1351231 Ontario Inc. v The King, 2024 TCC 37
Minhoo Kim, Calgary, et Jeanne Posey, Vancouver
Dans l’affaire 1351231 Ontario Inc. v. The King, la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») a conclu que la vente d’un logement en copropriété loué au moyen de baux à court terme sur une plateforme de location en ligne était assujettie à la taxe sur les produits et services / taxe de vente harmonisée (la « TPS/TVH »). La CCI s’est penchée sur ce qui constitue une fourniture exonérée en vertu de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise(la « LTA ») et sur l’application de la règle sur le changement d’utilisation prévue au paragraphe 206(2) de la LTA.
Contexte et faits
Le 29 février 2008, la contribuable avait acheté, à titre de bien de placement, un logement en copropriété non neuf situé à Ottawa. Durant les neuf premières années de propriété, la contribuable avait loué le logement en copropriété à un certain nombre de locataires ayant signé des baux à long terme (plus de 60 jours chacun). Toutefois, du 25 février 2017 à avril 2018, le logement en copropriété avait été affiché sur une plateforme de location en ligne et loué à court terme. Un certain nombre de baux, tous d’une durée de moins de 60 jours, avaient été signés.
La contribuable avait tiré de ces locations à court terme un revenu brut de 11 200 $ en 2017 et de 43 179 $ en 2018.
En décembre 2017, la contribuable avait mis le logement en copropriété en vente, et le logement avait été vendu en janvier 2018 à un acheteur sans lien de dépendance. La vente avait été conclue en avril 2018. À la conclusion de la vente, ni la contribuable ni l’acheteur n’avaient remis la TPS à l’égard de la vente.
Dans sa cotisation établie à l’endroit de la contribuable pour la période de déclaration annuelle de la TPS du 1er juin 2017 au 31 mai 2018, la ministre du Revenu national avait réclamé à la contribuable une somme de 77 080 $ au titre de la TPS/TVH percevable sur la vente du logement en copropriété.
Question en litige
La CCI était saisie de la question de savoir si la vente du logement en copropriété était assujettie à la TPS au motif que le logement ne constituait pas un « immeuble d’habitation » et qu’il pouvait plutôt être assimilé à un hôtel, à un motel, à une auberge, à une pension ou à un gîte semblable, lesquels sont exclus de la définition d’« immeuble résidentiel » et assujettis à la TPS au moment de la vente.
Analyse et décision de la CCI
De façon générale, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada doit payer la TPS/TVH au taux de 5 %. Si la fourniture est effectuée dans une province participante, le taux de la taxe est majoré de façon à englober le taux de la taxe provinciale, sauf si la fourniture remplit les critères d’exonération prévus par la LTA. Dans cette affaire, puisque le logement en copropriété est situé en Ontario, la vente de celui‑ci serait assujettie à la TVH au taux de 13 %, sauf s’il remplit les critères d’exonération.
Dans le jugement, la CCI s’est demandé si le logement en copropriété était une fourniture taxable au sens du paragraphe 123(1) de la LTA et, dans l’affirmative, si la fourniture était exonérée en vertu de l’article 2 de la partie I de l’annexe V de la LTA.
Le logement en copropriété était une fourniture taxable
Selon le paragraphe 123(1) de la LTA, une « fourniture taxable » s’entend d’une « [f]ourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale ». Ainsi, la plupart des biens et services – des nouveaux appareils ménagers aux maisons neuves en passant par les repas au restaurant et les services d’un coiffeur ou d’un avocat – constituent des fournitures taxables.
Le paragraphe 123(1) de la LTA définit également l’expression « activité commerciale », qui s’entend à l’alinéa c) de « la réalisation d’une fourniture, sauf une fourniture exonérée, d’un immeuble de la personne, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion de la fourniture ».
Par conséquent, la vente d’un immeuble constitue une activité commerciale, à moins que la fourniture ne soit expressément exonérée en vertu de la LTA.
Le logement en copropriété n’était pas une fourniture exonérée
L’annexe V de la LTA contient la liste des fournitures exonérées aux fins de la TPS; certaines fournitures d’immeuble sont notamment visées. En vertu de la disposition pertinente, la vente du logement en copropriété aurait été exonérée si les trois conditions suivantes avaient été remplies :
- Aux fins de la vente, le logement en copropriété constituait un « immeuble d’habitation ».
- La contribuable n’était pas le constructeur du logement en copropriété.
- La contribuable n’a pas demandé de crédit de taxe sur les intrants relativement à l’acquisition du logement en copropriété ou relativement à des améliorations apportées à celui‑ci.
La deuxième condition était remplie, puisque, au moment de l’achat par la contribuable, le logement en copropriété était un immeuble résidentiel non neuf.
La troisième condition était également remplie, étant donné que la contribuable n’avait pas payé la TPS à l’achat du logement en copropriété et qu’elle n’avait pas non plus demandé de crédit de taxe sur les intrants relativement à des améliorations apportées au logement en copropriété.
Par conséquent, l’affaire se résumait à déterminer si le logement en copropriété constituait un « immeuble d’habitation » au sens du paragraphe 123(1) de la LTA. Plus particulièrement, la CCI a axé la plus grande partie de son analyse sur la question de savoir si l’exclusion prévue dans la définition s’appliquait au logement en copropriété. Par définition, un « immeuble d’habitation » exclut « tout ou partie d’un bâtiment qui est un hôtel, un motel, une auberge, une pension ou un gîte semblable […] si la totalité ou la presque totalité des baux […] aux termes desquels les habitations dans le bâtiment ou dans la partie de bâtiment sont fournies, prévoient, ou sont censées prévoir des périodes de possession ou d’utilisation continues de moins de 60 jours ».
