Amit Kalsi et Matthew Mammola, Toronto
Au cours des dernières années, il y a eu des discussions importantes sur le transfert des petites entreprises des propriétaires aux membres de leur famille. Le 29 juin 2021, un projet de loi émanant d’un député (projet de loi C‑208) a modifié la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada pour faciliter les transferts intergénérationnels d’actions entre les membres d’une même famille1.
Le projet de loi C‑208 a ajouté des exceptions aux règles existantes (les règles contre le dépouillement de surplus) dans le cas du transfert de certaines actions d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale.
Cette question a été soulevée de nouveau dans le budget fédéral de 2023, lequel proposait de nouvelles modifications aux modifications apportées par le projet de loi C‑208, pour qu’elles s’appliquent aux opérations conclues le 1er janvier 2024 ou après cette date. Ces nouvelles modifications ont récemment été intégrées au projet de loi C‑59, lequel a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 30 novembre 20232.
Jetons un œil aux modifications proposées dans le projet de loi C‑59 et à ce qu’elles signifient si vous souhaitez transférer votre entreprise à la génération suivante.
Contexte
Les règles contre le dépouillement de surplus visent à empêcher un actionnaire, autre qu’une société, d’avoir recours à un transfert d’actions entre personnes ayant un lien de dépendance pour extraire des surplus de la société sous forme de gain en capital3.
Ces règles s’appliquent souvent dans le cas d’un transfert intergénérationnel d’actions d’une société. Si des parents ou des grands‑parents transfèrent des actions d’une société exploitant l’entreprise familiale à une société appartenant à l’un ou plusieurs de leurs enfants ou petits‑enfants, les règles contre le dépouillement de surplus s’appliqueraient, de sorte que les parents ou les grands‑parents soient réputés avoir reçu des dividendes au lieu d’avoir réalisé des gains en capital.
En l’absence d’exception, non seulement les montants reçus par les parents ou les grands‑parents seraient imposés à des taux plus élevés, puisque les dividendes sont assujettis à des taux plus élevés que les gains en capital, mais ils ne seraient pas non plus admissibles à l’exonération cumulative des gains en capital pour les gains réalisés à la disposition d’actions admissibles de petite entreprise (« AAPE ») ou d’actions du capital-actions d’une société agricole ou de pêche familiale (« SAPF »)4.
Ainsi, jusqu’à récemment, la vente d’actions à un acheteur sans lien de dépendance plutôt qu’à une société appartenant aux enfants ou aux petits‑enfants d’un particulier présentait un avantage important, puisque le traitement à titre de gains en capital et l’accès éventuel à l’exonération des gains en capital étaient alors préservés.
Afin d’uniformiser les règles du jeu, le gouvernement fédéral a instauré, dans le cadre du projet de loi C‑208 et à compter du 29 juin 2021, des règles spéciales qui peuvent, dans certains cas, permettre à un particulier de transférer certaines actions à une société contrôlée par ses enfants ou petits‑enfants adultes sans déclencher l’application des règles contre le dépouillement de surplus.
Cette exception fait en sorte que le particulier cédant est réputé n’avoir aucun lien de dépendance avec la société acheteuse et ne s’applique que si les actions concernées sont des AAPE ou des actions du capital‑actions d’une SAPF5. Selon cette version des règles, la société acheteuse devait demeurer propriétaire des actions pour une période minimale de cinq ans.
Le 19 juillet 2021, le ministère des Finances a annoncé son intention de présenter d’autres modifications liées au projet de loi C‑208 et de se prémunir contre les échappatoires fiscales imprévues que ce projet de loi aurait pu rendre possibles, comme le dépouillement de surplus, pratique consistant à convertir des dividendes en gains en capital afin de profiter d’un taux d’imposition plus faible sans qu’il y ait un transfert authentique de l’entreprise.
