5 min de temps de lecture 17 nov. 2020
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Pourquoi l’intelligence artificielle est l’alliée des pouvoirs publics dans la gestion de la crise du COVID-19

Par Caroline Trilles

Associée, Consulting, Technology Consulting Leader, France

Accompagner les organisations dans leurs programmes de transformation. Experte de la transformation digitale, des méthodes innovantes et agiles. Danseuse et passionnée de littérature.

5 min de temps de lecture 17 nov. 2020

L’intelligence artificielle (IA) aurait pu aider les pouvoir publics dans la gestion de crise liée au Covid-19. Quels sont les dispositifs et les outils qui auraient pu aider les pouvoirs publics à mieux anticiper et gérer la crise liée à la pandémie ?

En résumé
  • L’indisponibilité de données pertinentes n’a pas permis à l’IA d’aider les administrations dans la gestion de la crise
  • Il y a eu depuis une prise de conscience des perspectives ouvertes par l’IA

Alors que nous faisons face à une pandémie sans précédent, beaucoup s’interrogent sur les dispositifs et les outils qui auraient pu aider les pouvoirs publics à mieux anticiper et mieux gérer cette crise. Et parmi les premiers moyens visés par cette interrogation légitime, il apparaît que la technologie n’a pas permis d’apporter une contribution significative dans la détection et le contrôle de l’évolution de la maladie.

L’IA aurait pu être d’une aide précieuse dans la gestion de crise liée au COVID-19

En l’espèce, lorsque l’on parle de « technologie », c’est avant tout d’Intelligence Artificielle dont il est question, cet algorithme en plein développement (le marché mondial de l’IA a été multiplié par 10 entre 2016 et 2020) dont la capacité d’analyse de données aurait pu jouer un rôle de « donneur d’alerte ». Grâce à sa capacité à « faire parler la donnée » l’IA aurait pu permettre de déceler plus rapidement les premiers cas et aider à organiser une gestion plus efficace des personnels soignants et des équipements médicaux pour faire face au pic de l’épidémie. Elle aurait pu également faciliter l’établissement de diagnostics et la recherche d’un traitement de la maladie.

Au Canada, l’entreprise BlueDot avait pourtant ouvert la voie. Grâce à ses outils d’IA spécialisés dans la surveillance des maladies et des symptômes associés, cette start-up avait détecté l’épidémie de coronavirus à Wuhan dès fin décembre 2019, soit sept jours avant le Center for Disease Control and Prevention chinois (CDC) et dix jours avant l'alerte de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le dispositif est basé sur un algorithme qui traite et analyse les données collectées dans les médias et ce en 65 langues : les articles en ligne, les forums, les déclarations officielles, les bulletins de santé sur les nouvelles pathologies, les reportages de télévision … L’agrégation et l’analyse de ces données a permis de repérer une anomalie dans la courbe d’évolution du nombre de pneumonies dans la région chinoise et ainsi d’alerter sur l’émergence du COVID 19. Cette prédiction n’aurait pu être possible sans l’accès à toutes ces précieuses données.

De nombreuses initiatives utilisant les outils de l’IA ont également été engagées dans le secteur de la santé : certains hôpitaux se sont équipés très tôt d'un logiciel d'imagerie médicale basé sur l'IA pour détecter les lésions pulmonaires provoquées par le Covid-19. D’autres utilisent l'intelligence artificielle pour prédire le flux de patients aux urgences … De même, des outils pour assister les citoyens dans la crise ont été déployés dans le domaine de la protection sociale (agents conversationnels, etc.).

L’indisponibilité de données pertinentes à analyser et à « faire parler » n’a pas permis à l’IA d’apporter une aide déterminante à la gestion de cette crise extraordinaire.

Caroline Trilles

Associée, Consulting, Secteur public, France

 

Mais au niveau de l’Etat et des administrations centrales, l’IA n’a pas été suffisamment exploitée. C’est justement un accès trop limité à des données de qualité qui a freiné l’expression du potentiel de l’IA au sein des administrations françaises et des collectivités. L’indisponibilité de données pertinentes à analyser et à « faire parler » n’a pas permis à l’IA d’apporter une aide déterminante à la gestion de cette crise extraordinaire.

