Jeanne Posey, Vancouver
Dans l’affaire Afshar v. Canada (Attorney General), la Cour fédérale (la « CF ») a statué que la mauvaise compréhension des règles fiscales d’un contribuable ou son ignorance des plafonds applicables aux comptes d’épargne libre d’impôt (« CELI ») ne constituent pas une erreur raisonnable susceptible de donner ouverture à une renonciation à l’impôt de pénalité à l’égard des cotisations excédentaires que ce contribuable a versées dans un CELI.
La CF a également conclu que la décision du fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») de refuser la demande d’allégement de la contribuable était raisonnable et bien fondée en fait et en droit.
Contexte et faits
Dans cette affaire, la contribuable avait présenté une demande de contrôle judiciaire relativement à une décision de la ministre du Revenu national. Dans cette décision, le fonctionnaire de l’ARC avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler l’impôt à payer sur les cotisations excédentaires que la contribuable avait versées à son CELI ainsi que les intérêts et les pénalités pour excédents de cotisation qui lui avaient été imposés, ou pour y renoncer.
La contribuable avait ouvert un CELI en 2010, mais n’y avait pas versé de cotisation avant 2020, si bien qu’elle avait accumulé des droits de cotisation d’un peu plus de 68 000 $ le 1er janvier 2020. Cette année‑là, la contribuable avait décidé de réaliser des investissements à partir de son épargne et de sommes lui ayant été prêtées par des membres de sa famille. Au cours de 2020, la contribuable avait contribué près de 400 000 $ à son CELI et avait effectué des retraits d’environ 300 000 $, ce qui avait donné lieu à un excédent de cotisation approximatif de 29 000 $.
Au début de 2021, de nouveaux droits de cotisation de 6 000 $ s’étaient ajoutés, abaissant l’excédent de cotisation de la contribuable à environ 23 000 $. La contribuable n’avait effectué ni cotisation ni retrait dans son CELI en 2021.
En juillet 2021, l’ARC avait envoyé à la contribuable un avis de cotisation d’un CELI pour l’année d’imposition 2020, l’informant qu’elle avait l’obligation de payer un montant d’impôt de 10 815 $ compte tenu des cotisations excédentaires à son CELI, de même qu’une pénalité pour paiement tardif et des intérêts débiteurs.
Le 12 janvier 2022, soit six mois après l’envoi de l’avis de cotisation, la contribuable a demandé à l’ARC d’annuler l’impôt et les pénalités réclamés à l’égard de ses cotisations excédentaires à un CELI, invoquant qu’elle n’était pas suffisamment renseignée sur les règles relatives aux CELI et qu’elle croyait qu’un CELI fonctionnait comme un compte d’épargne ordinaire.
Le 17 mars 2022, l’ARC a informé la contribuable qu’elle rejetait sa demande d’annulation de l’impôt, des intérêts et des pénalités sur les cotisations excédentaires au CELI. Dans sa lettre, elle soulignait que la ministre avait discrétion pour annuler, en tout ou en partie, l’impôt, les intérêts et les pénalités associés à un excédent de cotisation à un CELI, mais que l’excédent en question devait faire suite à une erreur raisonnable de la part de la contribuable et que cette dernière se devait d’agir sans délai pour retirer l’excédent de cotisation.
Le 26 juillet 2022, l’ARC avait envoyé un autre avis de cotisation concernant, cette fois, l’excédent CELI pour l’année d’imposition 2021, indiquant à la contribuable qu’elle avait maintenant un solde dû de 14 748 $, inclusion faite de l’impôt, des intérêts et des pénalités qui n’avaient pas été acquittés relativement à l’excédent de cotisation de 2020.
Le 17 août 2022, la contribuable avait présenté une demande de révision de la décision initiale, et un second fonctionnaire de l’ARC avait refusé l’allégement le 2 février 2023. C’est cette seconde décision qui faisait l’objet de la demande de contrôle judiciaire présentée par la contribuable.
Analyse et décision de la CCI
La question en litige était de savoir si la décision du fonctionnaire de l’ARC de refuser l’allégement demandé par la contribuable était raisonnable.
En vertu de l’article 207.02 de la Loi de l’impôt sur le revenu(la « LIR »), le particulier qui a un excédent CELI au cours d’un mois civil est tenu de payer pour le mois un impôt égal à 1 % du montant le plus élevé de cet excédent pour le mois.
