8 min de temps de lecture 30 nov. 2023
Une montagne et son reflet dans un lac

Défis et mesures à l’aube de l’entrée en vigueur d’EMIR REFIT

Par Marielle Fernainé

Partner, Business Consulting, France

Ingénieure et diplômée de l’ESCP, Marielle a plus de 16 ans dans le conseil pour le secteur financier.

8 min de temps de lecture 30 nov. 2023

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Depuis 2014, la réglementation EMIR encadre les produits dérivés en Europe à des fins de transparence. EMIR REFIT, prévu pour avril 2024, vient ajouter de nouvelles exigences aux acteurs de la place, notamment en matière de déclaration des transactions.

En résumé :
  • La réglementation EMIR (European Market Infrastructure Regulation) a été instaurée pour atténuer les risques systémiques sur le marché européen des produits dérivés via trois axes principaux : Risk Mitigation, Reporting et Compensation.
  • La récente révision de ce règlement, connue sous le nom d’EMIR REFIT (Regulatory Fitness and Performance Programme), a introduit des évolutions conséquentes sur les exigences réglementaires en matière de déclaration des transactions notamment.
  • Les institutions assujetties ont lancé des projets d’envergure pour y répondre avant l’échéance du 29 avril 2024.

Depuis sa mise en application en février 2014, EMIR a joué un rôle essentiel dans la régulation des produits dérivés en Europe. L'objectif premier de cette réglementation était de réduire les risques systémiques sur le marché européen de ces produits en établissant des règles de transparence et de surveillance. Dans cette optique, EMIR prescrit non seulement des obligations d’atténuation des risques et de compensation centrale, mais également de déclaration détaillée des transactions. Ainsi, toutes les transactions sur les produits dérivés, notamment de gré à gré, doivent être déclarées à un référentiel central (Trade repository) agréé par l'Union européenne.

Cependant, un nouveau pan de la réglementation a été publié (EMIR REFIT) et les exigences sous-jacentes entreront en vigueur dans quelques mois, le 29 avril 2024, marquant un tournant crucial pour le secteur des produits dérivés financiers en Europe. Dans ce contexte, nous allons examiner en profondeur les principales modifications apportées par EMIR REFIT et les défis liés au renforcement des exigences de l’obligation de déclaration des transactions, portant les évolutions les plus significatives pour les institutions assujetties.

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Renforcement des exigences de déclaration des transactions sous EMIR REFIT

Dans le cadre de cette révision réglementaires, de nombreux changements impactant la déclaration des transactions.

Une augmentation du nombre d’informations à déclarer

L'un des changements majeurs introduit par le REFIT concerne l’évolution significative du nombre de champs de données à déclarer pour chaque transaction, passant de 129 à 203 soit une croissance d’environ 57%. Les changements ne se limitent pas à l’ajout de nouveaux champs, en effet :

  • 77 nouveaux champs seront à déclarer
  • 67 champs existants évolueront
  • seuls 3 champs ont été supprimés

Ainsi, 59 champs existants restent inchangés au sein du reporting de transactions. Pour implémenter cette nouvelle version, les institutions financières font face à des défis opérationnels majeurs afin de bien comprendre les champs à ajouter ou modifier, identifier l’approvisionnement de ces derniers et réaliser les développements sous-jacents.

Augmentation du nombre de champs à réconcilier

La réconciliation des informations reportées a aussi été revue, avec un plus grand nombre de champs réconciliables.  En effet, à ce jour environ une cinquantaine de champs sont réconciliés par les dépositaires centraux (en fonction des scénarios de transaction), qui seront par la suite mandatés pour réconcilier davantage de champs :

  • 85 champs à réconcilier au 29 Avril 2024, soit environ trente champs de plus qu’aujourd’hui
  • 149 champs à réconcilier en 2026, avec l’ajout de 64 nouveaux champs

Cette augmentation implique un risque accru de transactions déclarées non reconciliées et par conséquent un accroissement de la charge de correction post-déclaration pour être conforme aux exigences réglementaires. A noter que la correction des déclarations entraine une charge opérationnelle supplémentaire pour les établissements assujettis, comme relevé par l’ESMA dans son rapport annuel « 2022 Report on Quality and Use of Transaction Data ». (add link to this page: ESMA74-427-719 2022 Report on Quality and Use of Transaction Data (europa.eu))

Déclaration des erreurs et des omissions

Face aux problématiques de qualité de données dans le cadre du reporting des transactions, EMIR REFIT introduit une mesure significative afin de contrôler la précision des données déclarées. En effet, les entités assujetties à l’obligation de reporting auront le devoir de déclarer les erreurs et omissions auprès de leur autorité nationale compétente. Cette déclaration pourra être faite au travers d’un modèle prédéfini et fourni par l’ESMA, qui identifie des typologies d’erreurs qu’elle considère comme significatives :