Pour autant, la crise sanitaire a permis une prise de conscience des perspectives ouvertes par l’IA. Des initiatives ont été prises pour accélérer la collecte et l’agrégation de données : l’application StopCovid a été déployée dès la fin de la période de confinement pour permettre un meilleur suivi de la diffusion du Covid-19 et ainsi maitriser sa propagation ; des solutions comme Qualtrics (solution SAP de questionnaires intelligents) ont été étudiées pour permettre la collecte d’informations via des dispositifs d’enquêtes étoffés, etc.

Toutefois, ces démarches sont encore loin d’être suffisantes et devront être multipliées pour faire de l’IA un véritable outil de soutien aux politiques publiques.

L’Intelligence Artificielle, un levier pour améliorer l’efficacité des politiques publiques

Car l’Intelligence Artificielle constitue en effet un levier puissant entre les mains des décideurs pour les aider à construire la société de demain. Elle ouvre la voie à de nouvelles solutions pour soutenir la croissance économique, engager la transition vers une économie bas-carbone et aborder avec plus de volontarisme des sujets complexes, où l’information est cruciale pour prendre de bonnes décisions.

Ainsi, en matière de développement durable, priorité des citoyens en ce début de 21ème siècle, elle peut aider à concevoir de nouvelles façons de consommer : le traitement des données météorologiques provenant des images satellite permet de mesurer les niveaux de pollution et estimer le potentiel de production des énergies renouvelables ; l’analyse des données du trafic routier en temps réel permet d’optimiser la circulation ; la collecte des données des véhicules et de leurs conducteurs permet d’améliorer l’autonomie des automobiles et réduire leur consommation en carburant, etc.

Sur le plan économique, l’IA peut également être une source d’informations précieuse. Ainsi, pour évaluer les conséquences de la crise sanitaire sur les activités industrielles, le média « Les Echos » a lancé l’indice de reprise « Kayrros – EY Consulting », qui permet, grâce au traitement d’images satellite, d’analyser l’état de l’économie mondiale et les signes précurseurs de reprise ou de ralentissement.

Autre secteur dans lequel l’IA pourrait révéler tout son potentiel d’accélérateur des politiques publiques : la santé. En effet, la capacité à prédire et prévenir (plutôt que guérir) est essentiel pour que les patients soient plus rapidement pris en charge et aient de meilleures chances de guérison.

L’Intelligence Artificielle suscite des espoirs substantiels : accélération de la recherche, amélioration des diagnostics, optimisation des flux de patients, réalité augmentée, elle promet de bouleverser la gestion des établissements hospitaliers et de transformer les pratiques tout en étant de plus en plus efficace avec le renforcement d’un meilleur partage des données. Et à travers l’analyse de données scientifiques, de gènes, ou encore d’images, l’IA est déjà un renfort précieux pour aider les chercheurs à contrer la pandémie.

De nombreuses autres applications sont également possibles, dans le domaine des transports, l’administration des citoyens, les collectivités territoriales, etc., le tout dans un cadre réglementaire strict qui garantit la protection et la sécurité des données personnelles exploitées.

En France, le secteur public commence à prendre conscience du potentiel de l’IA

L’Etat français reconnaît désormais que l’IA est un puissant outil de transformation du secteur public. Cette nouvelle priorité donnée est soulignée par la mise en place des fonds d’appui aux transformations publiques qui financent aujourd’hui des projets de réformes prometteuses, dont des projets liés à l’IA.

Ainsi, le « Fond pour la transformation de l’action publique » (FTAP) doté de 700 millions d’euros sur cinq ans, a accordé 25% de cette enveloppe à des projets IA au profit d’établissements publics et d’administrations centrales.

A titre d’exemples, le projet « PILAT » pour le Ministère de l’action et des comptes publics (DGFiP), qui consiste à refondre les systèmes d’information du contrôle fiscal en améliorant l’interfaçage entre les différentes applications et l’agrégation des données pour lutter contre la fraude. Montant de la dotation accordée : 13,4 millions d’euros.

Dans le secteur de santé, 9,6 millions d’euros sont accordés au projet « Health data hub » pour le Ministère des solidarités et de la santé (DREES), qui vise à créer une « Plateforme des données de santé » afin de réunir les outils et les compétences permettant de mettre ce patrimoine de données au service du patient et du système de santé.

