À la suite de la défaite de la Couronne dans l’affaire Cameco devant la Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale1, le gouvernement s’est engagé à revoir les règles sur les prix de transfert au Canada. Le document de consultation constitue la première étape entreprise par le ministère des Finances pour apporter d’éventuelles modifications aux dispositions législatives et aux mesures administratives applicables aux prix de transfert au Canada. Parmi les autres éléments pouvant faire l’objet de discussions, le document présente également certaines méthodes simplifiées de fixation des prix.
Le document de consultation contient 23 questions qui portent sur des éléments précis des propositions. Des avant-projets de loi pour la mise en œuvre de certaines mesures proposées se trouvent à l’annexe A du document de consultation.
Propositions législatives
La proposition législative principale concerne des modifications possibles aux règles de redressement des prix de transfert prévues à l’article 247 de la LIR. Ces modifications potentielles visent à préciser l’application du principe de pleine concurrence au Canada, en partie grâce à une tentative de mieux harmoniser le libellé de la disposition avec celui qu’on retrouve dans les principes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») applicables en matière de prix de transfert2.
De nouvelles définitions sont proposées. Notamment, l’expression « caractéristiques économiquement pertinentes » est ajoutée et vise à délimiter tous les renseignements (soit les « conditions », expression assortie de sa propre règle d’interprétation) dont il faut tenir compte lors de l’établissement et de l’analyse des prix dans les opérations interentreprises, avec un accent mis sur les fonctions et le comportement réel des parties, pour déterminer l’« opération délimitée ». Il s’agit d’une entreprise beaucoup plus vaste que ce que les dispositions actuelles sur les prix de transfert exigent.
Ainsi, comme premier élément, aux fins du redressement des prix de transfert, il faut effectuer une comparaison des conditions de l’opération délimitée et des conditions qui auraient été incluses si les parties traitaient sans lien de dépendance dans des circonstances comparables. Lorsque les conditions ainsi comparées sont différentes, le montant du revenu ou de la dépense déclaré par le contribuable (le « montant initial ») peut être redressé de façon qu’il corresponde à la valeur ou à la nature du montant qui aurait été déterminé si les conditions sans lien de dépendance s’appliquaient.
Le deuxième élément des modifications proposées prévoit de nouvelles dispositions de « non-reconnaissance » et de « remplacement » pour remplacer les dispositions actuelles de « requalification » aux alinéas 247b) et d) de la LIR. La non-reconnaissance s’appliquerait lorsque, compte tenu des perspectives des participants et des options réalistes à la disposition de chacun d’eux au moment de conclure l’opération, il est déterminé que :
a. l’opération ou série délimitée diffère de l’opération ou de la série qui aurait été adoptée par les participants si ceux-ci traitaient sans lien de dépendance de manière commercialement rationnelle dans des circonstances comparables;
b. l’opération ou série délimitée empêche la détermination d’un prix de transfert qui aurait été acceptable pour les participants si ceux-ci traitaient sans lien de dépendance.
Si l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») détermine que la règle de non-reconnaissance et de remplacement s’applique, alors « […] l’opération ou série délimitée doit être écartée et remplacée par une opération ou une série qui se rapproche autant que possible des faits de l’opération ou série délimitée tout en obtenant un résultat escompté qui, si les participants traitaient sans lien de dépendance dans des circonstances comparables, aurait été commercialement rationnel3 ».
Cette clause de non-reconnaissance et de remplacement semble viser en grande partie à résoudre les difficultés éprouvées par la Couronne pour justifier sa position de requalification dans l’affaire Cameco. Tout au long du document de consultation, il est renvoyé plusieurs fois à l’affaire Cameco afin d’expliquer les préoccupations du ministère des Finances en matière de politique fiscale à l’égard des règles actuelles et d’illustrer comment la règle de non-reconnaissance et de remplacement proposée aurait pu fonctionner dans des circonstances similaires.