  • Sous-déclarations ou sur-déclarations
  • Champs incorrects ou incohérents
  • Erreurs sur le calcul de la valorisation
  • Erreurs sur les champs relatifs à la compensation

La liste complète des erreurs significatives est partagée dans la section 4.29 du rapport final de l’ESMA du 14 Décembre 2022 (ESMA74-362-2281)

La mise en œuvre de ce processus suscite des interrogations quant aux modalités opérationnelles voire techniques pour répondre aux lignes directrices actuelles, du fait de son caractère novateur pour de nombreuses institutions

Introduction de la notion d’« Event Type »

L'introduction des "Event Types", au nombre de 11, en plus des "Action Types" (9 différents) constitue un changement majeur dans la logique de déclaration des transactions. Alors que les "Action Types" indiquent si une transaction a été créée, modifiée, corrigée ou clôturée, les "Event Types" ont pour but de comprendre précisément les événements survenus au cours du cycle de vie d’une transaction. Ces événements peuvent inclure des éléments tels que les mises à jour de marges, les événements de crédit, etc...

Source : Final Report – Guidelines for reporting under EMIR – 14/12/2022 – ESMA74-362-2281

Transition vers un nouveau format standard : L’ISO 20022

Un des amendements cruciaux du EMIR REFIT est l’évolution du format de déclaration des transactions, avec l’introduction de la norme de ISO 20022 en remplacement des formats existants tels que CSV, FpML, Json, et autres. Cette transition vers cette norme internationale pour les messages financiers, vise à standardiser et à harmoniser les données déclarées dans l'ensemble de l'industrie financière européenne. Cependant, le passage au nouveau format représente un défi technique pour les institutions financières qui doivent s’assurer de la compatibilité de ce format avec leur système existant, ou encore engager des développements dans leurs SI en conséquence.

Attribution d’un Unique Product Identifier (UPI) pour les produits dérivés

Tous les produits dérivés doivent désormais être dotés d’un UPI standard, sauf dans le cas d’une identification par ISIN déjà existante. Etant générés par l’ANNA DSB (L’ANNA Derivative Service Bureau est une agence mondiale de numérotation pour les dérivés de gré à gré qui attribue de numéros d'identification tels que les ISIN), cela implique que les institutions financières communiquent avec cette dernière afin de s’assurer de la complétion de ce nouveau champ à déclarer.

Post Trade Risk Reduction (PTRR)

Dans l’optique de retracer les transactions effectuées dans le cadre de compression de portefeuille, ces dernières devront être déclarées avec un identifient « PTRR » unique. Ce « PTRR ID » est généré par les prestataires PTRR, tels que TriOptima ou Quantile, et doit être récupéré de manière automatisée pour chaque transaction concernée par les institutions déclarantes afin d’assurer la conformité de déclaration de ce type de transactions.

Spécificité pour les dérivés sur cryptomonnaies

A l’heure où les marchés des crypto-monnaies continuent de gagner en popularité, un nouveau champ est introduit dans le cadre de la déclaration des dérivés afférents. Nommé « Derivatives with crypto assets as reference value », il a pour objectif d’identifier les transactions basées sur des crypto-monnaies, notamment sur les produits futurs. Ainsi, les déclarants EMIR devront identifier ces derniers comme des matières premières, afin de les différencier des cryptomonnaies qui sont déclarées dans la classe des taux de change.

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Conséquences et défis d’implémentation

La mise en œuvre opérationnelle de ces exigences implique une refonte des processus et outils dans des délais très restreints.

2.1. Les principaux enjeux technologiques

Un approvisionnement des données avec le niveau attendu en termes de qualité et de traçabilité

Dans un contexte où le reporting EMIR fait encore face à d’importants problèmes de qualité de données, la mise en place d’une nouvelle version de ce reporting vient ajouter de la complexité à la fiabilisation des données à déclarer. En effet, pour les nouveaux champs à renseigner ou pour les modifications de champs existants, il sera primordial de réunir les acteurs clés (Conformité, Opérations, IT/Data) pour identifier les sources pertinentes des données, les règles pour les collecter et les déclarer correctement. La qualité de la donnée se mesurant principalement par sa disponibilité, son exhaustivité, son intégrité, sa complétude, sa fiabilité et sa fraîcheur.

Une évolution du format de déclaration conforme à la norme ISO 20022

Comme indiqué précédemment, les applications et outils existants doivent être revus et mis à jour pour être compatibles avec les exigences du format ISO 20022. Cela implique l’intégration de ce nouveau format dans le système de production de reporting existant, mais aussi sur les processus de paiements. Les institutions financières assujetties doivent s’assurer de la pérennité des solutions technologiques et de leur capaciter à générer efficacement ces nouveaux rapports dans les délais impartis.

