Chapitre 1
Impôt minimum de remplacement : modifications proposées que vous devriez connaître
Yiyun Chen, Toronto, et Gael Melville, Vancouver
L’impôt minimum de remplacement (l’« IMR » ou l’« impôt minimum ») n’est pas souvent abordé dans les discussions sur l’impôt. Toutefois, comme les récentes propositions législatives du gouvernement fédéral, publiées le 4 août 2023, mettent en œuvre des changements majeurs au régime d’impôt minimum du Canada, le moment est venu de vous rafraîchir la mémoire sur ce sujet souvent négligé.
Le présent article donne un aperçu général des règles relatives à l’impôt minimum en vigueur et des modifications proposées, suivi d’un exemple illustrant l’incidence de certains des principaux changements1. Bien que l’impôt minimum s’applique à la fois aux particuliers et à certaines fiducies, nous nous concentrons ici sur les particuliers.
Contexte
L’impôt minimum vise à faire en sorte que les particuliers, y compris certaines fiducies, ayant un revenu brut élevé, qui paieraient par ailleurs peu ou pas d’impôt sur le revenu en raison de nombreux avantages fiscaux donnés, paient au moins un montant minimum d’impôt pour l’année2. Les avantages fiscaux sont des éléments particuliers qui réduisent le revenu imposable ou l’impôt à payer; pensons notamment à l’exonération des gains en capital ou au crédit d’impôt pour contributions politiques.
Cet impôt supplémentaire – c’est-à-dire le montant de l’impôt minimum excédant l’impôt régulier par ailleurs payable – n’est généralement pas un impôt permanent. L’impôt minimum payé au cours d’une année d’imposition peut être reporté prospectivement pour une période maximale de sept ans et utilisé pour réduire l’impôt régulier à payer au cours d’une année ultérieure, mais seulement dans la mesure où l’impôt minimum à payer au cours de cette année ultérieure est inférieur à l’impôt régulier à payer. Votre solde d’impôt minimum reporté d’années antérieures se trouve dans votre plus récent avis de cotisation.
Depuis l’instauration du régime d’impôt minimum en 1986, les règles pertinentes n’ont pas été mises à jour de façon substantielle. Le gouvernement s’est dit préoccupé par le fait que certains Canadiens à revenu élevé paient encore relativement peu d’impôt sur le revenu des particuliers en proportion de leur revenu, en ayant recours de façon importante à des déductions et à des crédits d’impôt.
Pour remédier à cette situation, le gouvernement apporte des modifications importantes au régime d’impôt minimum. L’objectif déclaré est de cibler précisément les particuliers très riches, en veillant à ce qu’ils paient une part d’impôt proportionnelle à leur revenu, tout en éliminant l’application de l’IMR pour la plupart des Canadiens de la classe moyenne3.
Une fois adoptées, les modifications proposées s’appliqueront aux années d’imposition commençant le 1er janvier 2024 ou après cette date.
Comment l’impôt minimum est-il calculé?
Pour mieux comprendre l’incidence que les règles proposées pourraient avoir sur vous, il est utile de comprendre d’abord comment l’impôt minimum est calculé.
De façon générale, aux fins de l’IMR, il faut effectuer un calcul révisé du revenu (revenu imposable rajusté) et de l’impôt minimum net à payer en parallèle du calcul de l’impôt régulier. Le calcul révisé de l’impôt suit une méthode semblable à celle utilisée pour le calcul de l’impôt régulier, avec des variations dans la façon dont certains éléments sont traités. Dans le calcul révisé, vous incluez habituellement dans le revenu des montants plus élevés que dans le calcul de l’impôt régulier, le cas échéant – par exemple, un taux d’inclusion des gains en capital plus élevé s’applique pour le calcul de l’impôt minimum – et réduisez ou omettez certaines déductions – par exemple, le calcul limite le montant des pertes liées aux abris fiscaux déterminés.
Après avoir calculé votre revenu imposable rajusté, vous déduisez le montant d’exemption de base de votre revenu imposable rajusté – l’IMR ne s’appliquant pas au montant d’exemption de base, qui est actuellement de 40 000 $4. Le résultat calculé est communément appelé l’« assiette de l’IMR », laquelle est imposée à un taux d’imposition minimum fédéral forfaitaire, qui s’élève actuellement à 15 %. Ensuite, vous réduisez l’impôt calculé à partir de la dernière étape du total des crédits d’impôt non remboursables qui sont permis en vertu de l’IMR, soit le crédit d’impôt minimum de base. De plus, vous pouvez également déduire un crédit spécial pour impôt étranger, le cas échéant, lorsque vous arrivez à l’impôt minimum à payer.
