kayak sortant d’une caverne de glace

Huit façons dont les taux d’intérêt influent sur les prix de transfert et comment s’adapter

Les économistes s’entendent pour dire que les taux d’intérêt élevés se maintiendront à moyen terme. Les entreprises ont besoin d’une stratégie.


En bref

  • On s’attend à une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt en raison de divers facteurs, tels que la tendance vers la « remondialisation » et le déclin démographique dans les économies avancées.
  • Les entreprises devraient prévoir une hausse des coûts associés au passage à d’autres chaînes d’approvisionnement et aux investissements dans de nouvelles infrastructures.
  • Les entreprises doivent tenir compte des ajustements apportés au fonds de roulement, des instruments financiers, des profits et des pertes de change et de bien plus encore.

L’inflation et les taux d’intérêt augmentent, et la plupart des experts s’entendent pour dire que cette tendance est susceptible de se poursuivre, en raison de la confluence particulière de tendances géopolitiques, macroéconomiques, technologiques et économiques. De nombreuses entreprises se demandent quelle incidence aura la hausse des taux sur leurs prix de transfert et leurs modèles opérationnels.

Pour répondre à cette question, il faut examiner les facteurs pouvant créer le contexte d’inflation et de hausse des taux d’intérêt anticipé. Le consensus parmi les médias traditionnels et les économistes est qu’il existe au moins quatre principaux facteurs. Premièrement, la tendance récente vers la « remondialisation » et les zones d’échanges commerciaux, qui prendront vraisemblablement la place du modèle actuel de chaînes d’approvisionnement fortement dépendant de la Chine, comme solutions mondiales de production à faible coût. Deuxièmement, le déclin démographique dans les économies avancées du monde (de l’Occident et de l’Orient) fait en sorte que les populations comptent moins de personnes en âge de travailler et plus de retraités. Troisièmement, la fin des effets déflationnistes associés à la révolution du commerce électronique a favorisé les producteurs et les vendeurs de produits de consommation les plus efficaces, qui offrent aux consommateurs une transparence totale et la possibilité de comparer les prix. Quatrièmement, la tendance mondiale d’augmentation des dépenses de défense, à la suite de la guerre en Ukraine, est propice aux investissements dans les biens pour la défense plutôt que dans les biens pour les civils et contribue à l’inflation, puisque la production liée à la défense ne crée pas de services ou de biens destinés aux ménages. 

Chaque facteur soulève des considérations particulières. Si la nouvelle ère de « remondialisation », souvent appelée « mondialisation 2.0 » ou « démondialisation », donne lieu à des zones d’échanges commerciaux et à une réduction de la dépendance à la Chine, il y aura des conséquences importantes. Le passage à d’autres chaînes d’approvisionnement, les investissements dans de nouvelles infrastructures, la gestion des redondances et la capacité de fabrication inférieure feront en sorte que ces nouvelles chaînes d’approvisionnement seront moins efficaces et plus coûteuses qu’elles ne l’ont été depuis les années 1970, lorsque la Chine est devenue un acteur important sur la scène commerciale mondiale. Le commerce mondial a déjà commencé à reculer : les exportations représentaient 31 % du produit intérieur brut (PIB) mondial en 2008, mais ont chuté à 26 % en 2020.
 

Sur le plan démographique, la Chine a récemment connu sa première baisse de population en 60 ans, et la population en âge de travailler aux États‑Unis ne devrait croître que de 0,2 % de 2020 à 2030. À l’heure où la démographie des pays développés évolue et où le nombre de retraités augmente, une montée de l’inflation est à prévoir du fait que les retraités consomment plus qu’ils ne produisent. La situation est particulièrement difficile en Europe de l’Ouest et au Japon.
 

À l’ère du numérique, 14 % des ventes au détail se font maintenant en ligne, et le commerce en ligne a contribué à faire baisser les prix en permettant aux consommateurs de comparer les prix et de choisir l’option la moins chère. Toutefois, cette tendance s’est quelque peu inversée : les prix en ligne ont augmenté de 2 % depuis mars 2020. Bien qu’on s’attende à ce que des avancées comme l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et l’impression 3D stimulent la croissance et la productivité, il semble que nous avons déjà tiré le maximum des avantages liés à la transparence et à la compétitivité des prix en ligne.
 

