Yiyun Chen et Winnie Szeto, Toronto
Dans cette affaire récente, la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») a confirmé qu’un locataire était tenu de retenir l’impôt de la partie XIII sur les loyers versés même s’il ne savait pas que la propriétaire était une personne non‑résidente.
La défense de diligence raisonnable du contribuable n’a pas été retenue, et la CCI a statué que la contribuable devait payer l’impôt de la partie XIII ayant fait l’objet d’une cotisation, en plus des intérêts et pénalités applicables.
Fonctionnement de l’impôt de la partie XIII
De façon générale, les personnes non‑résidentes qui gagnent au Canada un revenu de biens – comme des loyers, des redevances, des dividendes et des intérêts – qui n’est pas attribuable à une entreprise exploitée par l’entremise d’un établissement stable au Canada ne sont pas assujetties à l’impôt de la partie I en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Elles peuvent toutefois être assujetties à l’impôt de la partie XIII à l’égard d’un tel revenu, impôt qui est prélevé au moyen d’une retenue de 25 %. Ce taux peut être réduit en vertu d’une convention fiscale entre le Canada et le pays de résidence du non‑résident.
Pour garantir que l’impôt de la partie XIII est bien prélevé, il incombe aux payeurs de retenir et de remettre le montant d’impôt approprié au moment d’effectuer des paiements visés à la partie XIII. Par exemple, dans le cas d’un loyer payé à un non‑résident ou porté à son crédit, le payeur, qui pourrait être le gestionnaire du bien ou le locataire, doit habituellement retenir à la source l’impôt de la partie XIII au taux de 25 % du loyer brut.
Le payeur doit aussi déclarer le loyer brut et l’impôt retenu sur le formulaire NR4, État des sommes payées ou créditées à des non-résidents du Canada. Si le payeur omet de retenir l’impôt de la partie XIII et de le remettre à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), il demeure tenu de verser l’impôt dû et peut recouvrer cette somme en faisant des retenues sur tout autre montant qu’il doit payer à la personne non‑résidente.
Faits
En 1996, M. X, un actionnaire de Xco (la « contribuable »), avait loué un logement appartenant à Aco au Québec. En 2006, le logement avait été vendu à Mme A, une actionnaire d’Aco. En 2010, M. X avait conclu un nouveau bail à l’égard du logement, sur lequel Mme A figurait à titre de bailleresse. De juillet 2011 à janvier 2016, Xco avait payé le loyer à Mme A pour le compte de M. X et aucun impôt de la partie XIII n’avait été retenu sur ces paiements.
En 2018, l’ARC a établi une cotisation à l’égard de Xco en vertu des paragraphes 215(1) et (6) de la LIR, invoquant le défaut de retenir et de remettre l’impôt de la partie XIII sur le revenu de location gagné par Mme A pour les années d’imposition 2011 à 2016. Des intérêts et des pénalités étaient également imposés. L’ARC avait établi cette cotisation au motif que Mme A était une personne non‑résidente pour ces années.
En désaccord, la contribuable a interjeté appel de la cotisation devant la CCI.
Analyse et décision de la CCI
Dans cet appel, la CCI devait déterminer si Xco avait payé le loyer à une personne non‑résidente, de sorte que la contribuable serait tenue responsable d’avoir omis de retenir et de remettre l’impôt de la partie XIII sur le revenu de location. Pour ce faire, elle devait trancher les trois questions sous‑jacentes suivantes :
- Mme A était‑elle une personne non‑résidente durant les années d’imposition visées?
- Xco était‑elle tenue de verser l’impôt de la partie XIII si M. X ne savait pas que Mme A était une personne non‑résidente?
- Xco pouvait‑elle se prévaloir d’une défense de diligence raisonnable dans les circonstances?
Détermination du statut de résidence
À l’audience, M. X a déclaré qu’il n’avait jamais été informé du fait que Mme A vivait à l’extérieur du Canada et a présenté des éléments de preuve à l’appui de sa résidence au Canada, comme l’adresse au Canada figurant sur l’acte de vente du logement en 2006 et sur le bail en 2010, même si le bail montrait que Mme A l’avait signé en Italie. Mme A avait également un numéro d’assurance sociale (« NAS ») et un compte bancaire canadien, et des membres de sa famille résidaient au Canada.
L’ARC a toutefois contesté la fiabilité des adresses canadiennes à titre d’éléments de preuve montrant que Mme A vivait au Canada et n’a trouvé aucune adresse liant Mme A au Canada autre que celle du logement loué à M. X. L’ARC a également découvert que Mme A avait un NAS, mais qu’elle ne produisait aucune déclaration de revenus ou déclaration de renseignements au Canada.
De plus, l’ARC avait communiqué avec Mme A au moyen d’un numéro de téléphone italien, et Mme A elle‑même avait confirmé à l’ARC qu’elle résidait en Italie. Mme A avait par ailleurs demandé le contrôle judiciaire d’une décision de l’ARC rejetant sa demande de prolongation du délai de production en vertu d’une disposition de la LIR qui ne s’appliquait qu’aux personnes non‑résidentes.
