Cassie Boggs : J’ai constaté qu’on ne connaît pas toujours ses points forts. C’est particulièrement vrai pour les femmes, mais c’est aussi vrai pour tous. Il se peut que votre patron au travail ou vos collègues vous proposent de faire ceci, d’essayer cela et ça peut sembler en dehors de votre domaine d’expertise. Vous devez croire ces gens. Ils voient votre potentiel : vous devez les croire et saisir l’occasion.
Theresa Sapara : Bienvenue à cet épisode de Femmes leaders dans le secteur minier. Je m’appelle Theresa Sapara. Je fais partie du Centre d’excellence du secteur des mines et métaux d’EY.
C’est un privilège d’accueillir Cassie Boggs, la présidente de Hecla Mining Company. Cassie compte plus de 35 ans d’expérience en tant qu’avocate en exploitation minière et en ressources naturelles. Je suis heureuse de vous recevoir, Cassie.
Cassie Boggs : Merci, Theresa. Je suis ravie d’être ici.
Theresa Sapara : Bien! Allons‑y. Je m’intéresse toujours aux débuts des gens, surtout à votre parcours et ce qui vous a attirée dans le secteur. Pourriez‑vous nous en dire plus?
Cassie Boggs : Bien sûr! J’ai grandi au Colorado. Je suis Coloradienne de cinquième génération. Le Colorado a une vaste et riche histoire minière. J’ai grandi en visitant les montagnes étant enfant et en voyant de vieilles villes minières emblématiques comme Cripple Creek, Georgetown et Silver Plume. Ça a toujours fait partie de mon histoire.
J’avais prévu devenir avocate. J’ai un baccalauréat en économie et, avant d’étudier le droit, un professeur d’économie m’a proposé d’aller à l’Université de l’État du Michigan, car elle offrait un programme sur l’économie des ressources naturelles et un programme en développement des ressources. J’y suis donc allée et ça a vraiment changé ma façon d’envisager ma carrière juridique, car j’ai commencé par penser devenir une avocate d’affaires axée sur les activités nationales pour revenir et me joindre à un cabinet d’avocats comprenant une division minière d’envergure. Ça me semblait si naturel à l’époque qu’il me semblait que j’aurais une belle carrière.
Theresa Sapara : Très intéressant. Au fil de votre carrière, vous avez probablement dû faire face à des obstacles et des écueils. Quels sont les principaux enseignements qui ont permis de façonner votre parcours jusqu’ici?
Cassie Boggs : Lorsque j’ai commencé à pratiquer au début des années 1980 dans le secteur minier de l’époque, le prix de l’or a grimpé soudainement à 800 $, ce qui semblait astronomique. Il a ensuite chuté quand j’étais à Denver dans les années 1980. Le secteur minier et le secteur du pétrole et du gaz étaient tous deux au ralenti à l’époque au Colorado.
J’ai fait beaucoup de choses. Je me suis occupée de beaucoup de faillites dans ma jeunesse dans le secteur des ressources naturelles. Ça permet d’acquérir de précieuses compétences. Aux jeunes avocats qui souhaitent devenir tel type d’avocat ou un avocat du renouvelable, je dis : « Vous devez acquérir un large éventail de compétences, car une carrière de plus de 40 ans exige de la souplesse et l’apprentissage de nouvelles choses, entre autres. »
Une occasion s’est présentée, j’ai quitté Denver, je suis devenue associée dans mon cabinet, je pensais rester là. J’avais pour objectif de demeurer à Denver toute ma vie. J’adore le Colorado et j’avais l’occasion d’entrer chez Baker McKenzie, une grande société internationale. À l’époque, j’ai pensé que je devrais aller à l’étranger, car il semblait que ce ne serait pas demain la veille quand on ouvrirait une mine aux États‑Unis.
Les gens n’aimaient pas vraiment les mines, mais ça bougeait beaucoup à l’étranger. J’ai eu l’occasion d’aller d’abord au Kazakhstan, puis j’ai eu la chance d’aller en Indonésie. Je suis restée en Indonésie pendant cinq ans et ça a changé ma façon d’envisager ma carrière. En matière d’enseignements, je dis aux gens d’être ouverts aux découvertes. Les gens qui planifient leur carrière, n’envisagent rien d’autre et ont tracé leur voie finissent par avoir une carrière qui est loin d’être aussi intéressante que les gens ouverts aux découvertes. Des gens m’ont dit : « J’aimerais faire ce que tu as fait, vivre à l’étranger et travailler à différents endroits. Mais je ne peux pas le faire maintenant, vraiment pas. » Ce que je dis aux gens, c’est que les occasions arrivent quand elles arrivent. Elles n’arrivent pas toujours quand vous le voulez ou au bon moment. Vous ne pouvez pas toutes les saisir, mais parfois vous devez dire : « Ce n’est pas l’idéal, mais je vais le faire. » Ça m’a permis d’avoir une carrière enrichissante que je n’aurais jamais pu imaginer lorsque j’ai terminé mes études de droit. Je dis aux gens : « Parfois, il faut y aller. »
Theresa Sapara : C’est donc une question d’adaptation. Saisir les occasions qui se présentent à nous.
