Le secteur des technologies médicales en France est à un tournant décisif. Avec un marché européen des dispositifs médicaux estimé à 160 milliards d’euros en 2023, la France occupe une position de choix en tant que deuxième acteur européen, derrière l’Allemagne. Cependant, cette dynamique est tempérée par des défis structurels majeurs : un cadre réglementaire de plus en plus exigeant, une pression accrue sur les prix, et des difficultés de financement qui freinent particulièrement l’entrée de nouveaux acteurs et le développement d’innovations.
Ces défis s’inscrivent dans un contexte mondial, comme l’illustre le 18e rapport Pulse of the MedTech Industry d’EY, qui met en lumière une croissance plus lente du marché global (+3,8 % en 2024). Ce ralentissement est attribué à une concurrence accrue et à des coûts en hausse. Néanmoins, loin d’être uniquement contraignant, ce contexte ouvre la voie à des opportunités stratégiques pour les acteurs français.
Le secteur MedTech en France peut s’appuyer sur plusieurs leviers pour stimuler sa croissance : l’adoption de technologies innovantes et de démarches de conformité « by design », le soutien des dispositifs de remboursement anticipé comme le PECAN et le plan France 2030, mais aussi une dynamique favorable aux start-up, et des initiatives publiques-privées renforçant l’innovation et la santé numérique.
En nous appuyant sur les analyses et recommandations des experts EY, nous mettons en lumière les enjeux clés du secteur – réglementaires, économiques et financiers – et les stratégies à adopter pour favoriser l’émergence des innovations et soutenir la compétitivité dans un marché mondial en mutation.
1. Un corpus réglementaire renforcé et déterminant pour le remboursement
Les réglementations européennes et nationales imposent des exigences croissantes qui impactent les entreprises MedTech françaises.
a. La mise en conformité au MDR : un défi coûteux
La mise en conformité au nouveau règlement européen 2017/745 (dit « MDR »), dont les périodes de transition ont été plusieurs fois reportées, continue d'impacter les entreprises françaises.
Près de 82 % d'entre elles déclarent avoir déposé des demandes de certification MDR pour des produits existants et les trois quarts n’ont pas encore obtenu de marquage CE. 79 % des entreprises ont engagé des dépenses pour que leurs produits déjà sur le marché soient conformes au MDR, mobilisant jusqu’à 90 % des effectifs R&D et engendrant une hausse de 54 % des dépenses additionnelles par produit. 51 % ont envisagé ou déclenché des arrêts de commercialisation1.
“La mise en conformité au MDR impose des lourdeurs administratives et mobilise des ressources précieuses qui pourraient être investies dans la R&D, avec un risque de déport vers d’autres marchés” Hélène Miller, Avocat Life Sciences, EY société d’Avocats
Dans ce contexte, une motion de résolution a été adoptée par le Parlement européen lors de la séance plénière du 21 octobre 2024. En particulier, le Parlement européen :
- Appelle la Commission à mettre en place, d'ici le premier trimestre 2025, des mesures afin de répondre aux défis et obstacles les plus urgents dans la mise en œuvre de ces cadres législatifs.
- Insiste sur la nécessité de périodes de transition appropriées.
- Appelle instamment la Commission à envisager des voies accélérées et prioritaires pour l'approbation des technologies innovantes dans les domaines où les besoins médicaux ne sont pas satisfaits.
b. Directive NIS 2, règlement eiDAS : vers une plus grande sécurité numérique ?
De nouvelles exigences nationales et européennes sont imposées aux fabricants de dispositifs médicaux numériques. Ces exigences sont fixées aussi bien au travers de réglementations européennes – telles que la directive NIS 2 en matière de cybersécurité ou le règlement eiDAS en termes d’authentification – que de réglementations nationales.
En France, le référentiel d’identification électronique2, qui est le premier chapitre de la politique générale de sécurité des systèmes d’information en santé (PGSSI-S) à être rendu opposable par arrêté ministériel, définit des exigences sur l’accès des usagers à des services numériques traitant des données de santé.
Par ailleurs, l’identifiant national de santé (INS) est également rendu opposable par la loi pour garantir l’identification des personnes et le référencement de leurs données de santé.
Bien que seuls ces deux cadres soient aujourd’hui opposables, les pouvoirs publics ont établi un parcours de référencement applicable aux solutions de télésurveillance et aux dispositifs médicaux numériques qui conditionne leur remboursement par l’Assurance Maladie.
