12 min de temps de lecture 16 juin 2022
Actualité comptable : impacts de l’invasion de l’Ukraine et contexte économique général

Actualité comptable : impacts de l’invasion de l’Ukraine et contexte économique général

Par Pierre Phan Van Phi

Associé, IFRS Desk Leader, Assurance, France

Après 12 ans d’audit, Pierre s’est spécialisé dans les normes IFRS dès 2002 et dirige aujourd’hui la fonction technique EY.

12 min de temps de lecture 16 juin 2022

Pour de nombreuses sociétés, les arrêtés semestriels 2022 seront les premiers états financiers publiés depuis l’invasion de l’Ukraine.

En résumé

  • De très nombreux groupes sont susceptibles d’être affectés, directement ou indirectement, par les conséquences de ce conflit.
  • L’ESMA et l'AMF ont publié dès le 14 mars des communiqué sur l’Ukraine.

De très nombreux groupes sont susceptibles d’être affectés, directement ou indirectement, par les conséquences de ce conflit.

La guerre en Ukraine est en effet susceptible d’avoir des conséquences sur les groupes à plus d’un titre :

  • Directement :
    • à travers une entité, filiale, joint-venture ou associée, implantée en Ukraine, en Biélorussie ou en Russie ou leurs activités dans ces pays ;
    • du fait de transactions significatives d’achat ou de vente avec des tiers dans ces pays ;
    • du fait des sanctions visant des entités ou individus avec lesquels existent des relations d’affaires,
  • et, indirectement, du fait des conséquences sur l’économie mondiale (e.g. prix des matières premières, inflation, prévisions de croissance).

Lorsqu’elles sont significatives, les incertitudes créées ou augmentées par ce contexte rendent nécessaire la fourniture d’une information financière :

  • complète et détaillée sur les principaux risques et incertitudes auxquels l’entité est exposée, et les principaux jugements et estimations-clés associés ;
  • organisée, en regroupant l’information dans une note dédiée ou en indiquant les références aux différentes notes concernées ;
  • spécifique aux circonstances particulières de chaque groupe.

S’agissant d’informations portant sur des circonstances apparues au premier semestre de l’année, leur publication dans des comptes semestriels plutôt que dans des comptes annuels ne doit pas conduire à en réduire le contenu au motif que les comptes semestriels sont des comptes condensés plutôt que des comptes complets.

Communiqués ESMA et AMF

L’ESMA a publié dès le 14 mars un communiqué sur l’Ukraine suivi d’un second, beaucoup plus détaillé, le 13 mai dernier. L’AMF a spécifiquement relayé ces communiqués en France.

Les régulateurs y appellent plus particulièrement les groupes ayant une exposition géographique ou liée à leur(s) activité(s) (e.g. secteurs de l’énergie ou de l’agriculture) :

  • à décrire l’impact de l’invasion sur leurs états financiers ou à expliquer clairement les raisons de l’absence d’impact dans les comptes présentés ;
  • à veiller au strict respect des obligations de communication immédiate de toute information susceptible d’avoir un impact significatif sur le cours des instruments cotés de capital ou de dette de l’entreprise, en application du règlement UE Abus de Marché.

Une affaire de processus

L’identification et le traitement des enjeux comptables doivent :

  • s’appuyer sur le processus interne mis en place pour recenser et piloter les risques ;
  • refléter les faits et circonstances jusqu’à la date de publication des comptes (ce qui nécessite d’adapter le cas échéant les procédures de clôture des comptes),
  • suivre une démarche systématique pour prendre en compte l’ensemble des impacts potentiels qu’il s’agisse d’enjeux bilanciels, mais aussi, par exemple, d’impacts sur les engagements hors bilan (donnés ou reçus) ou la liquidité (e.g. contrats de dette, cessions de créance, appels de marge).

Quelques points d’attention particuliers

Comme pour la pandémie de Covid-19, faute de pouvoir recenser et présenter l’ensemble des conséquences de la situation géopolitique et économique actuelle, il n’est pas approprié de présenter séparément au compte de résultat certaines de ces conséquences. Seuls les éléments de résultat qui ont pu être classés à bon droit par le passé comme non courants peuvent continuer à l’être, quand bien même ils seraient liés aux circonstances actuelles.

La qualité des informations en annexe est également essentielle, en vue notamment d’éviter que des pertes significatives n’aient à devoir être comptabilisées à l’avenir sans qu’aucune information préalable sur l’exposition à ces risques n’ait été signalée dans les comptes qui auront été publiés lors des clôtures précédentes.

