Repères législatifs
Le texte d’origine - la loi ° 2011-940 du 10 août 2011 dite loi Fourcade – a posé le principe selon lequel les praticiens libéraux des ESPIC doivent exercer dans le cadre du Secteur I. Un premier délai de deux ans leur a été octroyé pour se mettre en conformité [i] .Puis plusieurs textes ont accordé des délais supplémentaires ; le dernier en date, la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, laisse aux ESPIC jusqu’au 24 juillet 2022 pour se mettre en conformité[ii].
Ce nouveau délai s’interprète comme une dérogation[iii] au principe qui interdit aux établissements de santé assurant le service public hospitalier, en ce compris les ESPIC, et les professionnels de santé exerçant en leur sein, de facturer des dépassements d’honoraires aux patients[iv].
Pour autant, les ESPIC sont d’ores-et-déjà contraints de ne pas conclure de conventions d’exercice libéral avec des professionnels de santé autorisant les dépassements d’honoraires, étant rappelé que le recours aux libéraux doit être admis par l’Agence Régionale de Santé compétente (l’ARS).
Ainsi, sauf nouveau report :
- les professionnels libéraux qui exercent au sein des ESPIC ne seront plus autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires à partir du 24 juillet 2022 ; et
- les contrats entre ces médecins libéraux et les ESPIC devront être régularisés avant cette date.
- Toutefois, cette contrainte doit être lue à la lumière de l’article L. 6161-9 du Code de la Santé Publique (CSP) applicable aux ESPIC :
- les professionnels de santé libéraux « sont rémunérés par l'établissement sur la base des honoraires correspondant aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale »
- comparé à l’article L. 6146-2 du CSP applicable aux établissements publics de santé :
- « l'établissement public de santé verse aux intéressés les honoraires aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du même code, minorés, le cas échéant, d'une redevance ».
Cette comparaison laisse penser que la rémunération « de base » peut être accompagnée d’un « complément » qui pourrait être refacturé à l’établissement. Dans quelle proportion ? Ce complément peut-il aller jusqu’à la prise en charge de l’intégralité des dépassements d’honoraires sans compromettre la notion de « base » ? Il n’y a pas à notre connaissance de jurisprudence qui se soit prononcée sur le sujet ; toutefois, la soutenabilité d’un tel modèle susciterait, au-delà des questions juridiques, des difficultés majeures sur le plan économique.
Enjeux
L’enjeu est double :
A moyen et long terme sont en cause :
- L’attractivité du modèle ESPIC envers les médecins libéraux qui, rappelons-le, ne peuvent pas pratiquer de consultations privées en secteur II au sein des ESPIC contrairement aux praticiens exerçant au sein des établissements publics de santé[v], et par conséquence,
- La compétitivité de leur offre de soins, au regard, d’une part, de l’offre des hôpitaux publics et, d’autre part, de celle des cliniques privées.
A court terme, il s’agit aussi de limiter les risques de contentieux et d’indemnisation liés à la rupture/modification des contrats d’exercice passés entre les ESPIC et les professionnels libéraux, voire des risques de « rupture dans la continuité des activités »[vi].
Toutefois, le temps octroyé par le législateur aux ESPIC pour procéder à la mise en conformité ne saurait être indéfini. Ainsi, le Conseil d’Etat a déjà rappelé à l’occasion de l’examen du projet de loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé :« la nécessité de maintenir un caractère temporaire à une telle dérogation : les trois années supplémentaires accordées [devant] permettre de régler de manière définitive les difficultés rencontrées »[vii]. En effet, une dérogation pérenne dérogerait « au principe d’égalité par rapport aux autres établissements assurant le service public hospitalier notamment les établissements privés à but lucratif habilités à exercer le service public hospitalier »[viii] qui ne bénéficient pas d’une telle dérogation.
Les ESPIC doivent donc trouver des solutions pour transformer leur modèle.
Solutions
Nous étudions ici trois solutions envisageables pour répondre à cet impératif de transformation. Ces solutions ne sont ni exhaustives ni exclusives les unes des autres ; leur pertinence et leur faisabilité doivent bien entendu être analysées au cas par cas.