Ce référentiel – mis en œuvre par l’Agence du numérique en santé – comprend de nombreuses exigences additionnelles en matière d’échanges de données avec les services socles nationaux (tels que Mon Espace Santé, l’Annuaire Santé, ProSantéConnect ou encore FranceConnect+), ainsi que d’interopérabilité, auxquels les industriels doivent donc nécessairement se conformer.
Si le dispositif de prise en charge anticipée numérique (PECAN) permet aujourd’hui aux industriels d’accéder plus rapidement au marché et de consolider leur modèle économique, il induit un enjeu majeur de conformité aux cadres de référence du numérique en santé.
Comme le souligne Nihal Filali, Associée en charge des activités numériques en santé et innovation chez EY, dans un tel contexte, où la réglementation du numérique en santé devient de plus en plus exigeante, adopter une démarche de conformité « by design » est désormais indispensable pour les entreprises MedTech.
« Plus que jamais, une démarche de conformité « by design » doit être fortement privilégiée dès la création des produits. Le cadre français, particulièrement structuré, offre par ailleurs une très bonne couverture des exigences au niveau européen malgré une hétérogénéité des cadres nationaux des différents pays en Europe ». Nihal Filali, Associée en charge des activités numérique en santé et innovation d’EY.
c. L’IA Act, une obligation renforcée en matière de surveillance
Ces réglementations, déjà étendues et complexes, se sont également enrichies de nouvelles exigences définies au niveau européen. Pour les dispositifs médicaux intégrant de l'IA, les fabricants devront démontrer leur conformité à des critères stricts pour prévenir les biais et garantir une supervision humaine, en lien avec la mise en œuvre de l'IA Act.
Cette nouvelle réglementation nécessitera des adaptations technologiques importantes pour satisfaire aux normes requises de transparence et de sécurité, et entraînera également un allongement de leur parcours de mise sur le marché pour satisfaire à ces contrôles.
Pour les systèmes d’IA à haut risque des obligations renforcées seront également à mettre en œuvre en matière de gestion des risques, de gouvernance des données et de documentation technique notamment.
Dans ce cadre, il est important de noter la place du contrôle humain (article 14 de l’IA Act).
« Les systèmes d'IA à haut risque (HRAIS) doivent être conçus avec la capacité d'être supervisés par des humains. Pour les fournisseurs et les utilisateurs (déployeurs), cela implique un engagement à créer une IA qui peut être surveillée, comprise et contrôlée par des personnes tout au long de son cycle de vie. » Fabrice Naftalski, Avocat associé Droit du numérique et protection des données, EY Société d'Avocats.
2. Pression sur les prix, baisse du financement et soutien gouvernemental : des freins et des opportunités pour le développement
a. Projet de loi de finance 2025 : vers une pression accrue sur les prix ?
Récemment, une avancée attendue a été réalisée avec la signature le 2 juillet d’un nouvel accord-cadre entre le CEPS, le Snitem, et plusieurs associations du secteur des dispositifs médicaux.
Cet accord vise à donner de la visibilité aux acteurs économiques et faciliter les négociations tarifaires.
Toutefois, dans un contexte de contraintes budgétaires et de concurrence internationale accrue, le Snitem exprime des préoccupations vis-à-vis du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, qui prévoit des économies de 200 millions d’euros par des réductions de prix sur les dispositifs médicaux. Selon le Snitem, cette mesure est « non soutenable » et entre en contradiction avec les objectifs de réindustrialisation et d’innovation portés par le gouvernement. Il souligne une déconnexion entre cette réduction des prix et les réalités économiques des entreprises.
b. Le parcours de remboursement
Des démarches complexes, mais des dispositifs prometteurs pour accélérer l'accès aux innovations médicales.
Le parcours de remboursement peut être long et coûteux.
Toutefois, des initiatives comme le forfait innovation ou la prise en charge anticipée numérique (PECAN) sont lancées afin de permettre aux innovations médicales d’être diffusées plus rapidement aux patients, même si les effets ne sont pas encore démontrés : ainsi notamment entre 2021 et 2023, seuls 4 forfaits innovations ont été publiés au JO, et 1 seule entreprise a bénéficié du récent dispositif PECAN (en décembre 2023)3.
3. Baisse du financement : les MedTechs françaises soutenues par des initiatives gouvernementales
Selon le Panorama de la filière industrielle des dispositifs médicaux en France publié par le SNITEM, l’année 2023 a été marquée par une baisse des financements, des transactions et des introductions en bourse :
- Les montants levés en 2023 par les entreprises s’élèvent à 480 M€, après 3 années à près d’1 Mrd€.
