16 min de temps de lecture 25 janv. 2021
Établissements de Santé Privé d’Intérêt Collectif : halte aux dépassements d’honoraires !

Établissements de Santé Privé d’Intérêt Collectif : halte aux dépassements d’honoraires !

Auteurs
Virginie Lefebvre-Dutilleul

Avocat Associée, Business Law, Global Life Sciences & Health Law Leader & Wellness Industry Leader, France

Avocate expérimentée dans le secteur de la santé, en charge des solutions de transformation de la Fonction Juridique, elle adore entreprendre, innover et rendre le droit opérationnel.

Marie-Caroline Legait

Avocat, Business Law, Life Sciences, Health Sciences & Wellness, France

En tant qu’avocat au XXIème siècle, il est de notre rôle d’aider le secteur de la santé face à ses enjeux stratégiques et de moderniser notre fonction juridique.

16 min de temps de lecture 25 janv. 2021
Expertises associées Santé Stratégie

Moins de deux ans avant l’interdiction de pratiquer des dépassements d’honoraires, quelles sont les solutions pour les ESPIC (Etablissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif) ?

En résumé
  • Les ESPIC ont jusqu’au 24 juillet 2022 pour se mettre en conformité sur la rémunération des personnels médicaux et soignants
  • L’attractivité du modèle ESPIC, et la compétitivité de leur offre de soins constituent les principaux enjeux de la mise en conformité
  • Les solutions envisageables sont au nombre de trois : mise en conformité, transfert d’activité et Groupement de Coopération Sanitaire

La rémunération des personnels médicaux et soignants des établissements de santé publics était au cœur du Ségur de la Santé. Certains regrettent que les établissements de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) – qui assument des missions de service public - n’aient pas bénéficié de mesures similaires.

Les ESPIC regroupent 682 entités – dont 674 établissements privés à but non lucratif[i] – soit 22% des établissements de santé, 14% des lits (un lit correspondant à la capacité d’accueil en hospitalisation complète) et 19% des places (une place correspondant à la capacité d’accueil à temps partiel) au niveau national[ii]. Ces établissements privés sont gérés par des structures à but non lucratif (coopératives, mutuelles fondations ou associations etc.). Ils bénéficient d'une échelle tarifaire commune avec les établissements publics ; toutefois leurs tarifs sont minorés par rapport à ceux aux tarifs de l’hôpital public[iii].

Dans ce contexte, il nous est apparu intéressant de faire le point sur l’un des enjeux clef de ces établissements : comment régulariser la situation des praticiens libéraux disposant d’un contrat leur permettant de pratiquer des dépassements d’honoraires sans perdre en attractivité ?

Repères législatifs

Le texte d’origine - la loi ° 2011-940 du 10 août 2011 dite loi Fourcade – a posé le principe selon lequel les praticiens libéraux des ESPIC doivent exercer dans le cadre du Secteur I. Un premier délai de deux ans leur a été octroyé pour se mettre en conformité [i] .Puis plusieurs textes ont accordé des délais supplémentaires ; le dernier en date, la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, laisse aux ESPIC jusqu’au 24 juillet 2022 pour se mettre en conformité[ii].

Ce nouveau délai s’interprète comme une dérogation[iii] au principe qui interdit aux établissements de santé assurant le service public hospitalier, en ce compris les ESPIC, et les professionnels de santé exerçant en leur sein, de facturer des dépassements d’honoraires aux patients[iv].

Pour autant, les ESPIC sont d’ores-et-déjà contraints de ne pas conclure de conventions d’exercice libéral avec des professionnels de santé autorisant les dépassements d’honoraires, étant rappelé que le recours aux libéraux doit être admis par l’Agence Régionale de Santé compétente (l’ARS).

