Dès lors, si certains peuvent encore s’interroger sur les coûts de ces dispositifs (la politique d’aller vers coûtant nécessairement plus cher dans un premier temps, puisqu’elle vise à donner accès à des droits ou à proposer des services à des personnes qui ne les demandaient pas jusqu’à présent), il s’agit là d’une vision de court terme et qui n’intègre pas les coûts globaux pour la société. Plusieurs études existent pour démontrer qu’une politique de prévention santé coûte moins cher à l’ensemble du système que l’intervention en urgence, sur des situations sociales ou de santé très dégradées…. sans parler de l’intérêt pour l’amélioration de la qualité de vie, qui est évident.
Il est donc naturel que cette dynamique d’« aller vers » s’inscrive de plus en plus au cœur de la relation de services entre les organismes de protection sociale et leurs usagers. La Cnam s’engage par exemple à multiplier par 4 les moyens consacrés à sa politique d’« aller vers » pour la prévention et l’éducation en santé entre 2023 et 2027.
Dès lors, comment faire pour renforcer encore plus cette tendance ?
La politique d’aller vers nécessite de développer une approche globale combinant :
- La technologie, et en particulier les techniques d’analyse des données pour mieux cibler et repérer les personnes et leur proposer des services sur mesure ;
- L’approche terrain, afin de comprendre les spécificités, d’identifier l’écosystème d’acteurs mobilisables et d’apporter les réponses appropriées. En effet, certaines modalités d’intervention peuvent s’avérer inadaptées en fonction des territoires et des contextes géographiques, sociaux ou des conditions d’habitat, notamment pour les territoires ultra-marins.
- La mobilisation de l’écosystème des acteurs locaux, afin de s’appuyer sur leur connaissance des situations pour compléter le repérage des plus éloignés, inconnus du système et ne figurant pas dans les bases de données : quels sont leurs profils ? Pourquoi leur non-recours ? Quels sont les intermédiaires de confiance permettant de créer le lien, notamment les associations agissant au plus près de ces populations sur le terrain (maraudes, accueils anonymes, numéros vert…) ?
Elle suppose également une véritable transformation des pratiques professionnelles et des modes de relation à l’usager
« L’aller vers » représente en effet un réel changement du rapport à l’usager, consistant à passer d’un service public de « demande » (j’entreprends une démarche afin d’accéder au service) à un service public « d’offre » (je suis contacté pour me présenter ce à quoi j’ai droit). Cette démarche rompt avec l’idée que l’intervention sociale ferait systématiquement suite à une demande exprimée. Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non-demande de certains publics (pas seulement des personnes vulnérables) et engage les acteurs à se situer dans une pratique proactive, pour entrer en relation avec ces publics.
Ce changement d’approche implique un accompagnement managérial, car il faut expliquer le sens de ces évolutions et rassurer sur le fait qu’il ne s’agit pas d’ajouter du travail à une charge déjà lourde pour les agents, mais de changer de pratique, de méthode de travail.
Cela nécessite également d’outiller les professionnels pour faciliter ce changement d’approche (méthodes, outils, formation, accompagnement, etc.), afin d’abord de développer de nouvelles pratiques professionnelles se basant sur une plus forte intégration avec les partenaires du territoire, mais aussi d’accepter le fait que, in fine, l’usager reste libre de se saisir ou non de ces nouvelles propositions d’accompagnement.
Enfin, ces nouvelles approches doivent nécessairement pouvoir s’appuyer sur les outils numériques pour être les plus efficaces possibles. Ainsi, EY a accompagné des expérimentations permettant de repérer des situations d’enfants en danger plus tôt afin d’intervenir de façon plus précoce ou encore de prévenir les expulsions locatives en repérant et en accompagnant plus tôt les familles à risque (cf. Transformer les politiques sociales | EY - France). Les outils numériques ont constitué une brique indispensable du passage à l’échelle et de l’efficacité de ces projets.
L’enjeu d’arriver à rassurer les Français sur l’utilisation de leurs données par les pouvoirs publics constitue un défi majeur si l’on souhaite que les administrations puissent réellement se saisir de ces données et offrir des services plus personnalisés aux citoyens-usagers. Il semble d’ailleurs que les administrations en soient conscientes, en témoigne, par exemple, la campagne de communication de la DGFIP : « dites-le-nous aussi » ! Gageons que les citoyens seront rassurés avec une montée en puissance rapide du « aller vers » en proposant de nouveaux services, adaptés à leur situation.
Jessica Chamba Associée EY Consulting, secteur social et médico-social
Hervé de la Chapelle, Associé EY Consulting, responsable secteur public France