La juge n’a pas estimé que les adresses canadiennes de Mme A figurant sur l’acte de vente et sur le bail – des déclarations non solennelles – constituaient une preuve définitive de sa résidence. La juge s’est rangée du côté de l’ARC et a déclaré que les adresses canadiennes n’établissaient pas la résidence.
Après avoir examiné les éléments de preuve soumis par les deux parties, la juge a estimé que les éléments à l’appui de la non‑résidence étaient convaincants, ce qui l’a amenée à conclure que Mme A était une personne non‑résidente durant les années visées.
Exigence de connaissance aux fins de l’impôt de la partie XIII
La contribuable a par la suite fait valoir qu’elle ne devrait être tenue responsable de l’omission de retenir et de remettre l’impôt de la partie XIII que si elle savait que Mme A était une personne non‑résidente; dans le cas contraire, il s’agirait d’une décision injuste et contraire à l’intention du législateur.
Pour appuyer son argument, la contribuable a invoqué la décision Curragh Inc. v. The Queen, 94 DTC 1894, dans laquelle le juge a indiqué que si un payeur canadien effectuait des paiements à un mandataire canadien sans savoir que le bénéficiaire effectif était un non-résident, il serait difficile de comprendre pourquoi le payeur canadien devrait être tenu responsable d’avoir omis de retenir et de remettre l’impôt de la partie XIII en vertu du paragraphe 215(6).
La juge a toutefois déterminé que la décision Curragh n’était pas applicable dans le cas de la contribuable, car les circonstances n’étaient pas les mêmes. Dans Curragh, le paiement était fait à un mandataire canadien du bénéficiaire non‑résident, et le payeur savait que le bénéficiaire était une personne non‑résidente. De plus, le juge dans Curragh n’a pas abordé directement la question de savoir si l’application du paragraphe 215(6) dépendait de la connaissance du payeur.
La CCI a également examiné l’historique de l’article 215 et a déterminé qu’aucune exigence de connaissance n’existait lors de l’adoption initiale, et qu’aucune exigence du genre n’avait été ajoutée depuis. La CCI a fait remarquer que si le législateur avait eu l’intention de limiter la responsabilité du résident aux cas où celui‑ci connaissait le statut de non‑résident ou avait des raisons de croire que le bénéficiaire était une personne non‑résidente, il aurait prévu une exigence expresse, comme il l’a fait au paragraphe 116(5), par exemple. En vertu de cette disposition, un acheteur peut être libéré de l’obligation de remettre l’impôt si, « après enquête sérieuse », il n’avait aucune raison de croire que le vendeur ne résidait pas au Canada.
Défense de diligence raisonnable
La contribuable a également tenté de présenter une défense de diligence raisonnable, une défense reconnue par les tribunaux à l’égard de certaines dispositions prévoyant des pénalités. La juge a cependant rejeté cette défense, invoquant la décision J.K. Read Engineering Ltd. c. La Reine, 2014 CCI 309, et indiquant que le paragraphe 215(6) n’était pas une disposition prévoyant une pénalité, le paragraphe 227(8) jouant plutôt ce rôle.
Même si Xco aurait peut‑être pu se prévaloir d’une défense de diligence raisonnable à l’égard du paragraphe 227(8), la CCI a déterminé que la contribuable n’avait pas fait preuve de toute la diligence possible, n’ayant pris aucune mesure pour assurer la conformité. De plus, l’argument de la contribuable selon lequel elle n’avait aucune raison de croire que Mme A était une personne non‑résidente ne lui a pas permis d’atteindre la norme élevée applicable.
Au bout du compte, la CCI a déterminé que le paragraphe 215(6) était exempt de toute exigence selon laquelle le contribuable doit savoir que le bénéficiaire est une personne non‑résidente. Par conséquent, la CCI a tranché en faveur de l’ARC et a conclu que la contribuable était tenue de verser l’impôt de la partie XIII en vertu du paragraphe 215(6) ainsi que les pénalités et les intérêts en vertu des paragraphes 227(8) et (8.3).
Leçons tirées
L’issue de cette affaire nous montre que le défaut de respecter une obligation de retenue de l’impôt de la partie XIII peut avoir de graves conséquences et que peu de recours sont possibles. Par conséquent, même s’il peut être difficile de déterminer le statut de résidence du bénéficiaire dans certains cas, un payeur devrait toujours faire des vérifications proactives. Par exemple, un payeur ne devrait pas se fier uniquement à des déclarations non solennelles, mais devrait faire ses propres vérifications pour déterminer le statut de résidence du bénéficiaire. Le payeur devrait faire des vérifications plus poussées et chercher à obtenir d’autres documents au moindre indicateur de non‑résidence. S’il est déterminé que le bénéficiaire est une personne non‑résidente, le payeur devrait retenir et remettre le bon montant d’impôt de la partie XIII selon les dispositions relatives à l’impôt sur le revenu et les conventions fiscales pertinentes.
Finalement, l’affaire 3792391 Canada Inc. a été instruite selon la procédure informelle, de sorte que la décision ne lie pas l’ARC ni un tribunal, même en ce qui a trait à une situation factuelle fort semblable. Il n’en reste pas moins que les décisions rendues dans le cadre de la procédure informelle peuvent receler d’intéressants enseignements et influencent souvent d’autres juges.