Ainsi, sauf nouveau report :

  • les professionnels libéraux qui exercent au sein des ESPIC ne seront plus autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires à partir du 24 juillet 2022 ; et
  • les contrats entre ces médecins libéraux et les ESPIC devront être régularisés avant cette date.
  • Toutefois, cette contrainte doit être lue à la lumière de l’article L. 6161-9 du Code de la Santé Publique (CSP) applicable aux ESPIC :
  • les professionnels de santé libéraux « sont rémunérés par l'établissement sur la base des honoraires correspondant aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale »
  • comparé à l’article L. 6146-2 du CSP applicable aux établissements publics de santé :
  • « l'établissement public de santé verse aux intéressés les honoraires aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du même code, minorés, le cas échéant, d'une redevance ».

Cette comparaison laisse penser que la rémunération « de base » peut être accompagnée d’un « complément » qui pourrait être refacturé à l’établissement. Dans quelle proportion ? Ce complément peut-il aller jusqu’à la prise en charge de l’intégralité des dépassements d’honoraires sans compromettre la notion de « base » ? Il n’y a pas à notre connaissance de jurisprudence qui se soit prononcée sur le sujet ; toutefois, la soutenabilité d’un tel modèle susciterait, au-delà des questions juridiques, des difficultés majeures sur le plan économique.

Enjeux

L’enjeu est double :

A moyen et long terme sont en cause :

  • L’attractivité du modèle ESPIC envers les médecins libéraux qui, rappelons-le, ne peuvent pas pratiquer de consultations privées en secteur II au sein des ESPIC contrairement aux praticiens exerçant au sein des établissements publics de santé[v], et par conséquence,
  • La compétitivité de leur offre de soins, au regard, d’une part, de l’offre des hôpitaux publics et, d’autre part, de celle des cliniques privées.

A court terme, il s’agit aussi de limiter les risques de contentieux et d’indemnisation liés à la rupture/modification des contrats d’exercice passés entre les ESPIC et les professionnels libéraux, voire des risques de « rupture dans la continuité des activités »[vi].

Toutefois, le temps octroyé par le législateur aux ESPIC pour procéder à la mise en conformité ne saurait être indéfini. Ainsi, le Conseil d’Etat a déjà rappelé à l’occasion de l’examen du projet de loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé :« la nécessité de maintenir un caractère temporaire à une telle dérogation : les trois années supplémentaires accordées [devant] permettre de régler de manière définitive les difficultés rencontrées »[vii]. En effet, une dérogation pérenne dérogerait « au principe d’égalité par rapport aux autres établissements assurant le service public hospitalier notamment les établissements privés à but lucratif habilités à exercer le service public hospitalier »[viii] qui ne bénéficient pas d’une telle dérogation.

Les ESPIC doivent donc trouver des solutions pour transformer leur modèle.

Solutions

Nous étudions ici trois solutions envisageables pour répondre à cet impératif de transformation. Ces solutions ne sont ni exhaustives ni exclusives les unes des autres ; leur pertinence et leur faisabilité doivent bien entendu être analysées au cas par cas.

La mise en conformité

La première solution consiste en la mise en conformité de l’établissement avec la loi Fourcade. Cela implique de régulariser les contrats conclus avec des professionnels de santé pour y supprimer la possibilité pour ces professionnels de facturer des dépassements d’honoraires aux patients.

Il est à craindre toutefois que cette solution ne soit pas simple à mettre en œuvre pour les ESPIC qui n’ont toujours pas réussi à régulariser la situation à ce jour. C’est précisément dans ces établissements que les risques évoqués en partie II pourraient se cristalliser.

Le transfert d’activité

La deuxième solution consiste en une externalisation des activités relevant de l’activité libérale exercée avec dépassements d’honoraires de l’ESPIC vers une entité à but lucratif.

La première étape consiste à identifier les activités concernées : cette solution suppose en effet que certaines des activités soient exercées en très grande majorité par des praticiens libéraux du secteur II. Elle ne semble pas viable pour des activités mixtes qui nécessiteraient de séparer les autorisations, alors que les matériels et personnels soignants resteraient imbriqués.

La seconde étape consiste à trouver un repreneur et à structurer l’opération de transfert, à la fois sur le plan financier, juridique et fiscal, et opérationnel.

