Future Consumer Index : comment croître à l’ère du tout abordable ?

Par Fabien Bouskila

Associé, EY-Parthenon, Grande consommation et distribution, France

Responsable du secteur Consumer Products & Retail pour la région Europe de l’Ouest & Maghreb, passionné par la réinvention des business models à l’heure du digital. Guitariste à ses heures.

10 min de temps de lecture 4 mai 2021

La crise du COVID-19 a transformé la vie des consommateurs. Qu’est-ce qui est important pour eux aujourd’hui ? Comment répondre à leurs attentes ? Comment votre entreprise s’adaptera-t-elle ? Elements de réponse dans notre Baromètre Future Consumer.  

En résumé
  • Les consommateurs sont de plus en plus prudents avec leur argent alors que la pandémie s’installe dans le temps.
  • Les intentions d’achat vis-à-vis des produits de marque de distributeur augmentent rapidement et sont bien supérieures aux parts de marchés actuelles.
  • Nous avons identifié cinq actions que les marques peuvent engager pour proposer des produits de qualité supérieure, en adéquation avec l’évolution des consommateurs.

Le Baromètre Future Consumer d’EY analyse le comportement et les perceptions des consommateurs et a permis d’identifier une bascule de l’intérêt de ces derniers des grandes marques vers les produits dits « en marque blanche » ou de marque distributeur (MDD). Cette 4ème édition est construite autour d’un panel international interrogés tous les mois depuis avril 2020.

Nous suivons l’impact de la pandémie sur les consommateurs depuis maintenant quatre mois, et il est clair qu’un retour à la normale prendra du temps. Certains pays continuent d’aller de l’avant (Chine, Nouvelle-Zélande, Danemark, Suède, Australie, Grande-Bretagne, France, Allemagne, …), mais seulement en prenant des mesures restreintes et provisoires. Pourtant, dans de nombreux pays, nous constatons que la confiance des consommateurs stagne ou faiblit (Brésil, Inde, Indonésie, États-Unis …) au fil des mois.

Dans cette nouvelle édition du EY Future Consumer Index, nous nous sommes concentrés sur les impacts que cette perte de confiance pourrait avoir sur les marques du secteur des biens de consommation. Plus précisément, nous avons mis en évidence une tendance croissante à un conservatisme financier et analysé l’opportunité qu’elle représente pour les marques distributeurs (MDD).

On aurait pu s’attendre à ce que l’appétit des consommateurs pour les grandes marques se renforce. Bien que notre indice aille effectivement dans ce sens, l’analyse suggère aussi que la pandémie pourrait entraîner des changements plus profonds dans les attitudes et les habitudes des consommateurs à l’égard des marques distributeur.

Un pourcentage remarquablement élevé de consommateurs dans le monde envisage en effet de consommer ce type de produits. Un taux bien plus élevé que ce que suggère actuellement la pénétration du marché des marques distributeurs.

Rapport prix/valeur

60%

des consommateurs mondiaux se concentreront davantage sur le rapport prix/valeur à l’avenir

Dépenses et modes de consommation

31%

des français vont réduire leurs dépenses et modifier leurs modes de consommation

Certains de ces consommateurs ont dû changer leurs habitudes d’achat par nécessité. Les marques qu’ils avaient pour habitude de consommer étant devenues indisponibles, ces derniers ont été dans l’obligation de tester de nouveaux produits qu’ils n’auraient normalement pas envisagés, comme les MDD.

Il ressort également de nos résultats que certains réfléchissent à des moyens de réduire leurs dépenses dans un contexte où la peur d’une récession est de plus en plus présente. Nous avons relevé cette perception dans tous les segments de consommateurs que nous suivons, et pas uniquement chez ceux qui semblent les plus sensibles au rapport prix/valeur. En France, 31% des consommateurs s’apprêtent à réduire leurs dépenses et à modifier leurs modes de consommation ; c’est plus que dans les autres grands pays industrialisés (25%).

Ces témoignages nous poussent à nous interroger sur un possible point de bascule qui pourrait favoriser les MDD. Nous avons déjà été témoins de l’engouement pour les achats en ligne durant le confinement. Une situation semblable serait-elle sur le point de se produire avec les marques de distributeurs ? Quelle doit être la réponse des grandes marques à ce changement ?

Un optimisme fragile chez les consommateurs

Lors de la publication de la troisième édition de notre baromètre, en juillet, nous avions noté que l’optimisme des consommateurs à travers le monde était en hausse à la suite de la levée du confinement et à l’assouplissement des restrictions. En effet, les indicateurs qui témoignent de l’anxiété des personnes interrogées (comme le pourcentage de personnes très ou extrêmement inquiètes pour la santé de leurs proches) ont été plutôt en baisse.

