Comment attirer la nouvelle génération d’investissements internationaux quand la concurrence mondiale s'intensifie ?

Par Marc Lhermitte

Associé, EY Consulting

#FDI | #Europe | #globaleconomics | #creativeindustries | #innovation | #geopolitics | #publicprivate

11 min de temps de lecture 21 juin 2023
Expertises associées Attractivité

Téléchargements

Pour croître dans une période de transformations géopolitiques, environnementales et technologiques, l'Europe doit s'adapter aux nouvelles attentes des investisseurs.

Téléchargements

  • Téléchargez le rapport complet du Baromètre EY de l’Attractivité de l’Europe 2023 (version en anglais)

Synthèse :

  • Interrogés par EY sur le paysage de l’investissement en Europe, les dirigeants nous disent modifier profondément leurs critères de localisation afin de renforcer leurs supply chains, se conformer aux exigences ESG et trouver les ressorts technologiques et compétences nécessaires à leur compétitivité. 
  • Bien qu’ils restent optimistes sur l’attractivité de l’Europe à 3 ans, les investisseurs mettent en garde le Vieux Continent contre l’instabilité politique, l’augmentation des coûts, une réglementation excessive et la disponibilité des talents.
  • Alors que la concurrence mondiale s'intensifie pour attirer et retenir les investissements de nouvelle génération, l'Europe a six priorités : élaborer un nouveau « récit » européen, mieux accompagner les PME, soutenir la production industrielle autant que l’innovation technologique, affirmer un leadership mondial sur l’ESG, aligner les compétences avec les besoins de nouvelle génération, moderniser et simplifier l’environnement fiscal et réglementaire.

Le 1er épisode du Baromètre EY de l’Attractivité de l’Europe 2023, publié le 11 mai, a mis en évidence à quel point les investissements directs étrangers (IDE) en Europe avaient été affectés par les chocs qui ont frappé le continent en 2022 : le nombre d’implantations et d’extensions annoncées sur le Vieux Continent n’a augmenté que de 1% entre 2021 et 2022. Et la création d’emplois s’est effondrée de 16%.

Malgré tout, notre enquête auprès de 508 dirigeants internationaux montre que la volonté de se développer en Europe reste forte puisque 67% d’entre eux prévoient d’y investir en 2023.

Dans un environnement complexe, volatil et en proie à de profondes mutations, les entreprises savent que l'immobilisme n'est pas une option. Notre époque marque un changement de paradigme, le début d’une nouvelle génération d’investissements étrangers en Europe. La concurrence mondiale s’intensifie. Les priorités des investisseurs évoluent et les décideurs politiques doivent s’interroger sur les projets qui correspondent le mieux aux objectifs et ambitions de leurs territoires.

Dans tous les secteurs et sur tous les marchés, les entreprises font face à des défis majeurs puisqu’elles doivent rendre leurs supply chains plus résilientes, accélérer leur conformité aux critères ESG, œuvrer en faveur d’une trajectoire zéro carbone, reconstruire leurs modèles de valeur autour des technologies numériques disruptives (à commencer par l'IA générative), développer leur capacité d'innovation et former les compétences nécessaires pour atteindre leurs objectifs stratégiques. Dans le même temps, elles n’ont pas renoncé à leurs impératifs d'efficacité et de rentabilité sur le long terme et continuent de privilégier les territoires où elles trouveront un environnement opérationnel stable.

Dans ce contexte, les pays, régions et villes repensent leurs priorités afin de rester compétitifs et d’attirer ces investisseurs de nouvelle génération. Bien que la création d’emplois reste en tête de leurs priorités, les objectifs environnementaux et sociaux, ainsi que la cohésion territoriale gagnent en importance. La qualité, et plus seulement la quantité, est devenue le nouveau mantra du développement économique.

L'Europe doit faire preuve d'agilité pour maintenir et renforcer son attractivité. Peut-elle y parvenir ? Nous avons identifié six priorités pour renforcer la capacité du Continent et de ses territoires à attirer et développer les investissements étrangers :

  1. Réécrire le récit européen afin que les investisseurs étrangers de nouvelle génération se tournent naturellement vers l’Europe
  2. Renforcer le soutien aux PME qui, bien qu’essentielles, restent le maillon faible de l'économie européenne
  3. Accroître, dans tous les secteurs d’activité, les capacités de l'Europe à produire les nouvelles technologies autant qu’à les concevoir
  4. Capitaliser sur le leadership de l'Europe en matière de transition écologique et accélérer la mise en œuvre des normes ESG
  5. Former les nouvelles générations de talents et aligner leurs compétences sur les besoins évolutifs des entreprises européennes
  6. Renforcer la confiance des investisseurs grâce à une modernisation et une simplification du régime fiscal et réglementaire

