Forêt de bambous d’Arashiyama à Kyoto, au Japon

Ce qu’il faut surveiller au moment où les normes mondiales de présentation d’informations ESG prennent forme


Personnes‑ressources au Canada : Thibaut Millet et Meghan Harris‑Ngae

La mise sur pied de l’International Sustainability Standards Board marque une avancée importante dans la transition vers une économie verte.


En bref

  • Le manque de données ESG pertinentes et comparables fait obstacle à la transition vers une économie plus durable.
  • L’ISSB devrait permettre de mettre de l’ordre et de la clarté dans l’univers complexe des informations ESG et de leur communication.
  • Il sera important pour l’IFRS Foundation d’agir rapidement à l’égard d’un vaste ensemble de normes d’information sur la durabilité et de reconnaître la nature dynamique du caractère significatif ainsi que la nécessité d’adapter les normes à l’échelle locale et d’élaborer des normes complémentaires.

Dans ce qui constitue une des nouveautés les plus importantes depuis des décennies en matière de comptabilité et d’information financière, l’International Financial Reporting Standards (IFRS) Foundation a annoncé officiellement la mise sur pied d’un conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board ou ISSB) dans le cadre de la Conférence des Parties des Nations Unies sur le changement climatique de 2021 (COP26) à Glasgow.

Quand on considère qu’il y a, selon les estimations, 600 normes relatives aux informations à fournir sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise (ESG) en vigueur à l’échelle mondiale1, il ne fait aucun doute que l’ISSB apportera l’uniformité et la comparabilité dont les normes d’information ESG ont grandement besoin. L’ISSB élaborera une norme mondiale de base en matière d’information sur la durabilité et contribuera à consolider ce qui est depuis longtemps décrit comme le méli‑mélo des organismes de normalisation.

Qualifiant la crise climatique d’« enjeu le plus déterminant de notre époque », Erkki Liikanen, président des administrateurs de l’IFRS Foundation, a déclaré que « l’information sur la durabilité [doit être] produite avec le même niveau de rigueur, d’assurance de la qualité et de comparabilité à l’échelle mondiale que l’information financière. »

Le nouveau conseil exercera ses activités en parallèle de celles de l’International Accounting Standards Board (IASB), l’organisme de l’IFRS Foundation qui établit les normes de comptabilité qui sont obligatoires pour la plupart des entités cotées dans plus de 140 pays.

Fait important, deux prototypes de normes d’information, élaborés par le groupe de travail sur la préparation technique (Technical Readiness Working Group) mis sur pied par l’IFRS Foundation, permettent à l’ISSB d’entreprendre ses travaux avec une longueur d’avance.

  • Prototype de norme d’information relative au changement climatique – S’appuyant sur les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), le prototype de norme d’information relative au changement climatique (pdf) obligerait les entités à fournir des renseignements qui permettent aux utilisateurs d’évaluer les risques et les occasions liés au changement climatique en fonction de la gouvernance, de la stratégie et de la gestion des risques d’une entreprise, en plus de présenter des mesures et des cibles relatives aux risques et occasions liés au changement climatique pour favoriser l’uniformité et la comparabilité dans l’ensemble des marchés mondiaux.
  • Prototype de norme d’information financière énonçant les obligations générales d’information en matière de durabilité – Ce prototype d’exigences générales (pdf) fournit des indications concernant la communication d’informations sur d’autres questions ESG significatives qui ont une incidence sur la valeur de l’entreprise, et regroupe les principaux volets du contenu publié par les organismes de réglementation existants.

L’harmonisation croissante des normes d’information sur le changement climatique et les questions ESG en général arrive à un moment crucial vu le manque de données pertinentes et utiles pour la prise de décisions qui permettent aux intervenants des marchés d’évaluer les risques liés au changement climatique et qui encouragent les investissements dans les initiatives d’adaptation et d’atténuation, ce qui est de plus en plus considéré comme un obstacle à la transition vers une économie verte. Dans une récente enquête réalisée par le Fonds monétaire international (FMI) auprès des gestionnaires d’actifs, l’insuffisance des données climatiques, particulièrement les données prospectives, faisait partie des enjeux les plus pressants devant être abordés pour faciliter les investissements dans la transition2.




