5 min de temps de lecture 23 nov. 2023
Une personne recherchant un document dans une pile de feuille

« Aller vers » les usagers : Une tendance de fond pour un service public plus accessible et sur mesure

Auteurs
Hervé de la Chapelle

Associé, Consulting, Leader Secteur Public, Europe West, France

Depuis plus de 20 ans aux cotés des acteurs de la transformation de l’action publique : Innover, co-créer, réinventer l’action publique et donner confiance en l’avenir.

Jessica Chamba

Associée Santé social EY France

Co-fondatrice et dirigeante d’un cabinet spécialisé dans le secteur médico-social pendant 10 ans, Jessica accompagne les transformations du secteur médico-social et sanitaire.

Emmanuel Tremouille

Partner - Government & Public Sector- EY Consulting France

Spécialisé en montage de projets complexes, recherche de financement et en développement de programmes d’investissement et de revitalisation économique pour les collectivités

5 min de temps de lecture 23 nov. 2023
Expertises associées Le gouvernement et le secteur public

Les administrations publiques (collectivités, Etat, caisses de protection sociale…) s’inscrivent de plus en plus dans une dynamique « d’aller vers » les usagers. Le principe est de proposer une aide ou un accompagnement aux personnes en fonction de leur situation, sans nécessairement attendre que celles-ci aient formellement exprimé une demande d’intervention.

En résumé :

  • Les administrations publiques s’inscrivent de plus en plus dans une dynamique « d’aller vers » les usagers
  • Accélérer ce mouvement nécessite de développer une approche globale combinant la technologie pour repérer, à partir des données connues, les usagers à cibler, avec l’approche terrain, afin de comprendre les spécificités, d’identifier l’écosystème d’acteurs mobilisables et d’apporter les réponses appropriées et la mobilisation de l’écosystème des acteurs locaux, afin de s’appuyer sur leur connaissance des situations pour compléter le repérage des plus éloignés
  • Cela implique une véritable transformation des pratiques professionnelles et des modes de relation à l’usager, nécessitant un accompagnement managérial pour expliquer en expliquer le sens et rassurer sur le fait qu’il ne s’agit pas d’ajouter du travail à une charge déjà lourde pour les agents, mais de changer de pratique, de méthode de travail

Les administrations publiques (collectivités, Etat, caisses de protection sociale…) s’inscrivent de plus en plus dans une dynamique « d’aller vers » les usagers. Le principe est de proposer une aide ou un accompagnement aux personnes en fonction de leur situation, sans nécessairement attendre que celles-ci aient formellement exprimé une demande d’intervention.

Cette démarche s’est fortement accélérée ces dernières années, répondant notamment à de nombreux engagements pris par les organismes publics dans le cadre de leurs Conventions d’objectifs et de gestion (COG). Ainsi, toutes les caisses de protection sociale ont été amenées à développer de nouveaux services, plus proactifs d’accès aux droits et aux prestations.

  • Les CAF déploient de nombreuses actions de repérage des situations de fragilité pour agir en amont. Elles proposent par exemple des offres d’accompagnement renforcées en cas de décès d’un enfant ou d’un membre de la cellule familiale, une intermédiation financière pour le versement de la pension alimentaire qui se met en place automatiquement sauf refus, etc.
  • Depuis plusieurs années, la Cnam développe des actions de prévention santé en proposant de nombreux dépistages systématiques et gratuits en fonction de l’âge ou du genre des assurés, comme par exemple les dépistages bucco-dentaires des enfants, les dépistages des cancers les plus fréquents (cancer du sein, cancer de la prostate…), des actions de prévention du diabète, du tabagisme ou de prévention cardiaque.
  • La CNAV envoie des courriers d’information pour préparer sa retraite et propose des rendez-vous conseil très tôt.

Nous observons ainsi une adoption de plus en plus systématique et large du « aller vers » dans cette évolution des politiques sociales. Le dernier exemple emblématique en date étant sans doute celui de la solidarité à la source : verser automatiquement des aides sociales (RSA et Prime d’activité pour les personnes éligibles connues de l’administration) représente un changement de culture majeur tant pour les usagers que les agents !