La dernière étape, et non des moindres, consiste à recueillir l’agréement de l’ARS, afin de pouvoir procéder au transfert des autorisations du monde non-lucratif vers le monde lucratif. Rappelons que l’ARS peut notamment refuser son agrément si le transfert est incompatible avec les conditions et engagements auxquels avait été subordonnée l'autorisation cédée[ix]. Le passage vers une autre échelle tarifaire pourrait donc être un élément bloquant, sauf à s’inscrire dans une logique territoriale spécifique à discuter en amont avec l’ARS.

Le groupement de coopération sanitaire

Une autre solution consiste à mettre en place un groupement de coopération sanitaire de moyens (GCS) avec pour objectif de conserver l’unité opérationnelle de l’activité (solution 1) tout en utilisant deux échelles tarifaires (solution 2).

Rappelons qu’un ESPIC peut notamment être membre d’un GCS avec un autre établissement de nature lucrative mais aussi avec les professionnels de santé libéraux qui y exercent. Dans le cadre d’un tel GCS de moyens, chaque membre conserve ses autorisations, salariés, activités et donc, par conséquent, son échelle tarifaire.

Cette solution peut ainsi permettre aux professionnels libéraux d’exercer en partie en lucratif et en partie en ESPIC[x].

Au-delà, le GCS qui dispose de membres relevant à la fois du secteur lucratif et du secteur non lucratif peut, sous certaines conditions, exploiter, sans les détenir, une partie des autorisations de l’ESPIC et facturer les soins en optant pour l’échelle tarifaire privée[xi].

Dans tous les cas, la convention constitutive du GCS ainsi que, pour le GCS dit exploitant, l’échelle tarifaire choisie sont soumises à l’agrément de l’ARS. Le Directeur Général de l’ARS décide en fonction de critères précis : la cohérence entre les membres du groupement, les échelles tarifaires et les autorisations et le « site unique » doivent répondre à une logique territoriale[xii].

Conclusion

Compte-tenu du délai imparti par le législateur, il est temps pour les ESPIC d’étudier rapidement la solution ou la combinaison de solutions qui paraît la plus adaptée à leur situation. Au-delà du cadre réglementaire, cette solution devra prendre en considération les enjeux en droit social pour les personnels soignants, ceux de droit fiscal, notamment pour les refacturations des services, mais aussi et surtout le projet médical et opérationnel associé à chaque projet de transformation.

Un mot sur la crise du COVID-19

Il serait elliptique de discuter d’une réforme importante d’un pan de notre système de santé sans aborder les impacts de la crise du Covid-19. Compte tenu des difficultés rencontrées par les établissements de santé, en ce compris les ESPIC, l’hypothèse selon laquelle le délai de mise en conformité soit une nouvelle fois repoussé ne peut pas totalement être écartée. Pour autant, nous ne pouvons qu’encourager les ESPIC à préparer leur projet de transformation compte tenu notamment des enjeux économiques et d’attractivité qui se font déjà sentir dans ce secteur clef de l’offre de soins.

  • Sources

    [1] Les 18 centres de lutte contre le cancer ou CLCC sont également des ESPIC ; ils portent le plus souvent des questions spécifiques.

    [1] Ministère des Solidarités et de la Santé, Les établissements de santé – édition 2020, publié le 3 juillet 2020, p. 21, Nombre d’entités et capacités d’hospitalisation des établissements de santé par catégorie d’établissements en 2018, 1-20.pdf (solidarites-sante.gouv.fr).

    [1] L'arrêté tarifaire publié le 28 février 2020 fixe ce coefficient de minoration à « 0% pour les établissements publics, à -1,73% pour les établissements privés à but non lucratif (contre -1,5% en 2018 et -1,77% en 2019) » : Etablissements de santé : parution de 8 arrêtés encadrant la campagne tarifaire et budgétaire 2020, dont les tarifs, APM News, 2 mars 2020.

    [1] Textes de référence :

    Article 9 de la loi 2011-940 du 10 août 2011 dite loi Fourcade :

    « A compter du 1er janvier 2012, un établissement de santé mentionné aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale ne peut être admis par le directeur général de l'agence régionale de santé à recourir à des professionnels médicaux et à des auxiliaires médicaux libéraux, en application de l'article L. 6161-9 du code de la santé publique, que dans les conditions prévues au même article.

