8 min de temps de lecture 18 janv. 2021
Informatique quantique : sommes-nous à l’aube d’une nouvelle révolution technologique ?

Informatique quantique : sommes-nous à l’aube d’une nouvelle révolution technologique ?

8 min de temps de lecture 18 janv. 2021

Biologie et médecine, logistique, automobile, services financiers... Les champs d'application de l'informatique quantique sont vastes. Quels sont les bénéfices attendus et les perspectives business de cette nouvelle technologie ? Et à quel horizon ? 

En résumé
  • Avec une vitesse plus de 100 millions de fois supérieure à un ordinateur classique, l’informatique quantique apparaît comme une solution de plus en plus solide pour répondre à des besoins tels que ceux de l’intelligence artificielle.
  • Grâce à sa puissance de calcul, cette technologie a de nombreuses applications possibles : la chimie, la biologie et la médecine, mais encore dans le secteur de la logistique et des transports et le secteur financier.
  • Malgré certains freins liés avant tout à des contraintes physiques, le potentiel et les bouleversements de cette technologie devrait inciter les dirigeants à acquérir une connaissance et une compréhension fine du sujet.

Théorisé pour la première fois dans les années 80, l’ordinateur quantique est aujourd’hui au centre d’une course à laquelle prennent part à la fois les gouvernements et les géants technologiques. Le temps où le calculateur quantique était encore la chasse gardée des théoriciens est bel et bien révolu. Comme avec l’intelligence artificielle à ses débuts, une communauté d’investisseurs et d’entrepreneurs se constitue dans plusieurs régions du globe.

C’est qu’avec une vitesse plus de 100 millions de fois supérieure à un ordinateur classique, ce type de calculateur apparaît comme une solution de plus en plus solide pour répondre aux besoins de calculs de l’intelligence artificielle et au-delà, pour aider à résoudre des problèmes réputés insolubles. Une promesse qui laisse entrevoir des transformations profondes de l’économie et des modèles d’affaires.

L’informatique quantique, quelle différence avec l’informatique classique ?

A l’origine, l’informatique quantique a été développée pour simuler le comportement des particules et tester la théorie des univers multiples. La puissance de calcul des ordinateurs étant alors limitée, un groupe de physicien parmi lesquels David Deutsch et Richard Feynman ont émis l’idée de bâtir un calculateur capable d’utiliser la puissance de calcul des phénomènes quantiques pour diminuer le temps de calcul. L’ordinateur quantique était né.

En pratique, l’informatique quantique exploite la propriété des particules subatomiques de se trouver dans deux états différents en même temps.

Contrairement à l’informatique classique qui effectue des calculs binaires basés sur des bits, dont l’état est figé, soit 1 soit 0 (1, le courant passe, 0, le courant ne passe pas), l’informatique quantique réalise ses opérations à partir de qbits, qui dépendent du comportement des particules dans l’infiniment petit. Autrement dit, en informatique quantique, les états 1 et 0 peuvent être superposés : 1 et/ou 0, selon différentes combinaisons.

Un autre phénomène exploité par ce type d’informatique est l’intrication : deux qbits peuvent interagir ensemble et s’enchevêtrer. On passe alors d’une logique binaire à une logique combinatoire, permettant d’encoder de très grands nombres d’états.

Le parallélisme, gage d’une vitesse fulgurante

Cette capacité inédite permet à un ordinateur quantique d’avoir immédiatement accès à tous les résultats d’un calcul, car toutes ces probabilités se combinent en parallèle, alors qu’un ordinateur classique doit traiter les opérations les unes après les autres pour aboutir au résultat recherché.

Par exemple, pour trouver un nom dans une liste, un ordinateur classique devra consulter tous les noms présents pour donner le résultat, tandis qu’un ordinateur quantique, en y attachant une position, sera en mesure de trouver ce nom presque immédiatement.

Les experts prévoient que cette vitesse dépassera celle des supercalculateurs les plus puissants construits à ce jour et permettra en partie de contrebalancer la fin actée de la loi de Moore. En particulier, cette technologie permettra notamment de casser les techniques de cryptographie utilisées pour chiffrer et vérifier la validité de la plupart des télécommunications (messageries, transactions bancaires…). Une nouvelle génération de cryptographie résistante aux ordinateurs quantiques sera alors nécessaire, dont la standardisation au niveau mondial est déjà en cours.