1. Dépréciation des actifs non financiers

L’estimation de la valeur recouvrable de ces actifs (immobilisations corporelles et incorporelles, y compris goodwill, titres mis en équivalence et stocks) doit à la fois :

  • refléter les décisions stratégiques les plus récentes prises par le groupe en matière d’abandon, cession, suspension d’activités ou d’arrêt d’investissements ;
  • prendre en compte les incertitudes liées à la situation, par exemple à travers l’utilisation de scénarios multiples ou la prise en compte d’une prime de risque.

L’annexe devra inclure des informations concernant :

  • les principales révisions d’hypothèses opérationnelles et financières intervenues depuis les derniers tests mis en œuvre ;
  • les hypothèses clés (le cas échéant nouvellement identifiées) et la sensibilité des valeurs comptables à celles-ci.

2. Consolidation des entités en Russie ou en Biélorussie :

Il faut souligner à ce titre que :

  • l’existence de restrictions à la capacité de prendre certaines décisions clés doit être prise en compte dans l’évaluation du contrôle, mais n’est pas en elle-même conclusive ;
  • des restrictions sur l’utilisation de la trésorerie d’une filiale n’emportent pas la perte de contrôle.

L’ensemble des faits et circonstances doit être pris en compte dans cet examen avant de conclure éventuellement à la perte du contrôle, du contrôle conjoint ou d’une influence notable, y compris en cas de cession lorsque la cession est assortie de clauses particulières.

Rappelons que :

  • en l’absence de perte de contrôle, une entité doit continuer à être consolidée, même si elle fait des pertes ;
  • une perte de contrôle entraîne la déconsolidation et la comptabilisation d’un résultat de déconsolidation et le recyclage de l’OCI recyclable, tandis qu’une éventuelle reprise du contrôle conduirait à comptabiliser une acquisition et à évaluer un nouveau goodwill.

3. Couvertures d’assurance

Sauf clause contraire, la guerre est en général exclue des couvertures d’assurance dommages. Il est également fréquent que les assurances crédit prévoient des clauses d’inéligibilité en cas de perte liée à un conflit armé. La rédaction des éventuelles clauses d’exclusion est dans ce contexte particulièrement importante, l’exclusion des seules « conséquences directes » étant plus limitée par exemple que l’exclusion des « conséquences directes et indirectes ».

4. Présentation des décisions de vente ou d’abandon d’activités

  • L’application de la norme IFRS 5 nécessite une disponibilité immédiate à la vente et la démonstration de la haute probabilité d’une cession dans les 12 mois, ce qui peut poser des difficultés particulières du fait du contexte de sanctions ;
  • Les activités abandonnées ne doivent pas être présentées séparément au bilan, mais doivent être reclassées au compte de résultat dans la période d’abandon (y compris dans les comparatifs) si les critères de taille de l’activité abandonnée sont remplis.

5. Autres enjeux

Les circonstances actuelles sont également susceptibles d’avoir des impacts sur de nombreuses autres estimations clés ou facteurs de risques des groupes, parmi lesquels :

  • La recouvrabilité des impôts différés actifs
  • L’estimation des pertes de crédit attendues relatives aux créances, prêts et « actifs contrat » IFRS 15 et du risque sur la mise en œuvre des garanties reçues : rappelons à ce sujet qu’il n’est pas approprié de ne comptabiliser des dépréciations qu’à hauteur d’un risque apprécié sur une base nette, sauf unicité de la contrepartie et existence d’accords de compensation
  • Le maintien des relations de couvertures de transactions futures
  • Les risques de liquidité, notamment pour les groupes actifs sur les marchés à terme qui sont exposés à des appels de marge
  • Les risques liés à un manquement à la stricte application des différentes sanctions internationales qui sont édictées par de nombreuses parties prenantes, parfois complexes et évolutives.

Ce qu'il faut retenir

De très nombreux groupes sont susceptibles d’être affectés par les conséquences de la guerre en Ukraine. Les régulateurs les appellent à décrire dans leurs comptes tout ce qui pourrait avoir un impact significatif sur le cours des instruments cotés de capital, de dette d’entreprise ou sur les couvertures d’assurance.

A propos de cet article

Par Pierre Phan Van Phi

Associé, IFRS Desk Leader, Assurance, France

Après 12 ans d’audit, Pierre s’est spécialisé dans les normes IFRS dès 2002 et dirige aujourd’hui la fonction technique EY.