Développement de la notion d’« Event type » en complément des « Action types » existants

Un autre défi réside dans le séquencement des déclarations afin de pouvoir capturer l’ensemble des Event types et Action types au cours du cycle de vie d’une transaction. Toute erreur dans le séquencement pourrait entraîner des incohérences dans les rapports et potentiellement mener à des sanctions réglementaires.

2.2. Impacts organisationnels

Gouvernance

Compte tenu des différentes exigences mentionnées précédemment et des problèmes de qualités de données d’ores-et-déjà rencontrés par les institutions financières assujetties à la déclaration de transaction, il est nécessaire d’établir ou de renforcer une gouvernance spécifique et dédiée à la production de ces rapports. En effet, la réalisation de ces déclarations nécessite une forte coordination entre les équipes métiers, conformité et les responsables SI/Data. Ainsi, afin de sécuriser cette production et d’en assurer la qualité sur la durée, il est important de clarifier les rôles et responsabilités de chacune des parties prenantes et de mettre en place des processus et procédures clairs et accessibles à chacun. Par ailleurs, les relations avec les dépositaires centraux devront être revues et renforcées pour garantir une communication transparente et efficace dans le cadre de la déclaration des transactions éligibles.

Dispositif de contrôle

Le renforcement des exigences de déclaration implique une révision complète des dispositifs de contrôle interne. Les institutions financières devront en effet s’assurer de la mise en place des mécanismes de contrôle rigoureux pour fiabiliser la qualité des données transmises, en remédiation des écarts constatés, notamment sur les nouveaux champs. Il faudra également que les institutions financières définissent des contrôles dits « à priori », bloquants en amont de la déclaration des transactions aux dépositaires centraux, pour minimiser les risques d’écarts.

Formation et Sensibilisation des Employés

La formation des employés est un aspect crucial souvent négligé. Les équipes opérationnelles, les professionnels de la Conformité et les Experts SI devront être formés aux nouvelles exigences d'EMIR REFIT, afin non seulement d’assurer la diffusion d’une culture commune concernant la réglementation, mais également d’assurer un processus d’amélioration continue. Ce travail d’acculturation est d’autant plus utile qu’il permettra aux équipes opérationnelles (i) d’éviter erreurs et omissions lors de la déclaration des transactions, (ii) de gagner en pertinence dans l’analyse des éventuels rejets reçus et la définition des actions de remédiation afférentes, et (iii) de limiter les coûts résultant de la correction de ces erreurs, assurant ainsi une déclaration précise et cohérente des transactions.

Conclusion

Alors que l’entrée en vigueur d’EMIR REFIT est imminente, des discussions sont déjà en cours sur un futur EMIR 3.0 et viendraient potentiellement amender à nouveau le volet déclaratif.

Dans ce contexte mouvant et de transition complexe, EY & Associés se positionne comme un partenaire stratégique pour vous accompagner et garantir une transition en toute fluidité et une conformité aux évolutions de cette réglementation, cela se traduisant en une gamme complète de services :

  • Nos équipes d’experts peuvent vous accompagner dans l’analyse approfondie des textes réglementaires et vous aider à décliner ces exigences de façon opérationnelle.
  • La coordination interne étant cruciale pour réussir cette transition, nous avons des équipes pluridisciplinaires (Métier et Technologie) pour vous assister dans la coordination des différentes parties prenantes internes, telles que les équipes opérationnelles, conformité et IT.
  • Si vous avez déjà mis en place votre dispositif, nos équipes peuvent effectuer un diagnostic de conformité de ce dernier au regard des exigences réglementaires. Pour cela, nous pourrions capitaliser sur notre outil interne éprouvé dans l’identification d’éventuelles anomalies de déclaration et leur remédiation

Pour en savoir plus sur nos services et nos outils et discuter de la manière dont nous pouvons vous aider à relever ces défis, n'hésitez pas à nous contacter. Nous sommes prêts à vous accompagner dans ce projet réglementaire d’envergure avec confiance.

Ce qu'il faut retenir

L'adoption d'EMIR REFIT, prévue pour avril 2024, implique des modifications significatives dans le format et le contenu des déclarations de transactions sur les produits dérivés. Face aux défis réglementaires et techniques induits par ces évolutions, il est crucial que les acteurs du marché entament, sans plus tarder, leurs projets de mise en conformité.

A propos de cet article

Par Marielle Fernainé

Partner, Business Consulting, France

Ingénieure et diplômée de l’ESCP, Marielle a plus de 16 ans dans le conseil pour le secteur financier.