Chimie, biologie, transports, services financiers : un boom en perspective ?

A l’instar de la cryptographie, la chimie pourrait elle aussi être bouleversée par la puissance de calcul des machines quantiques. L’étude des molécules et de leurs interactions demandent en effet des temps de calculs très importants, à tel point que parfois, ils ne peuvent être résolus. Les laboratoires se voient contraints de synthétiser de très nombreuses molécules pour en définir l’efficacité et les propriétés chimiques, ce qui implique un processus long et coûteux. En utilisant cette technologie, les molécules candidates pourraient être cartographiées numériquement, permettant d’accélérer le développement et la fiabilité des médicaments. 

Si l’on est encore loin de pouvoir disposer d’un véritable ordinateur quantique généraliste, les spécialistes s’accordent à dire que de « petits » calculateurs quantiques de 50 à 100 qbits pourraient être disponibles d’ici 5 à 10 ans pour des tâches spécialisées et des algorithmes donnés.

Franck Pagny

Manager, Consulting, Technology Transformation, France

 

Dans le champ de la biologie et de la médecine, ces nouvelles capacités pourraient également aider à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau ou la transcription de l’ADN par exemple. Une équipe de chercheurs travaille d’ailleurs actuellement sur le sujet en Californie en utilisant la machine quantique D-Wave 2X. Les perspectives d’application semblent infinies.

Un autre secteur se prête particulièrement bien au calcul quantique, c’est celui de la logistique et plus largement des transports. L’optimisation des trajets de livraison, notamment de véhicules autonomes est en effet aujourd’hui limitée par la capacité de calculs des ordinateurs classiques (à hauteur d’une centaine de voitures). Avec une meilleure puissance de calcul, les parcours complets d’une flotte de véhicules autonomes pourraient ainsi être décrits et optimisés, qu’il s’agisse du transport de marchandise ou de la régulation du trafic dans les villes.

Une autre application possible concerne les services financiers, et bien que les deux domaines n’aient rien à première vue en commun, la météorologie. A première vue seulement, car les modèles de prévision des cycles économiques et des marchés financiers font appels à des variables très complexes et changeantes comme le sont les données météorologiques (température, pression atmosphérique, hygrométrie), ce qui rend les simulations longues à calculer et les prévisions difficiles. Le calcul quantique pourrait encore ici donner à ces modèles les ressources pour sauter un nouveau palier.

Enfin, et bien qu’elle soit utilisée dans beaucoup des applications évoquées précédemment, l’intelligence artificielle pourrait aussi grandement bénéficier de l’ordinateur quantique, en réduisant le temps d’apprentissage et en améliorant le langage naturel, la reconnaissance de vocale, le raisonnement ou la compréhension.

Quels sont les freins à l'utilisation de l'informatique quantique ?

Pourquoi cette technologie n’est-elle pas encore massivement utilisée aujourd’hui ?

Il s’agit avant tout d’une contrainte physique. Pour mener à bien leurs calculs, ces petites unités de mémoire que sont les qbits doivent conserver leurs propriétés quantiques de superposition et d’intrication jusqu’à la fin du calcul. Or les interactions avec l’environnement comme la température ou le champ magnétique finissent fatalement par interrompre ce processus. Un phénomène que les scientifiques qualifient de « décohérence ». Plus le nombre de qbits est grand, plus la puissance de calcul est importante, mais plus ce phénomène l’est également. 

Quelles que soient les pistes d’action envisagées, s’intéresser dès aujourd’hui à ce qui pourrait être la prochaine révolution technologique n’est pas du temps perdu.

Les efforts actuels portent donc sur l’allongement la durée de superposition, ainsi que sur le nombre qbits. Selon le CNRS, le record du nombre de qbits intriqués s’élèverait aujourd’hui au nombre de 20.

