lieu du savoir-faire, création de label et réinternalisation de la production
Face à ces exigences, les stratégies des entreprises varient.
Certaines entreprises, dans l’industrie de l’horlogerie suisse notamment, pour lesquelles le marché américain constitue le premier marché, ont préféré gonfler leurs stocks aux Etats-Unis avant l’entrée en vigueur des mesures pour ensuite patienter et espérer un accord plus favorable.
A l’opposé certaines ont explicitement envisagé une délocalisation. La création d’ateliers américains pourrait éventuellement sécuriser l’accès au marché en contournant ces barrières, tout en répondant à une demande croissante pour le local « Made In Made For ».
Mais l’expérience montre que le transfert du savoir-faire n’est pas simple, le recrutement et la formation restant un enjeu central.
A l’inverse, d’autres acteurs investissent, à l’inverse, dans la pérennité du savoir-faire artisanal. Ce modèle, bien que coûteux, illustre une autre approche : faire du « Made in France » un élément identitaire incontournable, même au prix de contraintes fiscales, douanières et sociales.
Made In : un outil de relocalisation stratégique pour les gouvernements
L'impact des politiques douanières sur le commerce international constitue une réalité indéniable. Ces politiques, qui régissent les conditions d'importation et d'exportation des biens, influencent directement les flux commerciaux entre les nations. En imposant des droits de douane, des quotas ou des restrictions, les gouvernements protègent leurs industries locales tout en affectant la compétitivité des produits étrangers. Par ailleurs, ces mesures peuvent entraîner des répercussions sur les prix pour les consommateurs, modifier les dynamiques des chaînes d'approvisionnement mondiales et entrainer une délocalisation des entreprises. Ainsi, les politiques douanières jouent désormais un rôle crucial dans la structuration des échanges internationaux et dans la définition des relations économiques entre les pays.
L’actualité de cet été relative à la hausse des droits de douane à l’importation aux USA et l’application stricte de l’administration américaine du « Made in USA » confirment ce point. A ce titre, la politique douanière du gouvernement américain avait pour objectif d’attirer les investissements étrangers pour réindustrialiser les Etats-Unis.10
En ce sens, du côté français, le « Made in France » reste un levier essentiel pour soutenir la relocalisation industrielle en France. Ainsi, le « Made in France » se veut non seulement gage de qualité, mais également outil stratégique pour revitaliser l'industrie nationale et répondre aux défis économiques contemporains, en favorisant la relocalisation plutôt que la délocalisation.
Conclusion
L'actualité concernant le « Made in USA » et les surtaxes sur les produits de luxe importés souligne l'impact significatif du "Made In" sur les échanges internationaux et les chaînes d'approvisionnement dans ce secteur. L'industrie du luxe, en raison de son attachement à cette notion, est l'une des premières à subir les conséquences des changements réglementaires et des perceptions relatives à l'origine des produits.