Le ministère des Finances a également fourni une liste de certaines questions que les modifications proposées permettraient d’aborder :
- l’obligation du parent de transférer le contrôle de droit et le contrôle de fait de la société en cause à l’un de ses enfants ou petits‑enfants;
- le niveau de propriété de la société en cause que le parent peut conserver pendant une période raisonnable après le transfert;
- le calendrier pour le transfert par le parent de la gestion de la société en cause à l’un de ses enfants ou petits‑enfants;
- le niveau de participation de l’enfant, du petit‑fils ou de la petite‑fille après le transfert.
Quelles sont les modifications proposées?
Les modifications proposées dans le budget de 2023 et contenues dans le projet de loi C‑59 prévoient de nouvelles conditions à satisfaire tant avant qu’après le transfert. Ces derniers changements sont grandement axés sur le contrôle de droit et le contrôle de fait – la propriété future de la société en cause, la gestion de celle‑ci, ainsi que le niveau de contrôle et de participation des enfants.
En vertu des modifications proposées, deux méthodes peuvent être adoptées pour réaliser un transfert intergénérationnel de l’entreprise qui compte des actions admissibles.
La première consiste en un transfert intergénérationnel immédiat, qui doit être réalisé dans les trois ans suivant la date de la transaction.
La première consiste en un transfert intergénérationnel immédiat, qui doit être réalisé dans les trois ans suivant la date de la transaction.La deuxième consiste en un transfert intergénérationnel progressif, qui peut être réalisé sur une période pouvant aller jusqu’à dix ans.
Une autre modification proposée élargit la définition d’« enfant » aux fins d’un transfert intergénérationnel. La définition modifiée comprendrait une nièce ou un neveu du contribuable ou de son époux ou conjoint de fait ainsi que l’époux ou le conjoint de fait – ou encore l’enfant – d’une telle nièce ou d’un tel neveu.
Autres modifications présentées :
- Un cédant ne serait plus tenu de fournir au ministre du Revenu national une évaluation indépendante de la juste valeur marchande des actions transférées ni un affidavit signé attestant la disposition des actions.
- La réduction de l’admissibilité à l’exonération cumulative des gains en capital à l’égard d’un transfert admissible lorsque le capital imposable utilisé au Canada de la société en cause excède dix millions de dollars serait éliminée.
Transfert immédiat et transfert progressif
En vertu des modifications proposées, certaines conditions doivent être satisfaites au moment du transfert et par la suite. Les règles sont complexes et les renseignements ci‑après ne visent qu’à résumer brièvement les principales conditions de chacune des méthodes de transfert.
Pour chaque méthode de transfert, le cédant doit être un particulier, la société acheteuse doit être contrôlée par un ou plusieurs enfants adultes du particulier, et les actions de la société en cause doivent être des AAPE ou des actions de SAPF. De plus, le cédant ne doit pas avoir eu recours à l’exception pour une disposition antérieure d’actions à l’égard de la même entreprise, sauf si ce recours antérieur a eu lieu avant le 1er janvier 2024.
Contrôle de l’entreprise
Selon les règles de transfert immédiat, le parent, avec son époux ou conjoint de fait, ne doit avoir le contrôle de droit ou le contrôle de fait de la société en cause à aucun moment après le transfert. En outre, les enfants adultes doivent généralement conserver le contrôle de droit de la société acheteuse pendant 36 mois.
Selon les règles de transfert progressif, le parent transfère immédiatement le contrôle de droit, mais le parent et son époux ou conjoint de fait peuvent tout de même conserver un certain contrôle de fait jusqu’à la clôture de la transaction, ce qui peut prendre jusqu’à dix ans. De façon générale, les enfants adultes doivent conserver le contrôle de droit de la société acheteuse pendant une période de 60 mois.
Propriété de l’entreprise
Après un transfert, qu’il soit immédiat ou progressif, le parent et son époux ou conjoint de fait ne doivent pas détenir, directement ou indirectement, plus de 50 % d’une catégorie d’actions ordinaires avec droit de vote de la société en cause, de la société acheteuse ou de toute personne ou société de personnes (appelée « entité pertinente du groupe ») qui exploite, au moment de la disposition, une entreprise exploitée activement qui est pertinente pour déterminer si les actions concernées sont des AAPE ou des actions de SAPF. Cette exigence ne s’applique pas aux actions privilégiées à valeur fixe sans droit de vote, ce qui signifie que le parent peut détenir ces types d’actions indéfiniment.