Cassie Boggs : Oui.
Theresa Sapara : Et faire preuve d’un peu de courage également.
Cassie Boggs : Absolument. Vous savez, quand je suis passée d’un cabinet privé à travailler chez Barrick dans un poste d’affaires, j’ai constaté qu’on ne connaît pas toujours ses points forts.
C’est particulièrement vrai pour les femmes, mais c’est aussi vrai pour tous. Il se peut que votre patron au travail ou vos collègues vous proposent de faire ceci, d’essayer cela et ça peut sembler en dehors de votre domaine d’expertise. Vous devez croire ces gens.
C’est une chose d’entendre votre mère et votre père vous dire que vous êtes extraordinaire, que vous pouvez tout faire. C’en est une autre quand vos pairs et vos patrons disent « Cassie, Theresa, tu devrais essayer XYZ. » Ces gens voient quelque chose en vous que vous ne pouvez voir. Vous pouvez penser que vous n’êtes pas prêt(e). Vous voyez, je n’ai pas de MBA, je n’ai pas ci, je n’ai pas ça. Ils voient votre potentiel : vous devez les croire et saisir l’occasion.
Theresa Sapara : Certainement. C’est intéressant : vous avez probablement eu des mentors qui vous ont aidée à vous dépasser en vous sortant de votre zone de confort.
Avez‑vous eu des mentors qui vous ont influencée? Dans votre style de leadership ou vos compétences techniques?
Cassie Boggs : Oui. C’est intéressant, quand j’étais jeune avocate, particulièrement dans le secteur des ressources naturelles et des mines, il y avait peu de femmes dont on pouvait imiter le style. Je dis souvent qu’il m’a fallu du temps pour trouver ma voix, mon style, étant donné que mes collègues masculins avaient un style complètement différent.
Parmi eux, certains étaient des punisseurs difficiles à contenter, des intimidateurs, disons. C’est un style qui ne me convenait pas vraiment. Je pense d’abord à certaines femmes que j’ai vues dans des postes de leadership. Au collège, j’avais une professeure, Doris Drury, la première femme à être la présidente de la Banque de réserve fédérale de Kansas City, qui était professeure d’économie à l’Université de Denver. Je me souviens d’avoir pensé qu’elle était la première femme que j’avais vue qui était une si grande experte dans son domaine et qui occupait un poste de direction si élevé. C’était une femme très sérieuse. Mais j’ai su que je pourrais y parvenir.
Je me souviens quand Ruth Bader Ginsburg a été nommée à la Cour suprême au début des années 1990. Elle fait à peu près ma taille. Elle mesure moins de cinq pieds, une toute petite femme. Elle différait de bien des femmes professionnelles de l’époque. Elle était brillante, mais calme et éloquente, et réfléchie dans sa manière de traiter les dossiers et d’argumenter devant la Cour suprême.
C’était une icône exceptionnelle prouvant qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une forte personnalité. Il n’était pas nécessaire de crier ou de hurler, ni de taper du poing, mais que l’on pouvait être ferme et réussir.
Theresa Sapara : Très inspirant! Il faut toute sorte de monde. Concernant les personnes qui viennent travailler dans le secteur aujourd’hui et la diversité, pendant vos quatre décennies d’expérience, comment cette nouvelle approche a‑t‑elle changé le secteur?
Cassie Boggs : Évidemment, nous voyons plus de femmes dans le secteur et c’est formidable, car souvent les femmes n’abordent pas les problèmes de la même façon. Elles sont tout aussi compétentes dans les disciplines en demande, mais elles savent réfléchir. Au fil de l’évolution du secteur minier, il s’agit de moins en moins d’une exploitation dépendant entièrement du prix des marchandises, des compétences opérationnelles, etc.
Aujourd’hui, nous comprenons l’importance d’avoir des compétences sociales et d’avoir un ensemble de parties prenantes qui adhèrent à ce que vous faites. Elles doivent en récolter les fruits. Donc, les aptitudes en communication, l’empathie et les compétences générales qui n’étaient auparavant pas reconnues sont aujourd’hui probablement les plus importants éléments d’une exploitation minière prospère, car si la collectivité et les gens touchés par votre exploitation minière n’adhèrent pas à votre vision, honnêtement, ils peuvent la faire fermer beaucoup plus rapidement que n’importe quel gouvernement.