Dès lors, si certains peuvent encore s’interroger sur les coûts de ces dispositifs (la politique d’aller vers coûtant nécessairement plus cher dans un premier temps, puisqu’elle vise à donner accès à des droits ou à proposer des services à des personnes qui ne les demandaient pas jusqu’à présent), il s’agit là d’une vision de court terme et qui n’intègre pas les coûts globaux pour la société. Plusieurs études existent pour démontrer qu’une politique de prévention santé coûte moins cher à l’ensemble du système que l’intervention en urgence, sur des situations sociales ou de santé très dégradées…. sans parler de l’intérêt pour l’amélioration de la qualité de vie, qui est évident. 

Il est donc naturel que cette dynamique d’« aller vers » s’inscrive de plus en plus au cœur de la relation de services entre les organismes de protection sociale et leurs usagers. La Cnam s’engage par exemple à multiplier par 4 les moyens consacrés à sa politique d’« aller vers » pour la prévention et l’éducation en santé entre 2023 et 2027.

Dès lors, comment faire pour renforcer encore plus cette tendance ?

La politique d’aller vers nécessite de développer une approche globale combinant :

  • La technologie, et en particulier les techniques d’analyse des données pour mieux cibler et repérer les personnes et leur proposer des services sur mesure ;
  • L’approche terrain, afin de comprendre les spécificités, d’identifier l’écosystème d’acteurs mobilisables et d’apporter les réponses appropriées. En effet, certaines modalités d’intervention peuvent s’avérer inadaptées en fonction des territoires et des contextes géographiques, sociaux ou des conditions d’habitat, notamment pour les territoires ultra-marins.
  • La mobilisation de l’écosystème des acteurs locaux, afin de s’appuyer sur leur connaissance des situations pour compléter le repérage des plus éloignés, inconnus du système et ne figurant pas dans les bases de données : quels sont leurs profils ? Pourquoi leur non-recours ? Quels sont les intermédiaires de confiance permettant de créer le lien, notamment les associations agissant au plus près de ces populations sur le terrain (maraudes, accueils anonymes, numéros vert…) ?

Elle suppose également une véritable transformation des pratiques professionnelles et des modes de relation à l’usager

« L’aller vers » représente en effet un réel changement du rapport à l’usager, consistant à passer d’un service public de « demande » (j’entreprends une démarche afin d’accéder au service) à un service public « d’offre » (je suis contacté pour me présenter ce à quoi j’ai droit). Cette démarche rompt avec l’idée que l’intervention sociale ferait systématiquement suite à une demande exprimée. Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non-demande de certains publics (pas seulement des personnes vulnérables) et engage les acteurs à se situer dans une pratique proactive, pour entrer en relation avec ces publics.

Ce changement d’approche implique un accompagnement managérial, car il faut expliquer le sens de ces évolutions et rassurer sur le fait qu’il ne s’agit pas d’ajouter du travail à une charge déjà lourde pour les agents, mais de changer de pratique, de méthode de travail.

Cela nécessite également d’outiller les professionnels pour faciliter ce changement d’approche (méthodes, outils, formation, accompagnement, etc.), afin d’abord de développer de nouvelles pratiques professionnelles se basant sur une plus forte intégration avec les partenaires du territoire, mais aussi d’accepter le fait que, in fine, l’usager reste libre de se saisir ou non de ces nouvelles propositions d’accompagnement.

Enfin, ces nouvelles approches doivent nécessairement pouvoir s’appuyer sur les outils numériques pour être les plus efficaces possibles. Ainsi, EY a accompagné des expérimentations permettant de repérer des situations d’enfants en danger plus tôt afin d’intervenir de façon plus précoce ou encore de prévenir les expulsions locatives en repérant et en accompagnant plus tôt les familles à risque (cf. Transformer les politiques sociales | EY - France). Les outils numériques ont constitué une brique indispensable du passage à l’échelle et de l’efficacité de ces projets. 