Participation résiduelle dans l’entreprise
Que le transfert soit immédiat ou progressif, le parent et son époux ou conjoint de fait ne doivent pas détenir, directement ou indirectement, d’actions de la société en cause, de la société acheteuse, ni d’une entité pertinente du groupe après 36 mois à compter de la date du transfert initial. Comme il a été mentionné, cette obligation ne s’applique pas aux actions privilégiées à valeur fixe sans droit de vote.
Le transfert progressif peut s’échelonner sur une période allant jusqu’à dix ans. Au cours de cette période, si les actions de la société en cause sont des AAPE, les dettes et les participations du parent dans la société en cause, la société acheteuse et toute entité pertinente du groupe doivent être réduites pour atteindre un maximum de 30 % de la juste valeur marchande des intérêts qu’il détenait au moment de la vente initiale. Ce maximum passe à 50 % si les actions de la société en cause sont des actions de SAPF.
Gestion de l’entreprise
Dans le cadre d’un transfert immédiat, le transfert de la gestion de l’entreprise de la société en cause d’un parent à un enfant doit généralement être effectué dans les 36 mois suivant la date du transfert. Dans le cas d’un transfert progressif, cette période est prolongée jusqu’à la plus tardive des échéances suivantes : 60 mois après la date du transfert ou la date de la vente finale. Dans ce contexte, gestion renvoie à la direction ou à la supervision des activités de l’entreprise, plutôt qu’à la simple prestation de conseils.
Au cours de la période de transition précédant le transfert de la gestion de l’entreprise à l’enfant ou à un groupe d’enfants, l’enfant ou au moins un membre du groupe doit participer activement, de façon régulière, continue et importante, à l’entreprise. À cette fin, une participation active suppose un minimum de 20 heures de travail par semaine.
Choix, nouvelles cotisations et provisions
Selon les règles modifiées relatives au transfert intergénérationnel d’entreprise, le parent et les enfants doivent produire un choix conjoint au plus tard à la date d’échéance de production du vendeur pour l’année d’imposition au cours de laquelle la disposition initiale a eu lieu.
En vertu des modifications proposées, la période normale de nouvelle cotisation du cédant est prolongée relativement à un transfert intergénérationnel. La prolongation est de trois ans dans le cas d’un transfert immédiat, et de dix ans dans le cas d’un transfert progressif.
Le vendeur de la société en cause pourrait demander une provision pour gains en capital sur le transfert des actions concernées. Cette provision passerait de cinq ans à dix ans lorsque toutes les conditions d’un transfert immédiat ou progressif sont remplies.
Conclusion
Les modifications proposées ajoutent à la complexité du processus de transfert intergénérationnel d’entreprise. Mais elles permettent également des gains d’efficacité fiscale dans le cadre de ces transactions. Les modifications visent à faire en sorte que les avantages fiscaux ne s’appliquent qu’aux véritables transferts intergénérationnels d’entreprises.
Deux possibilités s’offrent aux contribuables, chacune avec ses propres règles à suivre. Le choix optimal n’est pas nécessairement le même d’une famille à l’autre.
Le transfert immédiat permet de clore plus rapidement le processus transactionnel, tandis que le transfert progressif permet au parent ou au grand‑parent de participer plus longtemps à l’entreprise, et à la génération suivante d’avoir plus de temps pour se préparer à prendre la relève.
Chaque option a également une incidence importante sur la période normale de nouvelle cotisation applicable au cédant.
Les règles modifiées s’appliqueraient aux transactions conclues le 1er janvier 2024 ou après cette date.
Chez EY, nous savons à quel point il est important pour vous de réussir le transfert de votre entreprise à la génération suivante. Si vous envisagez de procéder à un transfert intergénérationnel d’entreprise ou que vous souhaitez mieux comprendre les possibles effets des modifications proposées, veuillez communiquer avec votre conseiller EY ou EY Cabinet d’avocats.