Dans le domaine de l’emploi, Pôle emploi a lancé le programme « Intelligence emploi » pour accélérer le retour à l’emploi durable, avec une dotation de plusieurs millions d’euros.

La transition écologique fait également l’objet de réflexions. Le projet « Systèmes experts en météorologie et climat » pour le Ministère de la Transition écologique et solidaire (Météo France), consiste à mobiliser des technologies innovantes (« machine learning ») pour mieux prévoir les impacts des phénomènes météorologiques et du changement climatique.

Ces soutiens à des projets d’envergure témoignent d’une véritable volonté d’investir dans l’IA. Mais ces « projets pilotes » mettent en évidence que les enjeux métiers de l’IA sont encore peu perçus par les administrations publiques. Ils témoignent également des difficultés encore rencontrées dans le passage à l’échelle du déploiement d’une réelle stratégie numérique au sein des ministères et des établissements publics, bien qu’une part croissante des budgets IT soit désormais dédiée à des projets d’Intelligence Artificielle.

Pour tirer parti du potentiel de l’Intelligence Artificielle, le secteur public doit relever plusieurs défis

Pour profiter réellement des promesses de l’IA dans la mise en œuvre des politiques publiques, l’administration doit se donner les moyens de cette ambition et relever plusieurs défis.

  1. Le premier est d’acter la priorité donnée à la collecte de la donnée : mettre en place une gouvernance rigoureuse de la donnée issue de multiples sources et en améliorer la qualité constituent les fondations d’une bonne stratégie IA. La réflexion autour de la donnée au cœur de l’innovation française a déjà vu ses premières réalisations dans la mise en place de principes d’open data, appuyés par Etalab , qui concrétise l’idée d’un Etat plateforme. Ce « Chief Data Officer » de l'État, au sein de la Direction interministérielle du numérique, développe et maintient le portail des données ouvertes des acteurs publics français, rendant ainsi disponibles plusieurs dizaines de jeux de données publiques (INSEE, RNCP…). Cette initiative doit aujourd’hui être structurée au niveau interministériel comme au sein de chaque ministère.
  2. Le second défi est d’attirer et de fidéliser des compétences pour porter cette stratégie. Les talents spécialisés dans l’IA sont très recherchés ; Le secteur public doit être capable d’offrir les conditions nécessaires pour être attractif, sur le plan de la rémunération comme du dynamisme ou de l’intérêt des projets à développer.
  3. Enfin, le dernier défi, et non le moindre, est de créer une véritable « culture de l’IA », portée au plus haut niveau de l’Etat, en favorisant l’ouverture et l’innovation dans ses organisations par un leadership fort et en dépassant le stade des (trop) nombreuses expérimentations pour engager un véritable passage à l’échelle.

Les fondements d’une stratégie IA en France sont déjà posés : la promulgation de la loi pour une République numérique et le rapport Villani ont impulsé la démarche en promouvant « une politique de la donnée offensive qui vise à favoriser son accès, son partage et sa circulation ». Et la nomination d’un coordonnateur interministériel de l’IA pour veiller à la mise en place des mesures recommandées, notamment par le rapport Villani, acte de la volonté d’Etat.

L’intelligence artificielle peut et doit être un accélérateur de la transformation de l’action publique. Il s’agit désormais de savoir tirer parti des enseignements de la crise sanitaire pour assoir cette stratégie et accélérer son déploiement à tous les niveaux.

Ce qu'il faut retenir

L’indisponibilité de données pertinentes à analyser et à « faire parler » n’a pas permis à l’IA d’aider les administrations publiques dans la gestion de la crise liée au Covid. Cependant, il y a eu une prise de conscience des perspectives ouvertes par l’IA.
Des initiatives ont été prises pour accélérer la collecte et l’agrégation de données telle que l’application StopCovid ou des solutions comme Qualtrics.
L’IA constitue un formidable levier pour améliorer l’efficacité des politiques publiques.

A propos de cet article

Par Caroline Trilles

Associée, Consulting, Technology Consulting Leader, France

Accompagner les organisations dans leurs programmes de transformation. Experte de la transformation digitale, des méthodes innovantes et agiles. Danseuse et passionnée de littérature.