L’enjeu d’arriver à rassurer les Français sur l’utilisation de leurs données par les pouvoirs publics constitue un défi majeur si l’on souhaite que les administrations puissent réellement se saisir de ces données et offrir des services plus personnalisés aux citoyens-usagers. Il semble d’ailleurs que les administrations en soient conscientes, en témoigne, par exemple, la campagne de communication de la DGFIP : « dites-le-nous aussi » ! Gageons que les citoyens seront rassurés avec une montée en puissance rapide du « aller vers » en proposant de nouveaux services, adaptés à leur situation.

Jessica Chamba Associée EY Consulting, secteur social et médico-social

Hervé de la Chapelle, Associé EY Consulting, responsable secteur public France

Le "aller vers" est aujourd'hui l'un des axes les plus opérationnels pour venir en appui des collectivités désireuses de s’engager dans une démarche d’innovation numérique visible et reconnue par ses administrés pour renforcer le lien de confiance avec ces derniers, améliorer et adapter leurs offres de services en matière d'accessibilité (à toute heure et sur tout le territoire), de simplification des procédures, de temps de réponse et de transparence.

Ce n'est pour autant pas une mise en œuvre "facile" pour les collectivités confrontées parfois à une posture réfractaire au niveau des élus exprimant à la fois une crainte et une conviction : l’usage accru de la donnée pourrait nuire plus qu’il n’apporte. Les arguments reposent souvent sur l’atteinte à la vie privée, la perte de souveraineté, les craintes liées à la technologie…

L'enjeu restera toutefois de choisir plutôt que subir en instaurant une gouvernance et une démarche volontariste d'utilisation de la donnée et de modernisation des services.

Au-delà de rendre accessible leurs services administratifs, plusieurs collectivités ont également saisi l’opportunité du « aller vers » en déployant des solutions numériques (injection de jeux de données dans des modélisations et visualisation 3D) permettant d’organiser la concertation et d’aider à la décision publique dans la conception de leurs projets urbains.

Une mise en œuvre réussie du « aller vers » nécessite un accompagnement aux différentes étapes de la gestion de la relation usager (GRU) : de la compréhension et du cadrage des enjeux de la collectivité, à l'analyse des parcours et données usagers (y compris par l'animation d'ateliers de définition des besoins et de gestion des canaux de diffusion), puis à la définition des cibles GRU et enfin d'accompagnement vers le choix de la solution la plus pertinente au regard de la capacité à faire pour la collectivité.

Emmanuel Tremouille Associé EY Consulting – Secteur Public

Ce qu'il faut retenir

La crise sanitaire covid-19 a permis de démontrer l’intérêt du « aller vers », que ce soit pour les campagnes de vaccination, ou encore l’accompagnement des entreprises et des travailleurs indépendants afin de leur donner les moyens de s’adapter et de faire face. Le projet de solidarité à la source consistant à terme à verser automatiquement certaines prestations (RSA, prime d’activité et APL) aux ayant-droits marque une nouvelle étape dans la politique du « aller vers ». Une tendance de fond est engagée, signe tangible de la capacité de nos administrations à s’adapter, afin de proposer un service public accessible au plus grand nombre. Cela suppose une démarche coordonnée et organisée, le décloisonnement des administrations, le plein usage du numérique et des données en particulier. Mais cela doit avant tout partir de l’usager, de sa situation et ses besoins. Le conception de ces nouveaux parcours usagers, avec comme point de départ le repérage des plus éloignés, gagnera à s’appuyer sur des approches populationnelles et / ou d’évènement de vie.

A propos de cet article

Auteurs
Hervé de la Chapelle

Associé, Consulting, Leader Secteur Public, Europe West, France

Depuis plus de 20 ans aux cotés des acteurs de la transformation de l’action publique : Innover, co-créer, réinventer l’action publique et donner confiance en l’avenir.

Jessica Chamba

Associée Santé social EY France

Co-fondatrice et dirigeante d’un cabinet spécialisé dans le secteur médico-social pendant 10 ans, Jessica accompagne les transformations du secteur médico-social et sanitaire.

Emmanuel Tremouille

Partner - Government & Public Sector- EY Consulting France

Spécialisé en montage de projets complexes, recherche de financement et en développement de programmes d’investissement et de revitalisation économique pour les collectivités