    Les contrats d'exercice libéral conclus avant le 1er janvier 2012 sont mis en conformité avec les dispositions du même article L. 6161-9 dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi. »

    -         Sont visés par l’article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, en sa version au 10 août 2011 : « b) Les établissements de santé privés à but non lucratif qui ont été admis à participer à l'exécution du service public hospitalier à la date de publication de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, jusqu'à la date retenue en application du premier alinéa du XX de l'article 1er de cette loi ; c) Les établissements de santé privés à but non lucratif ayant opté pour la dotation globale de financement en application de l'article 25 de l'ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée, jusqu'à la date retenue en application du premier alinéa du XXI de l'article 1er de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 précitée. »

    -         L’article L. 6161-9 du code de la santé publique en sa version au 10 août 2011 dispose que:  « Un établissement de santé mentionné aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale peut être admis par le directeur général de l'agence régionale de santé à recourir à des professionnels médicaux et auxiliaires médicaux libéraux dans la mise en œuvre de ses missions de service public et de ses activités de soins. Ils sont rémunérés par l'établissement sur la base des honoraires correspondant aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du même code, minorés d'une redevance. Les conditions d'application du présent alinéa sont fixées par décret. »

    [1] Article 57 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé :

    « II. - Dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, les établissements mentionnés au 3° de l'article L. 6112-3 du code de la santé publique s'assurent de la mise en conformité avec l'article L. 6161-9 du même code des contrats conclus avec les professionnels médicaux libéraux qui, à la date de publication de la présente loi, pratiquent des honoraires ne correspondant pas aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, minorés d'une redevance. Ces établissements sont réputés bénéficier pour les contrats concernés, pendant ce délai, de l'admission à recourir à des professionnels médicaux libéraux prévue à l'article L. 6161-9 du code de la santé publique. »

    Les établissements mentionnés au 3° de l'article L. 6112-3 du code de la santé publique au 24 juillet 2019 sont « Les établissements de santé privés habilités à assurer le service public hospitalier et qualifiés d'établissements de santé privés d'intérêt collectif en application de l'article L. 6161-5 ».

    -         L’article L. 6161-9 du code de la santé publique en sa version au 24 juillet 2019 dispose que : « Un établissement de santé mentionné aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale peut être admis par le directeur général de l'agence régionale de santé à recourir à des professionnels médicaux et auxiliaires médicaux libéraux dans la mise en œuvre de ses missions telles que définies à l'article L. 6111-1 ainsi que, sous réserve pour l'établissement d'être habilité à assurer le service public hospitalier, celle définie à l'article L. 6112-1 du présent code. Ils sont rémunérés par l'établissement sur la base des honoraires correspondant aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, minorés d'une redevance. Les conditions d'application du présent alinéa sont fixées par décret. »

    [1] Avis sur un projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, Conseil d’Etat, Assemblée générale, 7 février 2019, p. 11.

    [1] Article L. 6112-2 4° du code de la santé publique : « les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services :[…] 4° L'absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l'autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale ».

Ce qu'il faut retenir

L’objectif pour les ESPIC est de mettre fin à la pratique des dépassements d’honoraires avant le 24 juillet 2022. Trois solutions sont envisageables pour transformer leur modèle. Ces dernières ne sont ni exhaustives, ni exclusives et doivent être adaptées à chaque projet en fonction des enjeux. 

A propos de cet article

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Virginie Lefebvre-Dutilleul

Avocat Associée, Business Law, Global Life Sciences & Health Law Leader & Wellness Industry Leader, France

Avocate expérimentée dans le secteur de la santé, en charge des solutions de transformation de la Fonction Juridique, elle adore entreprendre, innover et rendre le droit opérationnel.

Marie-Caroline Legait

Avocat, Business Law, Life Sciences, Health Sciences & Wellness, France

En tant qu’avocat au XXIème siècle, il est de notre rôle d’aider le secteur de la santé face à ses enjeux stratégiques et de moderniser notre fonction juridique.

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