La nouvelle logique de localisation des investissements étrangers

Le Baromètre 2023 de l’Attractivité de l’Europe indique que les dirigeants apprécient avant tout la stabilité et la résilience de l'économie européenne : la liquidité des marchés financiers et la disponibilité des capitaux, ainsi que la solidité du marché intérieur, sont, en effet, en tête des préoccupations du moment. Parallèlement, notre enquête montre une attention accrue à ce que les acteurs publics peuvent développer vis-à-vis du changement climatique et du développement durable. Cela montre bien le double défi auquel sont aujourd’hui confrontées les entreprises : répondre aux exigences du court terme, celles d'un environnement opérationnel complexe et incertain, tout en réalisant les investissements qui leur permettront de se transformer durablement dans un monde bas-carbone.

Parmi les facteurs suivants, quels sont les trois plus importants à prendre en considération lors de la sélection d’un pays d’investissement ?

Bien que le coût de l'énergie et le mix énergétique n’apparaissent pas en tête des priorités, nos échanges avec les entreprises indiquent qu’il s’agit évidemment d’une préoccupation majeure. Tout simplement, la plupart ont déjà pris, dès l’été 2022, des mesures pour diversifier et sécuriser leur approvisionnement en énergie. Et elles sont par ailleurs conscientes du fait que les décideurs européens continueront à travailler sur cette composante majeure de leur compétitivité, tant le maintien de coûts énergétiques à leur niveau actuel pourrait gravement nuire à la base industrielle de l'Europe.

Construire l'avenir de l'Europe : comment répondre aux nouvelles attentes des entreprises ?

Notre enquête auprès de 508 dirigeants, dans tous les pays européens et tous les secteurs d’activité, montre qu’ils sont optimistes quant aux perspectives de l'Europe. Cependant, dans un monde en rapide évolution, rien n'est jamais acquis. Les décideurs politiques, que ce soit au niveau européen ou national, doivent anticiper et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les attirer et les retenir face à la concurrence des dispositifs tels que l’Inflation Reduction Act (IRA).

Quelles sont donc les priorités des dirigeants internationaux pour maintenir la position concurrentielle de l'Europe au sein de l'économie mondiale ? Le soutien aux industries de haute technologie et à l'innovation figure en tête de liste. L’accompagnement des PME arrive deuxième, suivi par l’adaptation de l’environnement réglementaire aux technologies émergentes.

À votre avis, où est-ce que l’Europe devrait concentrer ses efforts pour maintenir sa position concurrentielle au sein de l’économie globale ?

Au fil de nos analyses, nous avons identifié six leviers, qui correspondent aux principales priorités des entreprises pour l’attractivité de l’Europe :

1. Réécrire le récit européen afin que les investisseurs étrangers de nouvelle génération se tournent naturellement vers l’Europe : les dirigeants réagissent déjà positivement à un récit européen qui souligne la résilience et la stabilité du continent. Mais ce nouveau narratif devra également dire à quel point les industriels, le monde financier, les régulateurs soutiennent les secteurs à croissance rapide, relèvent les défis de la transformation digitale et de la transition vers le "net zero". Les investisseurs étrangers verront également d’un bon œil une action plus coordonnée des États qui donnerait le sentiment d’une unité et exprimerait plus clairement le pouvoir de l'Europe dans son ensemble, sa force en tant que collectif, au-delà des intérêts économiques individuels des nations, des régions ou des villes. À cet égard, de nombreuses entreprises sont susceptibles d'accueillir favorablement un nouvel élan en faveur de l'union des marchés de capitaux, s’appuyant sur la logique d’un marché unique.

2. Renforcer le soutien aux PME qui, bien qu’essentielles, restent le « maillon faible » de l'économie européenne : accompagner les entrepreneurs dans la complexité actuelle et les aider à se développer plus efficacement sur les marchés mondiaux, telle devrait être la priorité des décideurs publics européens. Les PME emploient environ 100 millions de personnes en Europe, représentent plus de la moitié de son PIB et jouent un rôle important dans la création de valeur de tous les secteurs. Cependant, leurs dirigeants sont beaucoup moins portés que ceux des grands groupes à investir en Europe en 2023 (57%, contre 79%). Ils sont également moins optimistes quant aux perspectives à 3 ans du Vieux Continent. Il convient de créer une approche globale pour qu'un plus grand nombre de PME se disent que leur base européenne est un formidable levier pour devenir des acteurs globaux.