Theresa Sapara : En effet. Relativement aux nouvelles possibilités qui se présentent, puisque l’on a besoin de talents et de compétences diversifiés, il faut sans doute rivaliser avec plusieurs secteurs en ce qui a trait aux talents. Comment les choses se présentent‑elles de votre point de vue et comment créer des possibilités dans le secteur? Que fait Hecla en ce sens?
Cassie Boggs : Je crois que le plus grand défi du secteur minier est d’attirer la prochaine génération. Pour ce faire, nous devons lui prouver que nous différons des sociétés minières que nos grands‑parents et nos parents ont connues, et que nous avons changé. Bien des jeunes ne le savent pas. Selon eux, le secteur n’est pas cool.
Vous leur demandez s’ils ont pensé au secteur minier, et ils déguerpissent. Les enfants de certains de mes amis ont un vif intérêt pour le développement durable et les changements climatiques. Je leur demande s’ils ont pensé au secteur minier. Ils me répondent : « Tu nous niaises? Non! » Je réplique : « Comment pensez‑vous avoir de l’énergie solaire sans minerai d’argent?
Comment allez‑vous fabriquer des autos électriques sans tous les minéraux nécessaires aux batteries électriques? » Il faut aider les jeunes à se faire une idée d’ensemble. Et pas que les jeunes, mais une foule de gens. Il faut les aider à comprendre que si la transition énergétique nous importe, nous avons besoin de toutes les énergies. On ne peut pas choisir entre le pétrole, le gaz et les énergies renouvelables. Ils sont tous essentiels. Si les jeunes s’intéressent beaucoup aux énergies renouvelables et aux changements climatiques, il faut les aider à comprendre la situation et leur montrer que notre secteur est sur le front du développement durable.
J’aiguille les jeunes vers les sites Web des grandes sociétés minières, voire de toutes les sociétés minières, et leurs rapports sur le développement durable où elles décrivent ce qu’elles font. Les gens s’étonnent alors de la diversité des compétences. Ils ne sont pas forcément des ingénieurs miniers ou des géologues.
Nous avons besoin de chimistes. D’informaticiens. De spécialistes en robotique. De spécialistes en développement communautaire. De psychologues. De tout un ensemble de compétences que les gens n’associent pas nécessairement au secteur. Quand on les aide à comprendre pourquoi le secteur est si important pour leur avenir, ils commencent à le voir comme une solution. Chez Hecla, nous voyons beaucoup de sociétés minières visiter des universités minières, dont Queen’s ou la Colorado School of Mines. Je crois qu’il faut se tourner vers l’Université du Kansas et les universités spécialisées dans d’autres domaines. Elles forment la prochaine génération de jeunes dotés de compétences de toutes sortes. Ce sont ceux que nous devons éveiller à cette possibilité. Le monde n’est pas fait que de fabricants automobiles, de centrales, etc. Notre secteur a besoin de leurs compétences.
Theresa Sapara : C’est un secteur qui touche tout ce que vous avez mentionné.
Cassie Boggs : Oui.
Theresa Sapara : Informer est essentiel et, en effet, les possibilités sont réelles. Il faut simplement que les jeunes comprennent que ces possibilités existent.
Cassie Boggs : Oui. Il faut que les jeunes voient des dirigeants issus de la diversité. Il faut que les jeunes femmes voient des femmes comme moi qui ont réussi à obtenir un poste de cadre ou de direction. C’est important.
Si les gens que vous voyez ne vous ressemblent pas et n’agissent pas comme vous, vous ne voudrez pas investir vos énergies à développer votre carrière à cet endroit.
Theresa Sapara : Une autre chose que je tenais à aborder est que nous savons que les gens sont la pierre d’assise du secteur. En tant que présidente, quels sont les points essentiels que nous devons comprendre en matière de talents et quel rôle la présidente joue‑t‑elle dans le processus? Je sais que vous avez beaucoup d’autres responsabilités, mais ça m’intéresse.
Cassie Boggs : Il faut notamment encourager les gens à briguer des postes offrant une certaine souplesse dans la sélection de candidats. Il ne s’agit pas toujours de postes d’ingénieur minier. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir une formation technique. Il existe d’autres domaines et secteurs dont nous pouvons apprendre.