Par exemple, les droits de cotisation à un CELI pour 2023 s’établissaient à 6 500 $. Si, le 15 janvier 2023, un contribuable qui n’avait aucun droit de cotisation inutilisé d’années antérieures a versé une cotisation de 5 000 $ à son CELI, pour ensuite y verser une autre cotisation de 2 500 $ le 10 avril 2023, il aura un excédent CELI de 1 000 $ et sera tenu de payer de l’impôt. Le contribuable devra aussi produire une déclaration CELI spéciale au plus tard le 30 juin de l’année suivante. Si la déclaration n’est pas produite à temps et que l’impôt est payé après cette date, des pénalités pour paiement tardif et des intérêts s’appliqueront également.
Le paragraphe 207.06(1) de la LIR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler, en tout ou en partie, l’obligation du contribuable, ou d’y renoncer, si le contribuable convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable et que le contribuable effectue sans délai une ou plusieurs distributions afin de retirer l’excédent CELI de son compte.
La contribuable avançait qu’elle n’avait pas été mise au courant du problème par une lettre d’information et qu’elle n’avait reçu aucune lettre d’avertissement de la part de l’ARC au sujet de l’excédent CELI et de l’impôt qui pourrait s’appliquer. Elle prétendait, par ailleurs, que les parenthèses utilisées dans le passage de la lettre mentionnant que ses droits de cotisation étaient de (22 990 $) portaient à confusion et qu’elle avait compris qu’elle avait des droits de cotisation inutilisés de 22 990 $ plutôt qu’un solde négatif indiquant qu’elle avait un excédent CELI.
Or, la CF a relevé que l’avis de cotisation de juillet 2021 expliquait que les parenthèses indiquaient un solde négatif – ce qui signifiait qu’il y avait un excédent CELI – et que la lettre initiale de l’ARC précisait que l’impôt était calculé à hauteur de 1 % du montant le plus élevé de l’excédent CELI pour le mois pour chaque mois où le compte de la contribuable affichait un excédent.
Le fonctionnaire de l’ARC était aussi lié par les conditions énoncées au paragraphe 207.06(1); ainsi, pour pouvoir exercer son pouvoir discrétionnaire, la ministre devait être convaincue que la contribuable avait commis une erreur raisonnable et qu’elle avait agi sans délai pour retirer l’excédent CELI. Aucune de ces conditions n’était remplie dans cette affaire.
La CF a conclu que la décision du fonctionnaire était raisonnable et que la mauvaise compréhension des règles fiscales de la contribuable ou son ignorance du plafond CELI applicable ne constituaient pas, en soi, une erreur raisonnable.
De plus, même si elle avait reçu deux avis de cotisation de l’ARC, la contribuable n’avait pas retiré l’excédent CELI « sans délai ».
Bien que la CF ait mentionné que les règles régissant les CELI sont strictes et que le calcul de l’impôt sur les excédents CELI est compliqué, les connaissances insuffisantes de la contribuable ou sa mauvaise compréhension de ces règles ne font pas en sorte que la décision discrétionnaire de l’ARC de refuser l’allégement fiscal demandé en vertu du paragraphe 207.06(1) de la LIR est déraisonnable.
Leçons tirées
Le 1er janvier de chaque année, les nouveaux droits de cotisation à un CELI pour l’année sont établis. Pour 2024, le plafond est de 7 000 $. De manière générale, le plafond CELI annuel est indexé en fonction de l’inflation et arrondi au montant de 500 $ le plus près1.
Avant de verser des cotisations à votre CELI, vous devriez vérifier les droits de cotisation dont vous disposez selon vos propres dossiers financiers. Si vous utilisez les services de l’ARC (comme MonDossier) pour vérifier vos droits de cotisation, prêtez attention à la date de la dernière mise à jour et prenez soin d’ajuster le montant en fonction des opérations que vous auriez pu faire après cette date.
C’est au contribuable que revient la responsabilité finale de faire le suivi de ses opérations CELI pour que les cotisations ne dépassent pas le plafond CELI applicable2. Toutes les sommes que vous retirez de votre CELI s’ajoutent à vos droits de cotisation pour l’année suivante. Autrement dit, vous pouvez verser de nouveau toutes les sommes retirées de votre CELI au cours de toute année ultérieure sans incidence sur vos droits de cotisation annuels. En revanche, le fait de verser de nouveau ces sommes retirées dans votre CELI la même année pourrait donner lieu à une cotisation excédentaire, laquelle serait assujettie à un impôt de pénalité.
Par ailleurs, comme le montre bien cette décision de la CF, la ministre ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts et aux pénalités, ou de les annuler, que si l’excédent CELI est retiré sans délai. Si vous vous rendez compte que vous avez versé une cotisation excédentaire par erreur, il faut donc retirer l’excédent sans attendre. Le contribuable doit aussi convaincre la ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable. À la lumière de la conclusion dans diverses affaires, dont celle qui nous occupe ici, il est évident que l’ignorance des règles relatives aux CELI ne constitue pas une erreur raisonnable3.