Pour ce qui est de la réduction des émissions de carbone– –sujet qui retient l’attention de tout le monde dès qu’il est question des facteurs ESG –, il y a des limites à ce qu’une entreprise peut faire. Une grande partie des émissions de Kinross découlent de sa consommation d’électricité ou de l’exploitation de son parc de machineries lourdes. L’entreprise fait donc ce qu’elle peut, là où elle peut. Kinross s’efforce toujours de repérer des possibilités de réduction de ses émissions de carbone, dès qu’elle le peut et que des considérations commerciales valables le justifient.
Nous venons de terminer la construction, en Mauritanie, d’une centrale solaire d’une capacité de 34 mégawatts. C’est dans le désert du Sahara, l’emplacement parfait. L’acquisition d’une capacité de production d’énergie propre de 34 mégawatts équivaut à retirer une demi‑tonne de carbone de l’atmosphère. Ce sont de grands concepts, mais qu’en est‑il vraiment? C’est comme retirer chaque année 10 000 véhicules légers de la circulation. C’est une énorme quantité de carbone dont on peut ainsi éviter l’émission. Toutes les conventions d’achat d’électricité que nous venons de conclure au Chili font appel à des sources d’approvisionnement en énergie entièrement renouvelable.
Il y a quelques années, de toutes nos installations, celles que nous exploitons à Paracatu, au Brésil, étaient les plus énergivores. Ce sont des installations gigantesques. Nous avons pris la décision stratégique d’acquérir des centrales hydroélectriques, car ce sont des sources d’hydroélectricité renouvelable qui assurent désormais l’alimentation en électricité de nos installations au Brésil. C’est le genre de mesures que nous prenons pour nous rapprocher ainsi de nos cibles de décarbonation d’ici la fin de la décennie, qui profitent tant à l’environnement qu’à l’entreprise.
Pouvez‑vous nous parler des enjeux de main‑d’œuvre avec lesquels doit composer votre entreprise, dans le contexte où elle exploite des installations dans tant de pays, la conjoncture socioéconomique différant énormément de l’un à l’autre?
Là encore, on en revient à la culture. Nous avons des installations en Mauritanie, un pays musulman de l’Afrique francophone. Nous en avons aussi au Brésil, où l’on parle portugais. Au Chili, c’est l’espagnol, tandis qu’au Nevada et en Alaska, il faut parler l’anglais. Pour une entreprise qui doit composer avec autant d’univers culturels, il est important que tout le monde puisse se rassembler autour de valeurs communes.
En quelque sorte, nous formons une famille. C’est ce qui nous permet de recourir à des mutations de personnel aux quatre coins du monde, à bon escient. Nous procédons à des rotations d’employés. C’est ainsi que certains de nos employés africains sont en poste au Brésil, que certains de nos travailleurs brésiliens sont amenés à travailler aux États‑Unis. Le sentiment d’appartenance à une grande famille s’en trouve renforcé, en échangeant des expériences pour faciliter les apprentissages. Ces expériences leur permettent d’apprendre et de progresser.
Comment envisagez‑vous l’évolution de Kinross Gold sur un horizon de cinq à dix ans?
J’estime que l’entreprise se trouve maintenant dans une assez bonne situation. Elle produit quelque deux millions d’onces d’or par année. Nous savons assez bien à quoi nous en tenir quant à notre capacité de production d’ici la fin de la décennie. Nos installations se trouvent dans une situation intéressante.
Nous exploitons trois actifs de premier ordre, des mines de grande envergure au Brésil et en Mauritanie, desquelles un million d’onces d’or sont extraites chaque année. Avec les installations du Chili, elles représentent les deux tiers de notre capacité de production. Aux États‑Unis, les installations au Nevada et en Alaska sont de premier ordre, mais sont parvenues à un plus haut degré de maturité. Au Canada, nous sommes très fiers de notre actif de premier ordre que représente Great Bear.
Ainsi, au cours des dix prochaines années, il faudra donc veiller à optimiser ces actifs, à accroître les marges et à prolonger la durée de vie de nos gisements miniers aux États‑Unis.
Parlons maintenant de certaines de vos activités personnelles. Vous êtes un modèle sur le plan des relations avec les Premières Nations. Pourquoi cela importe‑t‑il?
Il est primordial d’adopter un esprit de concertation, d’établir des relations avec les leaders des collectivités où nous sommes présents. Après avoir conclu une entente avec nos partenaires des Premières Nations, nous avons célébré cette réalisation par une partie de pêche. Côtoyer des partenaires de pêche au brochet dans une barque pendant quatre ou cinq heures, c’est une excellente façon de démontrer que nous avons les priorités à la bonne place et que nous comprenons l’importance de bien faire les choses.
Notre projet de Red Lake m’emballe beaucoup. Comme il faut y consacrer beaucoup de temps pour les demandes d’autorisation et les travaux de développement et de construction, j’espère qu’il fera figure de modèle pour les mines écologiques de l’avenir, non seulement sur le plan des technologies et de la réduction des émissions de carbone, mais aussi sur celui des investissements durables.