La mise en conformité
La première solution consiste en la mise en conformité de l’établissement avec la loi Fourcade. Cela implique de régulariser les contrats conclus avec des professionnels de santé pour y supprimer la possibilité pour ces professionnels de facturer des dépassements d’honoraires aux patients.
Il est à craindre toutefois que cette solution ne soit pas simple à mettre en œuvre pour les ESPIC qui n’ont toujours pas réussi à régulariser la situation à ce jour. C’est précisément dans ces établissements que les risques évoqués en partie II pourraient se cristalliser.
Le transfert d’activité
La deuxième solution consiste en une externalisation des activités relevant de l’activité libérale exercée avec dépassements d’honoraires de l’ESPIC vers une entité à but lucratif.
La première étape consiste à identifier les activités concernées : cette solution suppose en effet que certaines des activités soient exercées en très grande majorité par des praticiens libéraux du secteur II. Elle ne semble pas viable pour des activités mixtes qui nécessiteraient de séparer les autorisations, alors que les matériels et personnels soignants resteraient imbriqués.
La seconde étape consiste à trouver un repreneur et à structurer l’opération de transfert, à la fois sur le plan financier, juridique et fiscal, et opérationnel.
La dernière étape, et non des moindres, consiste à recueillir l’agréement de l’ARS, afin de pouvoir procéder au transfert des autorisations du monde non-lucratif vers le monde lucratif. Rappelons que l’ARS peut notamment refuser son agrément si le transfert est incompatible avec les conditions et engagements auxquels avait été subordonnée l'autorisation cédée[ix]. Le passage vers une autre échelle tarifaire pourrait donc être un élément bloquant, sauf à s’inscrire dans une logique territoriale spécifique à discuter en amont avec l’ARS.
Le groupement de coopération sanitaire
Une autre solution consiste à mettre en place un groupement de coopération sanitaire de moyens (GCS) avec pour objectif de conserver l’unité opérationnelle de l’activité (solution 1) tout en utilisant deux échelles tarifaires (solution 2).
Rappelons qu’un ESPIC peut notamment être membre d’un GCS avec un autre établissement de nature lucrative mais aussi avec les professionnels de santé libéraux qui y exercent. Dans le cadre d’un tel GCS de moyens, chaque membre conserve ses autorisations, salariés, activités et donc, par conséquent, son échelle tarifaire.
Cette solution peut ainsi permettre aux professionnels libéraux d’exercer en partie en lucratif et en partie en ESPIC[x].
Au-delà, le GCS qui dispose de membres relevant à la fois du secteur lucratif et du secteur non lucratif peut, sous certaines conditions, exploiter, sans les détenir, une partie des autorisations de l’ESPIC et facturer les soins en optant pour l’échelle tarifaire privée[xi].
Dans tous les cas, la convention constitutive du GCS ainsi que, pour le GCS dit exploitant, l’échelle tarifaire choisie sont soumises à l’agrément de l’ARS. Le Directeur Général de l’ARS décide en fonction de critères précis : la cohérence entre les membres du groupement, les échelles tarifaires et les autorisations et le « site unique » doivent répondre à une logique territoriale[xii].
Conclusion
Compte-tenu du délai imparti par le législateur, il est temps pour les ESPIC d’étudier rapidement la solution ou la combinaison de solutions qui paraît la plus adaptée à leur situation. Au-delà du cadre réglementaire, cette solution devra prendre en considération les enjeux en droit social pour les personnels soignants, ceux de droit fiscal, notamment pour les refacturations des services, mais aussi et surtout le projet médical et opérationnel associé à chaque projet de transformation.
Un mot sur la crise du COVID-19
Il serait elliptique de discuter d’une réforme importante d’un pan de notre système de santé sans aborder les impacts de la crise du Covid-19. Compte tenu des difficultés rencontrées par les établissements de santé, en ce compris les ESPIC, l’hypothèse selon laquelle le délai de mise en conformité soit une nouvelle fois repoussé ne peut pas totalement être écartée. Pour autant, nous ne pouvons qu’encourager les ESPIC à préparer leur projet de transformation compte tenu notamment des enjeux économiques et d’attractivité qui se font déjà sentir dans ce secteur clef de l’offre de soins.