Compte tenu des prévisions des économistes quant à l’inflation soutenue et de la volonté des banques centrales de relever les taux d’intérêt et de contrôler la masse monétaire pour lutter contre l’inflation, il importe d’évaluer l’incidence sur les prix de transfert et les modèles opérationnels. Cette incidence peut être soit mineure et d’ordre statistique, soit hautement stratégique et pertinente, selon la façon dont les entreprises répartissent et créent leur capital. Voici des considérations importantes dont il faut tenir compte dans un contexte de taux d’intérêt élevés ou à la hausse :
 

1) Les ajustements apportés au fonds de roulement dans les analyses des prix de transfert, selon la méthode des bénéfices comparables (MBC), comme il est décrit à l’article 1.482 5 du règlement du Trésor (Treasury Regulations).


Un ajustement courant effectué dans les analyses utilisant la MBC – la méthode la plus souvent utilisée à l’échelle mondiale par les contribuables et les autorités fiscales – consiste à établir les différences dans les modalités commerciales pour les créances et les dettes fournisseurs ainsi que dans les politiques en matière de stocks entre les contribuables et les entités comparables. La logique est que, dans un marché concurrentiel, un distributeur qui offre aux clients un délai de paiement de 180 jours – par rapport à son concurrent qui offre des délais de paiement de 30 jours – devra faire en sorte que ses prix, et les profits en découlant, augmentent pour compenser les charges d’intérêts engagées pour financer ces délais plus longs. Ainsi, les investisseurs externes dans un marché concurrentiel sont assurés d’obtenir le même rendement du capital investi, quelles que soient les modalités de paiement. Comme les 15 dernières années ont été marquées par l’assouplissement quantitatif et la faiblesse des taux d’intérêt, ces ajustements n’avaient pas d’incidence sur les analyses de prix de transfert, c’est à dire qu’ils n’entraînaient pas de variations importantes des marges d’exploitation après ajustement. Toutefois, la situation pourrait changer si nous entrons dans une ère où les taux des fonds fédéraux demeurent à 5 %. Les contribuables risquent d’avoir de mauvaises surprises s’ils négligent ces ajustements du fonds de roulement ou s’ils les effectuent de façon inappropriée. Pire encore, les prix de transfert comportent aussi des risques – aux fins de l’application de la MBC aux États‑Unis, par exemple, si un contribuable non résident est considéré comme se situant en deçà du quartile inférieur d’une fourchette de pleine concurrence sur une base an sur an, l’Internal Revenue Service procède à un ajustement pour qu’il soit considéré comme se situant dans la médiane et non dans le quartile inférieur. Cela veut dire qu’un écart mineur dans un ajustement du fonds de roulement pourrait donner lieu à un lourd montant d’impôt à payer.
 

2) Instruments financiers véritables


De même, dans le cas des prêts, des avances et mises en commun de trésorerie véritables, les taux d’intérêt élevés font augmenter considérablement les risques que des instruments financiers soient mal évalués, non identifiés et sous évalués. Par le passé, un taux de 100 points de base était peu susceptible de faire bouger les choses de façon importante dans le cadre d’une analyse, mais la situation n’est pas la même lorsqu’il s’agit de 500 à 800 points de base. 
 

3) Garanties de la société mère et garanties d’exécution


Ces garanties sont parfois négligées par les services de fiscalité ou ne sont connues que des fonctions de trésorerie de nos clients. À l’époque où les taux d’intérêt étaient presque nuls, ces garanties avaient une valeur négligeable. Toutefois, elles pourraient prendre de l’importance dans l’avenir.
 