Je suis très fier de notre bilan à cet égard. C’est notamment ma passion du plein air qui m’a amené à travailler dans le secteur minier. Aux États‑Unis, j’ai beaucoup travaillé avec Trout Unlimited, un organisme avec lequel nous collaborons dans la réalisation de projets portant notamment sur la restauration de sites miniers abandonnés. Dans certains coins des États‑Unis, quiconque entreprenait de restaurer un ancien site minier abandonné depuis aussi longtemps que les années 1880 en héritait de la responsabilité. C’est pourquoi les sociétés minières étaient réticentes à participer à la restauration de tels sites. Aux côtés de Trout Unlimited, j’ai fait du lobbyisme, et nous avons réussi à faire modifier la loi du bon samaritain, ou du bon oncle Sam, de façon à permettre d’intervenir sans pour autant hériter de la responsabilité à l’égard de dommages environnementaux causés il y a un siècle.
L’une de nos transactions historiques compte parmi mes réalisations personnelles notoires. Nous avons hérité du site Mineral Hill, à côté de Yellowstone. Nous avons des photos de mineurs qui remontent aux années 1880, dont le paysage en arrière‑plan montre dans quel état il se trouvait à l’époque. Nous avons complètement réaménagé le site, nous l’avons reverdi. Les travaux de restauration accomplis depuis le début du projet sont remarquables. Nous avions fait l’acquisition des droits de servitude en eau pour le site et avons collaboré avec Trout Unlimited pour donner à l’organisme des droits d’accès à des millions de litres d’eau. Nous avons créé un corridor de 450 acres pour la migration des cerfs, un magnifique exemple de ce qui peut être fait pour l’environnement.
Nous sommes fiers de ces réalisations, qui nous permettent de faire connaître à la population des nouvelles régions où nous menons nos activités notre façon de faire et nos réussites.
Chez EY, c’est ce que nous qualifions de bilan net positif; c’est un exemple de situations où il ne s’agit pas seulement de réaménager un site, mais également de produire de la valeur ajoutée pour la société. Dans le secteur minier, il est toujours question de créer de la valeur pour les actionnaires. Comme vous avez déjà travaillé dans le secteur bancaire, vous connaissez l’importance que les marchés financiers accordent à la création de valeur. En matière de création de valeur, quels conseils donneriez‑vous à d’autres chefs de la direction?
Cela revient à ce que je disais à propos de notre culture organisationnelle et de nos valeurs. C’est une dimension qui figure davantage au centre des préoccupations, surtout pour les jeunes qui envisagent de travailler dans le secteur minier. Dans les barbecues ou les cocktails, nous voulons pouvoir nous présenter en tant que fiers travailleurs du secteur minier.
Nous souhaitons pouvoir expliquer que notre entreprise mène des activités dans des régions éloignées, en affichant un bilan net positif en matière d’éducation, de soins de santé et de soutien aux collectivités. Un tel état d’esprit fait partie des conditions de la réussite. Une entreprise qui prend soin de ses employés veille à assurer leur sécurité et à générer des retombées positives dans les collectivités, et à faire en sorte que l’exploitation minière se porte bien et que les actionnaires y trouvent leur compte.
Les perspectives qui s’offrent à nous à Red Lake, avec l’acquisition de Great Bear, m’emballent beaucoup. Nous allons exploiter cette mine pendant des décennies, ce qui nous rappelle à quel point le Canada reste un territoire inexploré. Le potentiel est énorme, et nous sommes donc extrêmement emballés d’être de retour chez nous et dans notre province, ravis des résultats que nous obtenons. Le Canada en tirera parti, et nous espérons que d’autres suivront notre exemple.
Comment voyez‑vous l’évolution du cours de l’or et l’effet d’emballement autour des minéraux pour la fabrication des batteries, du cuivre et du fer, par exemple, vu la grande instabilité de ces cours au fil des ans?
Le cours actuel de l’or nous permet d’afficher une excellente performance en termes de marges, de flux de trésorerie et de bilan. Grâce au cours actuel de l’or, Kinross se trouve dans une assez bonne situation. Cela étant dit, j’estime que le prix de l’or devrait être plus élevé. L’or est un actif durable.
Bien des pays ont déjà connu d’importantes dévaluations de leur devise, notamment sous l’effet de l’inflation et de facteurs souvent imprévisibles. Depuis 2 000 ans, la constitution de réserves d’or comme mesure de diversification ou instrument de couverture en contexte d’inflation n’a jamais été contre‑indiquée. Vu la situation actuelle, je suis un peu surpris que le cours de l’or ne soit pas plus élevé.
Cela tient en partie au fait que les taux d’intérêt continuent d’augmenter aux États‑Unis. Ces hausses finiront par arrêter, et une relance est possible. Le revers de la médaille, c’est qu’il y a un risque de surproduction, ce qui se traduit généralement par une baisse des prix. La surproduction des minières a fait grimper le dollar américain. Nous finirons par voir un retour du balancier, et un moment viendra où les cours de l’or repartiront à la hausse. Il n’est pas de mon ressort de fixer le cours de l’or. Si je le pouvais, je vivrais sur une île tropicale et j’y ferais tourner ma propre planche à billets. J’ai toutefois un parti pris pour la hausse du cours de l’or.