BlackRock, le plus important investisseur du monde, a annoncé récemment que la durabilité figurerait désormais au cœur de son approche de placement et qu’elle entendait se départir de ses placements présentant un risque élevé d’atteinte à la durabilité, notamment de ceux détenus dans le secteur de la production d’énergie à partir du charbon6. Il importe de prendre conscience de cet état de fait, car cette décision met clairement en évidence un facteur commun aux investisseurs qui cherchent à réaliser des placements durables : le risque systémique. À l’échelle mondiale, une grande partie du capital investi provient d’importants investisseurs institutionnels qui doivent parvenir à un équilibre entre les facteurs qui influent sur la performance d’une entreprise donnée et les facteurs de portée plus générale qui ont une incidence sur l’ensemble de leur portefeuille, tels que les changements climatiques et la transparence7.
En pleine pandémie de COVID-19, à l’instar d’autres importants investisseurs, BlackRock a cherché à doubler son offre de fonds négociés en Bourse (FNB) durables, tout en prenant en compte les risques ESG dans l’élaboration de ses portefeuilles et de ses processus8. D’autres intervenants du milieu financier sont sans doute dans ce même état d’esprit. Bien que la priorité à court terme puisse aller à la gestion de la crise actuelle, les autres investisseurs et entreprises pourraient en venir à poser un regard neuf sur la gestion des risques dans une perspective à plus long terme.
Produits de consommation
La demande de produits durables par les consommateurs est à la hausse. Ces derniers souhaitent revoir leurs habitudes d’achat pour tenir compte des bénéfices environnementaux et sociaux qui se rattachent aux produits dans leurs décisions d’achat. Autrement dit, les marchés peuvent changer et offrir de nouvelles possibilités de génération de valeur pour les consommateurs.
Résultats émanant de l’étude
- Les revenus tirés de la vente de produits durables augmentent six fois plus rapidement environ que ceux provenant de la vente d’autres produits9.
- La moitié des consommateurs sont disposés à payer un prix plus élevé pour des produits qui ont une incidence sociale et environnementale positive sur la chaîne d’approvisionnement10.
- Aux États Unis, la valeur des achats de produits durables devrait s’élever à 150 G$ en 202111.
- D’ici 2025, les consommateurs privilégieront généralement l’achat de produits et de services ayant un effet moins dommageable sur l’environnement, la santé humaine et la société12.
Cette tendance est particulièrement soutenue par les jeunes consommateurs, qui sont davantage préoccupés par le risque que les changements climatiques aient une incidence significative sur leur avenir.
Ce qui était auparavant une question de choix pratique, toutes autres variables confondues, semble désormais devenir de plus en plus un facteur prioritaire dans la prise des décisions d’achat. Cette tendance – qui concerne pour le moment les entreprises du secteur des produits de consommation – pourrait avoir un effet boule de neige sur l’ensemble des marchés et se répercuter sur les entreprises spécialisées dans le commerce interentreprises, à mesure que l’augmentation de la demande de produits durables se fera sentir dans l’ensemble de la chaîne de valeur13.
Pairs du secteur
Les engagements en matière de durabilité des grandes entreprises ont atteint une masse critique et exercent désormais une pression sur les chefs de la direction des entreprises homologues qui n’ont pas encore annoncé leur engagement. L’impératif de durabilité semble découler du fait que le milieu des affaires à l’échelle mondiale a pris conscience que la raison d’être de l’entreprise, autre que la quête de bénéfices, et sa codépendance à l’égard d’autres entreprises, organisations et personnes des écosystèmes au sein desquels elle mène ses activités sont des facteurs importants du maintien de la rentabilité à long terme14.
De plus en plus d’entreprises font de leur stratégie de durabilité leur stratégie de base, en raison du potentiel financier de la durabilité, dans un contexte où les employés cherchent désormais à donner un sens à leur travail. En revanche, ces entreprises exercent des pressions importantes sur d’autres entreprises pour qu’elles suivent leur exemple :
- Ainsi, 140 grandes entreprises d’envergure mondiale sont à la recherche d’un référentiel standardisé de communication de l’information non financière sur les facteurs ESG15.
- Plus de la moitié des entreprises américaines ont renforcé leur engagement à recourir à des sources d’énergie renouvelable16.
- Plus de 9 500 entreprises, notamment 28 entreprises dont la capitalisation boursière combinée s’élève à 1,3 T$, se sont engagées à rehausser le niveau de leurs objectifs de lutte contre les changements climatiques17.
Une telle vague d’annonces a suffi à inciter les dirigeants à réfléchir à la raison d’être et à l’incidence à long terme de leur entreprise. Elle a également pour effet de légitimer la logique et la proposition de valeur qui sous tendent cette tendance.
Autorités publiques
Jusqu’à maintenant, l’intérêt que les entreprises manifestent pour la gestion durable est motivé surtout par les avantages qui en découlent pour les investisseurs, les consommateurs et les entreprises mêmes. Cependant, les sanctions appliquées par les autorités publiques en cas de manquement à la réglementation axée sur la lutte contre les changements climatiques nuisent d’ores et déjà à une foule d’entreprises, tous secteurs confondus. Prenant en compte les enjeux auxquels il faudrait faire face si de nouvelles mesures n’étaient pas mises en œuvre, les autorités publiques pourraient être amenées à durcir davantage les dispositions législatives relatives à certains aspects de la gestion durable18.
Dans le monde entier, les autorités publiques intensifient les pressions sur les entreprises pour qu’elles exercent leurs activités de façon durable. Par exemple, en Allemagne, le parlement fédéral (Bundestag) envisage adopter des dispositions législatives prescrivant l’obligation d’examiner chacune des composantes des chaînes d’approvisionnement et prévoyant l’application de sanctions aux entreprises s’avérant non durables19.
On peut donc en conclure que plus le libre marché tarde à démontrer qu’il applique un contrôle fondé sur des données probantes à des facteurs externes ayant des répercussions négatives sur la société et l’environnement, plus les autorités de réglementation peuvent chercher à imposer des restrictions aux activités des entreprises. Dans un tel contexte, il semble que le nombre de parties prenantes, le volume de capitaux et, surtout, l’ampleur des risques sociaux et environnementaux en jeu s’avèrent trop considérables pour que les autorités publiques puissent se permettre de ne pas intervenir.
Comment élaborer une stratégie de durabilité fructueuse au moyen des cinq axes
L’impératif de durabilité devrait perdurer, et les dirigeants d’entreprise peuvent envisager d’emprunter l’une des deux voies possibles.
Pour une entreprise, la première voie consiste à adopter une approche superficielle à haut risque pour tirer parti de l’engouement pour la durabilité au moyen d’activités de marketing, sans rien changer à ses activités actuelles.
La deuxième voie qu’une entreprise peut emprunter consiste à se convertir en une organisation véritablement durable, en procédant à une transformation fondamentale afin d’intégrer la durabilité à ses activités essentielles. Bien que la mise en œuvre de cette stratégie organisationnelle puisse s’avérer plus difficile, c’est d’après nous celle qui fera la différence entre les entreprises prospères et celles dont la survie à long terme n’est pas assurée. Notre analyse s’adresse aux entreprises qui privilégient cette deuxième voie.