La mise sur pied de l’ISSB et ces futures normes arrivent à un moment crucial alors que le manque de données pertinentes et utiles à la prise de décisions sur le changement climatique est de plus en plus considéré comme un obstacle à la transition vers une économie verte.


Dans l’édition d’octobre 2021 de son Rapport sur la stabilité financière dans le monde, le FMI a lancé un appel aux décideurs politiques pour qu’ils « renforcent de toute urgence l’architecture de l’information sur le changement climatique pour les sociétés et les fonds de placement » afin d’aligner les flux d’investissement sur les objectifs climatiques3. L’ISSB pourrait devenir un des principaux piliers de cette architecture et de la communication d’informations ESG pertinentes et utiles pour la prise de décisions. Alors que le processus d’établissement de normes d’information sur la durabilité se met en branle, trois enjeux doivent demeurer au centre de l’ordre du jour politique :

 

1. La nécessité d’avoir des normes spécifiques sur les questions sociales et de gouvernance d’entreprise

Nous croyons que l’ISSB a raison de prioriser le changement climatique dans la phase initiale d’élaboration de normes d’information sur la durabilité et nous avons confiance que le prototype d’exigences générales permettra, sur une base provisoire, de fournir aux entreprises des indications sur les informations à fournir relativement à d’autres questions ESG. 

À moyen terme cependant, la même urgence qui anime l’ISSB dans l’élaboration d’une norme d’information spécifique sur le changement climatique devra être appliquée à un ensemble plus vaste d’enjeux relatifs à la durabilité, dont les questions liées à la main‑d’œuvre et aux droits de la personne.

La pandémie de COVID‑19 a clairement mis en lumière la nécessité de prendre des mesures à l’égard de ces questions, et une étude de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a montré comment la pandémie a annulé des années de progrès vers l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD)4.

Parallèlement, des obligations d’information sur les facteurs sociaux et de gouvernance ont émergé un peu partout dans le monde. Voici quelques exemples :

  • La directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) obligera les sociétés de l’UE (et certaines entités dont le siège social est situé hors de l’UE) à présenter de l’information sur le respect des droits de la personne, entre autres données sur la main‑d’œuvre.
  • Aux États‑Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) a récemment approuvé l’imposition aux sociétés cotées au NASDAQ de nouvelles règles relatives à la diversité des conseils d’administration et à la communication d’informations à cet égard, et l’organisme prépare également un ensemble de règles pour rendre obligatoire la communication d’informations sur le capital humain, lesquelles pourraient inclure un certain nombre de mesures, comme le taux de roulement, le perfectionnement des compétences et la formation du personnel, la rémunération, les avantages sociaux, le profil démographique de la main-d’œuvre, y compris sa diversité, ainsi que la santé et la sécurité.
  • En Inde,les 1 000 sociétés cotées en Bourse les plus importantes devront bientôt déposer un rapport sur la responsabilité sociale et le développement durable (Business Responsibility and Sustainability Report ou BRSR) présentant de l’information sur un vaste éventail de facteurs ESG, dont les avantages sociaux et le salaire médian, la diversité hommes‑femmes et l’utilisation des ressources.

Bien qu’il démontre que les parties prenantes réclament plus d’information sur les risques ESG, ce mouvement soulève également le risque de fragmentation de cette information et met en évidence la nécessité d’en accroître la comparabilité et l’uniformité.

2. La distinction entre l’approche axée sur la valeur d’entreprise et celle priorisant la valeur sociétale deviendra plus floue avec le temps

L’ISSB a annoncé qu’il élaborera des normes d’information sur la durabilité qui prendront en compte l’incidence des entreprises sur les questions relatives à la durabilité pertinentes pour l’établissement de la valeur d’entreprise (telle qu’elle est déterminée par les intervenants du marché) et la prise de décisions d’investissement. Cette approche est étroitement alignée sur celle des statuts de l’IFRS Foundation et conforme à la définition « traditionnelle » du caractère significatif.