3. Accroître, dans tous les secteurs d’activité, la capacité de l'Europe à produire les nouvelles technologies autant qu’à les concevoir : 64% des dirigeants interrogés par EY prévoient d'accroître leur présence en Europe dans le domaine de la R&D au cours des 3 prochaines années, et seulement 33% disent de même pour l’investissement industriel. Un tel résultat doit alarmer nos dirigeants sur la nécessité d’adapter notre attractivité industrielle traditionnelle autant que soutenir les technologies émergentes. Certes, la R&D génère des emplois à haute valeur ajoutée mais souvent en faible volume. Il faut évidemment déployer le maximum d’efforts pour attirer les investissements d’innovation et de conception, mais si nous ne faisons pas de la réindustrialisation de l’Europe une priorité, le continent pourrait perdre les potentiels bénéfices de la réorganisation des supply chains et rencontrer des difficultés à développer leur transition vers les objectifs bas-carbone.

Dans les trois prochaines années, comment pensez-vous faire évoluer votre présence en Europe dans les catégories suivantes ?

4. Capitaliser sur le leadership de l'Europe en matière de transition écologique et accélérer la mise en œuvre des normes ESG : notre enquête montre à quel point l’Europe est en avance en matière de décarbonation et d’ESG. 61% des dirigeants interrogés estiment que le Vieux Continent est plus attractif que ses concurrents mondiaux en matière de durabilité. Notre enquête souligne également l’importance que les entreprises accordent à la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen. Les investisseurs cherchent également à limiter leur exposition aux fluctuations futures du prix des énergies fossiles et du carbone. L’Europe doit sans cesse chercher à consolider cette position et faire face au défi concurrentiel des États-Unis. La mise en place de l’Inflation Reduction Act (IRA) a déjà amené certaines entreprises à repenser leurs projets d’investissement en Europe et elles s’attendent à une réponse d’envergure et d’ambition similaires au sein de l’UE.

5. Former les nouvelles générations de talents et aligner leurs compétences sur les besoins évolutifs des entreprises européennes : de nombreux pays européens connaissent un niveau élevé d’emploi et les entreprises sont confrontées à une compétition accrue pour le recrutement des talents, notamment dans les secteurs en croissance. L’Union européenne a désigné l’année 2023 comme « Année européenne des compétences », dans le but d’accélérer la réalisation des objectifs fixés à l’horizon 2030 : qu’au moins 60% des adultes suivent une formation chaque année, et qu’au moins 78% d’entre eux aient un emploi. Toutefois, 2023 n’y suffira pas. Les efforts de formation et d’insertion professionnelles doivent s’intensifier tout le long de la décennie, et ce dans chaque pays d’Europe. L’UE a donc besoin d’une approche cohérente pour aligner ses systèmes éducatifs sur les besoins changeants des entreprises.

6. Renforcer la confiance des investisseurs grâce à une modernisation du régime fiscal et réglementaire : la grande priorité des investisseurs en matière de politique fiscale en 2023 est celle qui relève des crédits d’impôt pour la R&D, une des réponses possibles - mais pas la seule - à l’IRA. Par ailleurs, les entreprises souhaitent que l’environnement fiscal soient aussi stable que possible. La clarté et la prévisibilité des cadres réglementaires européens restent des facteurs importants pour les entreprises. Les décideurs publics doivent clarifier leurs intentions, notamment dans les domaines émergents, tels que l’IA et les technologies à faibles émissions de carbone, et ce afin placer plus rapidement l’Europe à l’avant-garde de ces deux révolutions. L’Europe pourrait également tirer avantage de son statut protecteur et de ses efforts de souveraineté tant une majorité d’entreprises considère que les cadres réglementaires actuels de l’Europe sont un avantage, que ce soit en matière de protection des données, de propriété intellectuelle ou de fiscalité.

Ce qu'il faut retenir

La 22ème édition du Baromètre EY de l’Attractivité de l’Europe indique un changement de paradigme pour l’investissement. Dans un environnement instable, les priorités des entreprises évoluent. À l’heure où la concurrence mondiale pour les investissements étrangers s’intensifie, les décideurs européens doivent tout faire pour attirer la nouvelle génération d'investissements internationaux : élaborer un nouveau récit européen, mieux soutenir les PME, consolider sa capacité à concevoir et à produire les futures technologies, tirer profit de sa position de leader en matière de transition écologique, former les nouvelles générations de talents et renforcer la confiance des investisseurs grâce à des régimes fiscaux et réglementaires modernisés et simplifiés.

A propos de cet article

Par Marc Lhermitte

Associé, EY Consulting

#FDI | #Europe | #globaleconomics | #creativeindustries | #innovation | #geopolitics | #publicprivate

Related topics Attractivité