Troisièmement, le document de consultation propose également d’ajouter une disposition de cohérence indiquant que les règles canadiennes en matière de prix de transfert doivent être appliquées de façon à atteindre cohérence aux principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert4. Une mise en garde prenant la forme du libellé « à moins que le texte ne l’exige autrement » est intégrée à la disposition et donne à l’ARC une marge de manœuvre pour l’interprétation. Les intervenants sont invités à formuler des commentaires sur la question de savoir si les principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert doivent être appliqués selon une approche statique, ou s’il convient plutôt d’adopter une approche dynamique concernant les modifications futures des principes. Une décision sera prise ultérieurement.
Mesures administratives
Le document de consultation invite les intervenants à donner leur avis sur des questions administratives se rapportant aux prix de transfert, notamment les dispositions en matière de documentation et de pénalités et la possibilité d’adopter des approches plus modernes et simplifiées dans des situations particulières.
Le document de consultation souligne que ces mesures visent à réduire les différends en matière de prix de transfert, à réduire les charges administratives et à permettre à l’ARC de consacrer ses ressources à des opérations présentant un risque plus élevé d’érosion de la base d’imposition.
Les mesures administratives envisagées dans le document de consultation comprennent les nouveautés potentiellement importantes suivantes :
- Augmentation des seuils de pénalités : En vertu des règles actuelles, les dispositions qui prévoient les pénalités relatives aux prix de transfert reposent à la fois sur un seuil absolu – un redressement de plus de 5 millions de dollars – et un seuil relatif – un redressement supérieur à 10 % du revenu du contribuable. Une pénalité pourrait s’appliquer si le montant du redressement est supérieur à l’un seul des deux seuils. Le document de consultation propose d’augmenter le seuil absolu pour le faire passer de 5 millions de dollars à 10 millions de dollars, puisque ce montant n’a pas été augmenté depuis son instauration en 1997, mais de conserver tel quel le seuil relatif de 10 % du revenu.
- Adoption d’éléments du modèle de documentation fichier principal/fichier local de l’OCDE : Le document de consultation propose d’exiger la production du fichier principal de l’OCDE sur un formulaire prescrit à la demande de l’ARC par les grands groupes d’entreprises multinationales qui sont déjà assujettis aux exigences de déclaration pays par pays. De plus, le gouvernement propose que les exigences canadiennes en matière de documentation soient harmonisées avec celles décrites au chapitre V (Documentation) des principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert (soit les obligations de documentation dans le fichier local).
- Exigences simplifiées en matière de documentation pour les opérations de faible valeur et les petits contribuables : Le gouvernement reconnaît dans le document de consultation que les exigences en matière de documentation imposent une charge aux contribuables et souligne qu’il peut être nécessaire d’établir un équilibre entre le besoin d’avoir une documentation en matière de prix de transfert qui soit fiable et accessible en temps voulu et le coût de la fourniture de cette documentation. Il reconnaît aussi que des exigences simplifiées en matière de documentation pourraient alléger les charges administratives pour les opérations ou les contribuables à faible risque. Par conséquent, le gouvernement examine la possibilité d’adopter des dispositions qui permettraient de satisfaire aux exigences pour certains types d’opérations au moyen d’un calendrier de déclaration annuelle détaillant, notamment, la nature et l’ampleur de ces opérations, les méthodes utilisées et les conditions de pleine concurrence déterminées.
Méthodes simplifiées de fixation des prix
Le document de consultation soumet certaines méthodes simplifiées de fixation des prix à l’examen et aux commentaires des intervenants sans donner d’indication claire sur l’intention du gouvernement quant à l’adoption de ces méthodes.
- Services intragroupes à faible valeur ajoutée : On souligne que, conformément aux principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert, plusieurs juridictions ont adopté une méthode, dans le cadre d’un régime de protection, selon laquelle une marge de 5 % est considérée comme un rendement de pleine concurrence acceptable pour de tels services. On mentionne différentes méthodes de mise en œuvre et la possibilité d’un plafond en dollars.