Si l’on est encore loin de pouvoir disposer d’un véritable ordinateur quantique généraliste ou d’imaginer des ordinateurs quantiques personnels, les spécialistes s’accordent à dire que de « petits » calculateurs quantiques de 50 à 100 qbits pourraient être disponibles d’ici 5 à 10 ans pour des tâches spécialisées et des algorithmes donnés. Certaines entreprises technologiques proposent d’ailleurs déjà de louer des capacités additionnelles de calcul quantique sur le Cloud.

Une course à l’investissement

Au vu des enjeux, les géants technologiques parmi lesquels Google, IBM, Microsoft, mais aussi Tencent, Huawei, Baidu ou encore Alibaba se sont lancés dans une course aux qbits qui fait espérer une augmentation de la capacité des ordinateurs quantiques au cours de la prochaine décennie.

Selon une analyse de la revue Nature, les investisseurs privés ont par ailleurs financé près de 52 start-up depuis 2012, dont la plupart sont issues des laboratoires de recherche.

Investissements privé en faveur de la technologie quantique

450

millions de dollars entre 2017 et 2018

Entre 2017 et 2018 toujours selon cette étude, le montant total de l’investissement privé en faveur de la technologie quantique s’est élevé à plus de 450 millions de dollars, soit plus de quatre fois les montants investis au cours des deux années précédentes. Cette tendance, serait similaire à celle qui avait prévalu aux débuts de l’intelligence artificielle (avant 2010) et laisse penser que les investisseurs tablent comme les scientifiques sur une percée des ordinateurs quantiques d’ici 5 ou 10 ans.

Sans surprise l’Amérique du Nord et la Chine concentrent la majorité des investissements, mais le Canada est également bien positionné, les entreprises canadiennes ayant levé près de 243 millions de dollars. Des poches d’investissement existent également en Australie, à Singapour, au Royaume-Uni et en Europe, où l’Union européenne a annoncé y consacrer 1 milliard d’euros.

Entre potentiel et incertitude : comment se préparer ? A quel horizon ?

Alors que la course aux investissements fait rage, le défi pour les entreprises est de déterminer quelle place accorder à cette technologie dans leur futur business plans et stratégies.

Malgré les freins actuels, le potentiel que représente cette technologie reste grand, comme les bouleversements qu’elle pourrait produire dans de nombreux secteurs. Un état de fait qui devrait inciter les dirigeants à acquérir une connaissance et une compréhension fine de l’informatique quantique et de ses implications afin de pouvoir prendre les décisions idoines à mesure que se développe cette technologie.

La réflexion et l’évaluation de scénarios représentent également des bonnes façons de se préparer. Les dirigeants pourraient ainsi déterminer les champs de leur activité susceptibles de bénéficier de la puissance de calcul quantique, qu’il s’agisse de la cybersécurité (patch correctif, refonte du système, etc.), de l’optimisation de l’existant ou de la simulation de processus, de modèles ou de produits.

Un autre volet à considérer est la politique RH : faudra-t-il recruter des talents spécialisés dans la discipline ? Ou former des collaborateurs ? Ces nouvelles ressources doivent-elles être bâties en interne ou externalisées ? A l’instar des profils spécialisés dans la science des données aujourd’hui, ces compétences pourraient en effet se faire rares au moment où le marché atteindra sa pleine maturité.

Enfin, il ne faut pas négliger l’écosystème de jeunes structures qui naissent à la faveur d’entrepreneurs et de scientifiques qui ont pris part aux recherches fondamentales. Il pourrait être pertinent d’envisager dès maintenant des partenariats technologiques, notamment avec des éditeurs de logiciels quantiques comme cela a déjà été observé en Allemagne dans le secteur pharmaceutique.

Quelles que soient les pistes d’action envisagées, s’intéresser dès aujourd’hui à ce qui pourrait être la prochaine révolution technologique n’est pas du temps perdu.

Ce qu'il faut retenir

Nos experts EY Consulting décryptent l’informatique quantique et reviennent sur les perspectives de cette nouvelle technologie. Quelle est la différence avec l’informatique classique ? Quels seront les impacts business et à quel horizon ? Et enfin pourquoi cette technologie n’est-elle pas encore massivement déployée ?