Le concept de caractère significatif est au centre de diverses approches utilisées pour la présentation d’informations ESG. Alors que de nombreux territoires ont adopté une approche axée sur la valeur d’entreprise, d’autres, en particulier l’Union européenne (UE), ont privilégié une approche plus large tenant compte de la valeur sociétale (c.‑à‑d., l’incidence des entreprises sur les gens et l’environnement). Cependant, quand il est question du caractère significatif, on a souvent tendance à oublier le caractère dynamique de la distinction entre l’approche axée sur la valeur d’entreprise et celle priorisant la valeur sociétale. En effet, puisqu’elle a évolué par le passé et qu’elle continuera inévitablement de le faire au fil du temps, cette distinction deviendra de plus en plus floue à mesure que se préciseront les externalités et les répercussions directes ou indirectes sur les flux de trésorerie futurs.

Vu la convergence de la valeur sociétale et de la valeur financière et l’évolution du rôle des entreprises dans la société en général, les investisseurs reconnaissent que l’incidence d’une entité sur son environnement (et vice versa) pourrait ne pas avoir de conséquences directes sur les flux de trésorerie aujourd’hui, mais avoir d’importantes répercussions sur sa valeur et sa viabilité à long terme. Il deviendra de plus en plus difficile de faire une distinction entre ce qui est uniquement pertinent pour les investisseurs et ce qui l’est seulement pour d’autres décideurs.

Les entreprises devraient suivre l’évolution de la situation, tant au sein de l’ISSB que dans les différents territoires, au moment où les normes commencent à prendre forme.

3. L’importance d’élaborer une norme mondiale de base tout en tenant compte de la nécessité d’adapter ce référentiel à l’échelle locale

Dans la déclaration émise à la suite du sommet qu’ils ont tenu récemment à Rome, les dirigeants du G20 ont accueilli positivement le programme de travail de l’IFRS Foundation visant à élaborer une norme mondiale de base en matière d’information sur la durabilité. Parallèlement, de nombreux pays du G20 ont adopté des obligations d’information sur la durabilité, dont certaines seront alignées sur le processus de l’ISSB et d’autres, propres à chaque territoire.

Par exemple, dans l’UE, un territoire qui s’est engagé à contribuer et à donner plus d’ampleur aux efforts déjà déployés à l’échelle mondiale dans le domaine des normes d’information sur la durabilité, comme les travaux de l’IFRS Foundation, les décideurs politiques voient dans la communication d’informations un mécanisme de modification des comportements. La CSRD est un élément clé du Pacte vert pour l’Europe, un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but de rendre l’UE climatiquement neutre d’ici 2050.

Comme l’IFRS Foundation, nous reconnaissons qu’il est nécessaire de conférer une certaine souplesse sur le plan régional à ce référentiel mondial. Dans les mois et les années à venir, il sera important de parvenir à un juste équilibre à cet égard afin de réduire au minimum les inefficiences et les incohérences.

La mise sur pied de l’ISSB constitue un pas en avant des plus prometteurs dans la marche vers l’harmonisation des normes de présentation de l’information ESG. L’utilisation de mesures communes et uniformes nous permettra d’évaluer les progrès réalisés, d’améliorer la prise de décisions et la responsabilisation et de renforcer la confiance. Les prochains mois seront l’occasion, pour de multiples groupes de parties prenantes, d’unir leurs forces dans un esprit de collaboration et un sentiment d’urgence, tout en suscitant l’adhésion générale requise pour réaliser des avancées significatives.

Avec la contribution additionnelle de Janice Freeman (analyste des politiques, Politique publique mondiale, EY) et de Julie Croglio (employée en détachement – Initiatives ESG, Bureau du président et chef de la direction mondial d’EY).



Résumé

La mise sur pied de l’ISSB par l’IFRS Foundation est une importante étape vers la présentation aux intervenants des marchés d’informations sur la durabilité qui sont pertinentes et utiles à la prise de décisions et qui peuvent être comparées d’un secteur à l’autre et d’un territoire à l’autre.