Dans l’ensemble, ces baisses se sont poursuivies marginalement. Chaque jour, les médias bombardent le public d’information sur l’apparition de clusters, de nouvelles restrictions, l’augmentation des contaminations, les pertes d’emplois et la morosité économique. Lorsque nous interrogeons les consommateurs sur ce qu’ils pensent de leurs finances personnelles, le pourcentage de personnes qui se disent très ou extrêmement préoccupées continue de diminuer. Toutefois, cette baisse ralentit et sur certains marchés, les préoccupations sanitaires et financières repartent même à la hausse.

Les préoccupations en matière de santé reprennent sur les marchés clés, bien qu’elles soient globalement en décroissance.

Les inquiétudes financières reprennent sur les marchés clés, bien qu’elles soient globalement en décroissance.

Les consommateurs sont plus prudents avec leurs dépenses

Certains consommateurs reviennent progressivement à une certaine « normalité » dans leur quotidien, ils retournent par exemple dans les magasins pour essayer des vêtements. Mais les progrès sont lents et inégaux en fonction des pays. Aux États-Unis, par exemple, les consommateurs sont toujours aussi peu enclins à utiliser les transports en commun ou à envoyer leurs enfants à l’école qu’en mai.

Et un retour prudent aux activités « nécessaires », comme aller chez le coiffeur, n’implique aucune augmentation des dépenses discrétionnaires. En fait, 61% des consommateurs disent qu’ils seront désormais plus conscients et plus prudents avec leurs dépenses. Et 48% prévoient de reporter l’achat ou le remplacement d’articles coûteux (voiture, meubles et appareils électroménagers) jusqu’à ce que la pandémie soit terminée.

Pour beaucoup, ce retour tant espéré à la normalité prendra beaucoup plus de temps qu’ils ne l’espéraient. Par conséquent, ils sont profondément préoccupés par l’impact de la récession. À l’échelle mondiale, 54% des consommateurs affirment que le prix est un critère d’achat plus important aujourd’hui qu’il y a tout juste un mois.

Importance du prix

54%

des consommateurs mondiaux affirment que le prix est un critère d’achat plus important aujourd’hui qu’il y a un mois

Ces préoccupations se reflètent particulièrement dans les segments de l’étude qui sont le plus enclins à un haut degré de conservatisme financier. À l’échelle mondiale, le pourcentage de consommateurs dans notre segment « Rester calme, continuer » a doublé entre mai et juin, mais il est maintenant bloqué à ce niveau. De même, le pourcentage dans notre segment « Couper net dans les dépenses » était en baisse rapide, mais cela s’est maintenant stabilisé.

De nombreux gouvernements exhortent les consommateurs à sortir de chez eux et à consommer, mais ces messages ne rencontrent pas un franc succès, pas encore. Lorsque nous interrogeons les consommateurs sur leurs intentions futures, il n’y a pas de changement significatif entre ceux qui envisagent de « continuer à couper dans leurs dépenses » ou à « rester frugal ». Dans l’ensemble, 64 % des consommateurs disent qu’ils n’achèteront pas des produits dont ils ne sont pas sûrs d’avoir besoin, même si cela signifie passer à côté des dernières tendances. 45 % pensent qu’acheter ce qu’ils veulent ne sera pas une option à leur portée, ils devront se contenter de l’essentiel. Cela suggère que de nombreux consommateurs resteront « retranchés » pendant toute la durée de la crise.

Un écart très important entre les intentions d’achat de produits de marques distributeurs et la part de marché de ces produits

Quelles seront les conséquences du conservatisme financier sur les distributeurs de produits en marque blanche ? Les opportunités de prise de part de marché pour ces marques sont importantes dans toutes les catégories et les zones géographiques que nous avons interrogées.

Même dans les marchés où la pénétration des marques distributeur est élevée, il reste des opportunités d’expansion. Par exemple, 67 % des consommateurs britanniques envisageraient d’acheter des marques distributeur dans la catégorie des aliments emballés, catégorie où les marques de distributeur ont actuellement une part de marché de 37 %, selon Euromonitor. En France, 43 % des consommateurs déclarent vouloir privilégier des marques locales ou innovantes face aux grandes marques traditionnelles.

L’écart entre les intentions et la pénétration est encore plus grand dans certaines régions et catégories. Par exemple, 41 % des consommateurs américains disent qu’ils envisageraient d’acheter un produit de marque de distributeur dans le secteur de la beauté et de l’hygiène personnelle, une catégorie où ces produits n’ont actuellement qu’une part de marché de 4 %.