- En nombre de transactions, la baisse de 2023 est encore plus marquée, avec près de 40 transactions sur l’année, contre une moyenne de près de 65 opérations annuellement les 3 années précédentes.
- Aucune introduction en bourse depuis 2021.
Les start-up du secteur ont tout de même réussi à maintenir des levées de fonds moyennes supérieures ou égales à 10 millions d’euros pour la quatrième année consécutive. Dans les données issues du Baromètre du capital risque EY publié tous les trimestres, on constate à fin septembre 2024 que la levée moyenne des start-up Medtech est passée à 8m€ sur les 9 premiers mois de 2024, avec un nombre d’opérations en croissance de 60 %. Cette tendance est la même dans les Biotechs et s’explique par une réduction sensible des financements séries B et C et une croissance forte de l’amorçage et des séries A.
Bien que le secteur continue de rencontrer des défis importants, les récentes initiatives gouvernementales, notamment dans le cadre de France 2030, visent à accroître son attractivité et à stimuler la réindustrialisation en France, avec un accent particulier sur l’accélération de la santé numérique.
En 2023, un bilan a été dressé sur les aides et investissements octroyés par Bpifrance aux entreprises du secteur notamment à travers le plan France 2030. Au total, 250 projets ont été financés pour 328 M€, soit plus de 50 % par rapport à 2022. Les aides sont destinées majoritairement aux PME : 217 bénéficiaires, dont 105 PME4.
En particulier, les tiers-lieux, laboratoires collaboratifs réunissant acteurs industriels, académiques et institutionnels, ont été créés pour encourager l’émergence de solutions technologiques.
Un appel à projet « Challenge prévention : démonstration de la valeur des innovations en vie réelle » a été ouvert en septembre dernier et vise à mobiliser l’innovation au service de la prévention afin d’améliorer l’état de santé et la qualité de vie des citoyens, en cohérence avec la Stratégie nationale de santé 2023-2024 ; domaine dans lequel le secteur des MedTechs pourra jouer un rôle majeur.
« Ces initiatives bienvenues offrent des opportunités pour les entreprises MedTech qu’il faut encourager, ce secteur étant porteur d’économies grâce à la prévention et au monitoring à distance, évitant des hospitalisations coûteuses et des tensions sur les ressources médicales. Il reste à mettre en place une évaluation à même de prendre en compte cette valeur ajoutée, y compris en termes de qualité de vie des patients. » Virginie Lefebvre-Dutilleul, en charge du secteur Santé chez EY.
4. Recommandations stratégiques pour accélérer la croissance des MedTech françaises
Dans un tel contexte, les entreprises MedTech françaises doivent adopter des stratégies ciblées pour transformer ces obstacles en opportunités. Voici les axes stratégiques prioritaires pour renforcer leur compétitivité et soutenir l’innovation, à la lumière du 18e rapport Pulse of the MedTech Industry d’EY :
Renforcer la conformité réglementaire et l’anticipation
- Une approche « conformité by design » doit être adoptée pour intégrer les exigences des cadres tels que le MDR, l’IA Act ou le PGSSI-S dès les premières étapes de développement des produits.
- Les entreprises doivent investir dans des programmes de formation et des outils adaptés pour garantir que leurs collaborateurs maîtrisent pleinement les nouveaux cadres réglementaires.
Favoriser la diversification et l’innovation
- Équilibrer innovation interne et acquisitions : combiner un pipeline R&D solide avec une stratégie d’acquisitions ciblées pour diversifier les portefeuilles et s’étendre dans des segments innovants comme la neuro-technologie ou les dispositifs connectés.
- Intégrer des solutions d’intelligence artificielle et de cloud computing permettant d’optimiser la chaîne d’approvisionnement, de réduire les coûts opérationnels et d’enrichir l’offre produit avec des dispositifs mini-invasifs et connectés.
- Investir dans la force commerciale et le direct-to-consumer (DTC) : renforcer les équipes commerciales et explorer les canaux de vente directe pour cibler les consommateurs finaux, en particulier pour les dispositifs de santé grand public, pour élargir les opportunités de revenus tout en stimulant l'engagement client.
Le secteur MedTech en France est à l’aube de transformations majeures. Face à un environnement en constante évolution, définir une stratégie claire et ambitieuse sera essentiel pour surmonter les challenges et saisir les opportunités qui se dessinent.