J’encourage les recherches élargies. Certains membres de notre conseil d’administration sont doués pour rappeler que nous avons tous des biais, qu’il n’est pas nécessaire de respecter des quotas, entre autres, et que les gens tendent naturellement à choisir des gens qui leur ressemblent. Au cours d’une entrevue avec des ingénieurs miniers, un homme et une femme aux qualifications équivalentes, il est très courant de penser que l’homme s’intégrera mieux à l’équipe en raison de biais conscients et inconscients.
Il faut donc rappeler à tous qu’il existe des gens susceptibles d’apporter un ensemble de compétences diversifiées autres que techniques et un œil nouveau sur les problèmes.
Theresa Sapara : J’adore cette approche, car vous avez pensé au processus de recrutement et veillé à ce que les processus et les mécanismes évoluent pour contrer aussi les biais inconscients.
Cassie Boggs : Exactement. Je pense aussi que nous devons élargir les bassins. J’encourage les gens d’Hecla à penser aux vétérans. Les vétérans sont une source idéale de possibilités pour les sociétés minières, car les anciens militaires ont toutes les compétences requises dans les mines. Ils savent comment travailler dans des conditions difficiles. Ils comprennent les chaînes de commandement, les chaînes d’approvisionnement et le travail en région éloignée. Nous devons trouver de meilleurs moyens d’encourager ces travailleurs à penser au secteur minier et à mettre à profit leurs compétences dans le secteur minier.
Theresa Sapara : C’est tout à fait logique, Cassie.
Cassie Boggs : Oui.
Theresa Sapara : Je pense aux gens qui sont déjà dans le secteur et qui pourraient devenir les pionniers de demain, ou encore changer les choses dans le secteur.
Quel conseil donneriez‑vous aux professionnels? Comment peuvent‑ils changer les choses et laisser leur empreinte?
Cassie Boggs : Si je pouvais changer une chose dans ma carrière, j’aurais passé plus de temps à devenir une meilleure conférencière et une meilleure communicatrice, car, en fin de compte, il est facile de croire que l’on doit être la personne la plus intelligente de la salle.
Theresa Sapara : En effet.
Cassie Boggs : Ce n’est pas vrai. Il faut être suffisamment intelligent et savoir bien communiquer, peu importe que vous soyez une avocate plaidant devant la Cour suprême, une personne d’affaires devant votre conseil d’administration ou un chercheur demandant une subvention et devant livrer un discours de cinq minutes pour obtenir du financement.
Il s’agit de parler de manière convaincante et efficace afin de persuader les gens du bien‑fondé de vos propos. Certainement, dans ma jeunesse, je ne pensais qu’à l’expertise. Mais quand je pense aux personnes que je pensais devoir absolument écouter et suivre, je constate qu’elles n’étaient souvent pas les plus intelligentes de la salle.
Elles étaient les plus douées en communication. Quand j’étais jeune, je croyais que c’était une compétence naturelle que vous aviez ou n’aviez pas. C’est plus tard que j’ai compris que c’était une question de pratique, de consacrer du temps à tel ou tel aspect, et pas que de donner la bonne réponse et de comprendre la réponse, mais aussi de communiquer et transmettre le message.
Theresa Sapara : C’est un excellent conseil, car il s’agit de la manière de raconter l’histoire et de réunir des talents autour de soi. C’est très utile et inspirant.
Cassie Boggs : Oui. Dans le secteur minier en particulier, où les chantiers miniers deviennent de plus en plus grands, coûteux et risqués, les sociétés minières sont appelées à coopérer.
Ce n’est pas un point fort du secteur minier. Les grandes pétrolières le font depuis des années. Quand les grandes pétrolières s’associent pour un projet de plusieurs milliards de dollars, trois sociétés (souvent des concurrentes) collaborent pour le mettre sur pied. Je crois que c’est ce que nous commencerons à voir dans le secteur minier.
C’est là qu’une vraie possibilité s’offre aux femmes, car elles sont par nature plus collaboratives. Ça me semble une réelle occasion de valoriser les compétences des femmes dans la prise de décisions et ce genre de choses.
Theresa Sapara : Fantastique! Vous avez raison. En y pensant bien, c’est un atout dans les sociétés minières, un atout que nous partageons dans le secteur, même si nous ne le voyons pas aujourd’hui.
Cassie Boggs : En effet. Ça revient à l’évolution vers une combinaison de compétences générales et techniques pour réussir, et une main‑d’œuvre plus diversifiée dans le secteur minier.
Theresa Sapara : Formidable. Cassie, ce fut un plaisir de parler avec vous aujourd’hui, de bénéficier de votre sagesse et de votre expérience. Merci beaucoup!
Cassie Boggs : Merci. C’était très plaisant.