La CCI a conclu qu’au moment de la vente, le logement en copropriété était loué d’une manière semblable à un hôtel, à un motel, à une auberge ou à une pension, étant donné que le logement était fourni à des tiers à titre d’hébergement à court terme moyennant une contrepartie. Pour étayer sa conclusion, la CCI a invoqué le fait que le chauffage, la climatisation, l’électricité, l’Internet sans fil et les meubles étaient inclus dans les baux à court terme.
La CCI a ensuite examiné le critère mentionné dans l’exclusion selon lequel un bien n’est pas un immeuble d’habitation si « la totalité ou la presque totalité » des baux ont une durée de moins de 60 jours. Plus précisément, elle s’est demandé si, au moment où la contribuable avait vendu le logement en copropriété, « la totalité ou la presque totalité » des baux aux termes desquels le logement en copropriété était fourni prévoyaient des périodes de possession continue d’au moins 60 jours.
La CCI a déclaré que le logement en copropriété ne répondait pas à la définition d’« immeuble d’habitation », car, au moment de sa vente, le logement était assimilable à un hôtel ou à un motel, et tous les baux à court terme avaient une durée de moins de 60 jours. La CCI a statué que la définition d’« immeuble d’habitation » ne fournissait aucune précision sur la période visée, puisque l’appréciation de l’application du critère de « la totalité ou la presque totalité » ne porte pas sur une période précise. Plutôt, la décision devait être prise en fonction de l’utilisation du logement en copropriété au moment de sa vente.
De plus, la contribuable n’était pas un particulier, de sorte que le logement en copropriété ne pouvait pas constituer un « immeuble d’habitation » au sens de l’alinéa c) de la définition de cette expression au paragraphe 123(1) de la LTA.
Pour en arriver à cette conclusion, la CCI a également examiné la règle sur le changement d’utilisation prévue au paragraphe 206(2) de la LTA. Cette règle s’applique lorsqu’un contribuable acquiert un immeuble en vue de l’utiliser comme immobilisation en dehors du cadre de ses activités commerciales et qu’il commence ensuite à l’utiliser dans ce cadre. Si la règle s’applique, le contribuable est réputé avoir acheté de nouveau l’immeuble au moment du changement d’utilisation et avoir payé à ce moment, au titre de la TPS, une somme équivalente à la taxe payée à l’acquisition de l’immeuble qui n’a jamais été recouvrée par voie de remboursement ou de remise. La CCI a conclu qu’en vertu de l’alinéa 141.1(3)a) de la LTA, la contribuable était réputée avoir commencé à exercer des activités commerciales lorsque le logement en copropriété avait commencé à être offert sur la plateforme de location en ligne.
Selon l’article 197 de la LTA, pour que la règle s’applique, le changement d’utilisation doit représenter un changement d’au moins 10 % par rapport à l’utilisation totale du bien. La période pertinente pour évaluer si un changement d’utilisation d’au moins 10 % a eu lieu commence au dernier en date du jour où le contribuable a acquis l’immeuble la dernière fois et du jour où la règle sur le changement d’utilisation s’est appliquée à l’immeuble pour la dernière fois et se termine après ce jour.
En réponse à l’argument de la contribuable selon lequel le logement en copropriété était visé par l’exception à l’application de la règle sur le changement d’utilisation prévue à l’article 197 de la LTA, la CCI a précisé que l’utilisation réelle ou la proportion d’utilisation durant la période de propriété n’avait aucune importance au moment de décider si la règle sur le changement d’utilisation doit s’appliquer. Il convient plutôt de tenir compte du changement cumulatif d’utilisation du bien à partir du jour où l’immeuble a été acquis la dernière fois. La contribuable avait changé l’utilisation du logement en copropriété le 25 février 2017 et, à partir de ce moment, le logement en copropriété avait été utilisé dans une proportion de plus de 10 % dans le cadre d’activités commerciales. Ainsi, le critère pour l’application de l’exception n’était pas rempli, et le logement en copropriété était assujetti à la règle sur le changement d’utilisation.
Décision
La CCI a rejeté l’appel de la contribuable et a conclu que la vente du logement en copropriété était une fourniture taxable, de sorte qu’elle était assujettie à la TPS/TVH. La CCI a ainsi confirmé que la règle sur le changement d’utilisation constitue un critère temporel qui permet de déterminer la mesure du changement d’utilisation au moment donné.
Leçons tirées
Cette décision rappelle aux vendeurs d’immeubles de se renseigner au sujet de l’éventuelle application de la TPS/TVH à une vente future. Si vous êtes propriétaire d’un immeuble locatif et que vous envisagez d’offrir votre propriété en location à court terme, vous devriez tenir compte de l’interprétation de la CCI selon laquelle le critère de « la totalité ou la presque totalité » s’applique au moment de la vente et non à toute la durée de propriété.
De plus, cette affaire met en lumière l’importance des règles sur le changement d’utilisation et nous rappelle que, en vertu de la LTA, ces règles s’appliquent à l’instant précis où un changement d’utilisation a lieu, et c’est alors qu’il peut y avoir fourniture réputée.
Enfin, à mesure que les règles applicables à l’immobilier continuent d’évoluer, il devient plus important que jamais de faire ses recherches ou de demander conseil à un professionnel lorsque l’achat d’un immeuble d’habitation est envisagé, surtout s’il s’agit d’un bien de placement qui sera mis en location.