4) Profits et pertes de change : opérations, conversions et considérations économiques


À l’échelle mondiale, les taux de change fluctuent généralement en parallèle avec les taux d’intérêt. Les pays où les taux d’intérêt sont en hausse attirent des capitaux et voient leurs devises nationales s’apprécier, à condition que n’ait lieu aucune intervention de stérilisation. Il s’agit d’un principe économique bien connu appelé la théorie de la parité des taux d’intérêt. Les fluctuations des taux de change de nature importante entraînent des profits et des pertes. Dans les modèles opérationnels, à qui reviennent ces profits et ces pertes? Les fabricants sous contrat ou les distributeurs à responsabilité limitée qui bénéficient de la valeur accrue d’une opération liée à un compte fournisseur ou à un compte client devraient ils assumer une partie des pertes ou engranger les profits? 
 

5) Modèles de servicisation


Les trésoriers de sociétés, aux prises avec des coûts d’emprunt élevés, sont susceptibles de privilégier de plus en plus les modèles de produit comme service aux termes desquels ils n’empruntent et n’achètent pas d’appareils, de matériel et d’autres biens d’équipement, mais concluent plutôt des contrats de location à court, à moyen ou à long terme dans l’espoir de couvrir les risques si les taux baissent, si les technologies en viennent à remplacer le matériel ou si d’autres facteurs permettent de mieux gérer les besoins en matière d’achat de matériel. Ce type de modèle a vu le jour au cours des périodes précédentes de forte inflation et de taux d’intérêt élevés, comme à la fin des années 1970 et au début des années 1980, lorsque les fabricants de moteurs d’avions ont commencé à offrir une « facturation à l’heure de vol » aux compagnies aériennes plutôt que de leur demander de financer d’emblée le prix d’achat de moteurs coûteux.
 

6) Évaluation des immobilisations incorporelles, décisions en matière de financement de projets et coûts de portage des investissements


Une composante centrale de tout taux d’actualisation est le taux sans risque. Il est généralement indexé sur le taux des obligations du Trésor américain à 10 ou à 20 ans. La hausse des taux d’intérêt à long terme et le retour à des courbes normales de rendement croissant peuvent simultanément avoir pour effet de réduire le coût de retrait lié aux immobilisations incorporelles, la valeur des investissements futurs et la valeur des actifs au bilan. Par conséquent, cela pourrait avoir des effets généralisés sur les modèles opérationnels.
 

7) Faible concentration d’actifs


La notion de la « faible concentration des actifs » est complémentaire au concept de servicisation, dans le cadre duquel les entreprises préfèrent délaisser les activités capitalistiques en raison de la hausse des coûts du service de la dette. Par le passé, cette tendance s’expliquait par le désir des entreprises de miser sur leurs compétences fondamentales (par exemple, la conception) et de transférer les activités connexes sur le marché libre en lançant des appels d’offres concurrentes. En l’occurrence, ces modèles de faible concentration d’actifs devraient gagner en popularité dans un contexte de hausse des taux d’intérêt.
 

8) Hausse des investissements directs étrangers


Il est généralement accepté que l’appréciation à moyen terme des devises, attribuable à la hausse des taux d’intérêt, entraîne une réduction des exportations, mais une augmentation des investissements directs étrangers (IDE). La baisse des exportations est facile à expliquer, car les biens du pays deviennent plus chers pour les acheteurs étrangers dès que les anciennes commandes ont été remplies. L’augmentation des IDE tient au fait que les investisseurs étrangers perçoivent le marché des devises haussier comme une bonne réserve de valeur en attendant le moment de vendre l’investissement et de le reconvertir dans leur monnaie nationale. Ainsi, une transition plus que progressive vers des taux d’intérêt élevés aux États‑Unis et une appréciation connexe du dollar américain pourraient donner lieu à plus d’IDE aux États‑Unis par des multinationales étrangères.

Résumé

La hausse de l’inflation et des taux d’intérêt a des répercussions importantes sur les entreprises, notamment en ce qui concerne les prix de transfert et les modèles opérationnels. Les entreprises doivent étudier attentivement ces répercussions pour bien s’adapter, de manière stratégique, à l’évolution du contexte économique.


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