L’intention d’achat de produits de marques de distributeur est significativement plus élevée que la pénétration actuelle.

Fait important, les consommateurs soucieux du rapport prix/valeur et inquiets de l’impact de la pandémie ne sont pas les seuls à exprimer un intérêt pour les marques distributeur. En effet, les consommateurs sensibles à l’écologie, à un engagement sociétal de la marque ou à la notion « d’expérience » montrent également un vif intérêt pour les produits MDD. Contrairement à leur exposition médiatique, le « vert » et le « social » ne guident que 31% des Français dans leurs achats. Le reste de la population est plus motivé par l’accessibilité prix et les bénéfices directs pour la santé. De plus, 60% des Français attendent de la part des marques davantage de transparence, de prise en compte des enjeux de développement durable, et d’impact sociétal positif.

Tous les segments de consommateurs interrogés post Covid-19 envisagent de passer aux MDD

Le passage aux MDD est plus profond qu’il n’y paraît

La bascule vers des produits de marque distributeurs pourrait s’avérer plus profonde et plus durable que lors des ralentissements économiques précédents.

De nouvelles habitudes

56%

des français déclarent se rendre moins souvent dans les magasins pour privilégier des achats drive ou la livraison à domicile

La consommation de produits livrés à domicile semble s’ancrer chaque jour un peu plus dans les habitudes. En France, 56 % des consommateurs déclarent se rendre moins souvent dans les magasins pour privilégier des achats drive ou la livraison à domicile. En effet, 41 % des consommateurs se sentent encore mal à l’aise avec l’idée d’aller au restaurant, 45 % prévoient de maintenir un certain niveau de stock de produits de première nécessité (produits alimentaires, papier toilette, produits nettoyants) au sein de leur foyer.

Le baromètre suggère que l’intérêt pour des produits premium va aller en diminuant. À mesure que de plus en plus de consommateurs se concentreront sur le prix, ils seront moins disposés à payer un prix plus élevé, même pour des spécificités tel que l’origine éthique ou durable de ce dernier.

Comment les entreprises doivent-elles réagir ?

De nombreuses entreprises du secteur ont sous-évalué la nécessité d’investir dans la promotion de la marque et dans l’innovation au cours de la dernière décennie. Au cours de cette même période, les distributeurs ont considérablement augmenté la qualité de leurs produits et ont monté en gamme. Dans ce contexte, la tendance d’achat à la hausse des produits MDD associée à la fragilité économique actuelle pourrait conduire à un tournant important. S’agit-il d’une bascule du marché à laquelle les grandes marques devront répondre de manière défensive, ou d’une opportunité dont ils peuvent faire un avantage à long terme ?

Les consommateurs qui indiquent vouloir acheter des marques distributeur ne passeront peut-être pas à l’acte et seule une minorité de consommateurs limiteront leurs achats aux produits de marques distributeurs. Mais nous pensons qu’il est important que les grandes marques investissent dans le bon portefeuille de produits, les bons packagings, canaux de ventes, prix, ciblages et stratégies marketing. Voici cinq actions à mener pour s’adapter à l’évolution de la demande :

1. Suivre l’évolution des décisions des consommateurs et évaluer la performance des produits par rapport aux concurrents traditionnels et aux marques distributeur.

D’après notre expérience, de nombreuses marques sous-estiment l’élasticité des prix et surestiment la façon dont le consommateur perçoit favorablement leurs produits par rapport aux alternatives MDD. Pour comprendre quelles marques sont les plus vulnérables au développement de ces nouveaux concurrents, il est essentiel d’identifier et de consolider les données entre les catégories et les marchés et de les rendre accessibles et visibles aux différents métiers de l’entreprise.

2. Investir dans des éléments de différentiation concurrentielle et réévaluer vos prix afin d’optimiser le mix produit et la marge.

L’innovation est souvent insuffisante parce que les silos fonctionnels ne travaillent pas ensemble efficacement. Les ventes et le marketing doivent travailler en étroite collaboration avec la chaîne d’approvisionnement pour adapter les propositions de valeur, développer des innovations dans les produits et les emballages, et mettre en place des stratégies de commercialisation et de prix qui donneront envie aux consommateurs de choisir la marque au détriment des autres.

3. Revoir les prévisions de demande dans l’ensemble du portefeuille et développer l’agilité de la chaîne d’approvisionnement pour répondre dynamiquement à différents scénarios.