- Rendements normalisés pour les activités de distribution : Le document de consultation mentionne que les distributeurs qui exercent des activités relativement ordinaires et qui obtiennent des rendements proportionnels présentent un risque relativement faible d’érosion de la base d’imposition. Par conséquent, un rendement du régime de protection pourrait réduire leurs charges administratives. On relève aussi des difficultés dans la définition de la portée des activités et, encore une fois, la potentielle nécessité d’un plafond en dollars.
- Conditions de prêt intragroupe : On souligne qu’un grand nombre de caractéristiques peuvent être observées dans les prêts intragroupes, que la documentation de la nature de pleine concurrence des taux d’intérêt sur de tels prêts peut imposer aux contribuables des charges significatives et qu’il peut être difficile et exigeant sur le plan des ressources de contester ces arrangements. Parmi les questions abordées, mentionnons l’imposition d’une limite à la gamme acceptable de conditions de prêt, y compris une limite de durée de prêt de cinq ans, l’utilisation d’une notation de crédit du groupe d’entreprises multinationales dans son ensemble pour fixer les prix dans le cadre des opérations financières intragroupes, ainsi que l’élimination des caractéristiques de subordination et des options intégrées.
Processus de consultation
Les intervenants ont jusqu’au 28 juillet 2023 pour soumettre leurs commentaires. On demande aux intervenants d’indiquer s’ils consentent à ce que la totalité ou une partie de leurs commentaires soit divulguée.
Les équipes d’EY examineront attentivement le document de consultation et enverront leurs commentaires au ministère des Finances.
Points à retenir
Les éléments de fond des règles canadiennes en matière de prix de transfert n’ont pas été révisés depuis leur instauration initiale en 1997. Le document de consultation du ministère des Finances offre une occasion aux intervenants de donner leur avis sur ce volet très important du droit fiscal canadien.
Bien que l’intention du ministère des Finances soit de réduire l’incertitude quant à l’interprétation des règles sur les prix de transfert au Canada, les modifications législatives proposées pourraient créer d’autres sources d’incertitude et élargir le contexte actuel pour les différends en matière de prix de transfert au Canada. Plus particulièrement, l’accent mis sur les « caractéristiques économiquement pertinentes », dont l’interprétation est subjective par nature, peut inévitablement donner lieu à des différends plus fréquents et plus étendus. Cela pourrait, ensuite, accroître la nécessité de mettre en place des mécanismes de règlement des différends plus efficaces, un sujet qui n’est pas abordé dans le document de consultation.
Le calendrier et la date d’application éventuelle des propositions législatives révisées découlant du processus de consultation sont incertains. Néanmoins, étant donné la nature récurrente des prix de transfert, les contribuables devraient examiner leurs opérations et leur documentation actuelles à la lumière des intentions d’orientation indiquées dans les propositions du gouvernement et déterminer si des modifications ou des améliorations proactives seraient justifiées.
De plus, les mesures administratives abordées dans le document de consultation, lesquelles visent à réduire les charges administratives, méritent d’être sérieusement prises en considération dans le cadre de la refonte générale du cadre canadien des prix de transfert. Toutefois, il n’est pas certain que les mesures envisagées, telles qu’elles sont actuellement formulées, soient parfaitement cohérentes avec les propositions législatives et qu’elles permettront réellement d’atteindre les objectifs fixés.
Pour en savoir davantage
Pour consulter le document de consultation du ministère des Finances dans son intégralité, visitez :
Consultation sur la réforme et la modernisation des règles canadiennes sur les prix de transfert – Canada.ca.
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- Cameco Corporation c. La Reine, 2018 CCI 195; confirmée par 2020 CAF 112. Voir aussi le bulletin FiscAlerte 2020 numéro 40, La Cour d’appel fédérale rejette l’appel de la Couronne dans l’affaire Cameco portant sur les prix de transfert.
- « Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert » renvoie aux Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales.
- Alinéa 247(1.3)b) de la LIR proposé.
- Comme il est prévu au paragraphe 247(2.03) proposé.