Les données enregistrées avant la pandémie sont insuffisantes. Quels changements seront permanents et quels changements temporaires ? En planifiant différents scénarios, en suivant l’état actuel des ventes et en répondant rapidement, les entreprises peuvent s’assurer que les bons produits soient accessibles aux bons acheteurs/consommateurs. Cela maximisera le volume et les revenus et minimisera le risque que les consommateurs se tournent vers des solutions de substitution.

4. Réorganiser les ressources et les investissements au profit des distributeurs et canaux de ventes prioritaires pour obtenir des résultats mutuellement bénéfiques.

Le paysage de la distribution a changé et va continuer d’accomplir sa mutation. Les entreprises doivent reconfigurer leurs stratégies d’accès au marché et comprendre comment elles affectent leurs coûts. Investir de façon appropriée permettra d’accroître l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement et des stocks et d’atténuer l’urgence pour les détaillants d’accélérer le développement d’alternatives aux MDD.

5. Repenser l’engagement des consommateurs afin de maximiser la perception de la marque sur les nouveaux canaux d’achat.

Les entreprises doivent identifier laquelle de leurs marques peut réussir à se différencier au-delà du prix, et quand et comment influencer le client. C’est un défi, car les consommateurs mélangent de plus en plus les canaux numériques et physiques ; les leviers de commercialisation sont similaires, mais la façon dont ils travaillent ensemble est différente et nécessite un nouvel ensemble d’approches marketing. Rendre la planification promotionnelle plus ciblée et axée sur les connaissances limitera les fuites de revenus et stimulera le retour sur investissement.

Pour faire face aux conséquences de la pandémie, il faut beaucoup de ressources et une parfaite attention au marché. C’est pourquoi les entreprises de biens de consommation doivent réexaminer chaque partie de leur chaîne de valeur. Ils se sont déjà engagés pour la plupart dans la transformation des canaux de ventes (du physique vers le digital) ; certains grands acteurs ayant fait état d’une hausse de 50 % ou plus de leurs ventes en lignes au premier semestre. Ils réagissent également à l’essor de la consommation à domicile et à l’augmentation des dépenses liées à la santé personnelle et à l’hygiène des ménages.

Le changement de préférence des consommateurs en faveur des marques distributeur est une autre perturbation que les leaders des produits de consommation doivent garder dans leur radar. Au travers du baromètre, nous avons identifié une déclaration d’intention claire — 60 % des consommateurs disent qu’ils porteront une plus grande attention à l’optimisation de leurs ressources à l’avenir, et 32 % disent qu’ils prévoient d’acheter davantage de produits de première nécessité chez les MDD. Mais vont-ils passer à l’acte ?

Le prix est de plus en plus important pour le consommateur, mais comme l’ont démontré nos segments post Covid-19, ce n’est pas la seule chose qui compte. Les marques peuvent limiter la bascule vers des marques de distributeur en fournissant des produits de qualité supérieure qui répondent aux valeurs et aux priorités changeantes des consommateurs. En effet, 39 % des consommateurs prévoient d’acheter davantage auprès d’organisations qui profitent à la société, même si leurs produits/services sont plus chers. La réévaluation des priorités des consommateurs, conduite par la pandémie, va desservir les marques « complaisantes », mais elle favorise déjà celles qui offrent plus qu’un prix.

  • Méthodologie

    Nous avons interrogé 14 074 consommateurs aux États-Unis, au Canada, au Brésil, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, au Danemark, en Suède, en Finlande, en Norvège, en Inde, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, en Chine, en Indonésie, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande au cours de la semaine du 20 juillet 2020. Le questionnaire de l’enquête portait sur les comportements, le sentiment et l’intention d’achat au moment de l’étude.

Ce qu'il faut retenir

Le baromètre EY Future Consumer Index avait identifié lors de sa troisième édition au mois de juin un retour à l’optimisme, mais ce dernier a commencé à ralentir dès le mois de juillet. Sur certains marchés clés, cette tendance s’est même inversée. Inquiets pour leur budget, les consommateurs se tournent de plus en plus vers les produits de marque distributeur. La bascule qui s’opère aujourd’hui pourrait être plus profonde et durable qu’anticipé. En réponse, les grandes marques doivent fournir des produits de qualité supérieure qui répondent aux valeurs et aux priorités changeantes du consommateur, et le faire savoir.

A propos de cet article

Par Fabien Bouskila

Associé, EY-Parthenon, Grande consommation et distribution, France

Responsable du secteur Consumer Products & Retail pour la région Europe de l’Ouest & Maghreb, passionné par la réinvention des business models à l’heure du digital. Guitariste à ses heures.