Le résultat de ce calcul révisé correspond à l’impôt minimum fédéral à payer pour l’année. Si votre impôt minimum fédéral à payer est supérieur à votre impôt fédéral régulier à payer, vous êtes tenu de payer l’impôt minimum. Les impôts provinciaux sont également calculés en fonction du montant fédéral révisé5.
Quelles sont les modifications proposées?
Les règles proposées apportent plusieurs modifications à l’application de l’impôt minimum. D’une part, les avantages fiscaux seraient encore plus limités, le crédit d’impôt minimum de base auquel vous pourriez avoir droit serait réduit et le taux de l’IMR augmenterait. D’autre part, vous auriez le droit de demander un montant d’exemption de base beaucoup plus élevé. De plus, davantage de types de fiducies seraient exemptées de l’application de l’impôt minimum.
Voici un résumé des principaux changements :
1. Limitation des avantages fiscaux
Gains (et pertes) en capital : Selon les règles proposées, vous devez inclure 100 % des gains en capital et des pertes en capital de l’année courante dans votre revenu imposable rajusté. Il s’agit d’une augmentation par rapport aux 80 % prévus par les règles actuelles. L’augmentation s’appliquerait également à tout gain en capital qui vous est attribué par une fiducie.
Si vous avez des gains en capital découlant de dons à un organisme de bienfaisance enregistré ou à un autre donataire reconnu, vous devez généralement inclure 100 % de ces gains dans votre revenu imposable rajusté en vertu des règles proposées6. En vertu des règles actuelles, vous n’avez pas à apporter d’ajustements à ces gains dans le calcul de votre revenu imposable rajusté aux fins de l’impôt minimum.
La seule exception est lorsque les biens donnés consistent en certains titres cotés en bourse – dans ce cas, vous n’auriez qu’à inclure 30 % des gains en capital pertinents dans votre revenu imposable rajusté.
Perte déductible au titre d’un placement d’entreprise (« PDTPE »)7 : Si vous déduisez une PDTPE dans le calcul de votre impôt régulier, vous pouvez demander le même montant au titre de l’impôt minimum en vertu des règles proposées (c.‑à‑d. 50 % de la perte au titre d’un placement d’entreprise). Ce taux est réduit par rapport aux 80 % qui sont actuellement permis aux fins de l’impôt minimum.
Déduction pour gains en capital : En vertu des règles actuelles, si vous réalisez un gain en capital découlant de la disposition d’un bien qui est entièrement mis à l’abri de l’impôt par l’exonération cumulative des gains en capital (« ECGC »), vous pouvez demander la même déduction pour gains en capital à l’égard de l’impôt minimum que celle demandée à l’égard de l’impôt régulier. Ainsi, le taux d’inclusion net pour de tels gains est actuellement de 30 % aux fins de l’impôt minimum, alors que le taux d’inclusion est généralement de 0 % aux fins de l’impôt régulier8.
Le gouvernement prévoit maintenir ce taux de 30 % aux fins de l’impôt minimum. Par conséquent, pour compenser l’effet du taux d’inclusion des gains en capital proposé de 100 %, le montant de la déduction pour gains en capital est multiplié par 1,4, de sorte que le taux d’inclusion net demeure inchangé9.
Déduction pour options d’achat d’actions : En vertu des règles actuelles, si vous recevez des avantages liés à des options d’achat d’actions accordées à des employés qui sont admissibles à la déduction de 50 % pour options d’achat d’actions aux fins de l’impôt régulier, vous devez inclure 80 % de ces avantages dans votre revenu imposable rajusté. En vertu des règles proposées, vous devez inclure 100 % des avantages.
Il y a néanmoins une exception. Si vous faites un don d’actions visées par des options qui sont des titres cotés en bourse et que le don est fait à un organisme de bienfaisance enregistré ou à un autre donataire reconnu dans les 30 jours suivant l’acquisition des actions, vous devez inclure 30 % de ces avantages aux fins de l’impôt minimum en vertu des règles proposées. À l’heure actuelle, ces avantages sont entièrement exonérés de l’impôt minimum (comme c’est le cas pour l’impôt régulier).
Pertes inutilisées d’autres années : Les règles proposées limiteraient votre capacité d’utiliser certaines pertes reportées prospectivement d’autres années :
• Vous ne pourriez déduire que 50 % des pertes autres qu’en capital inutilisées ou des pertes comme commanditaire inutilisées que vous avez déduites aux fins du calcul de votre revenu régulier, au lieu de 100 % comme c’est le cas actuellement10.
• Vous pourriez déduire les mêmes pertes en capital nettes inutilisées que celles que vous avez déduites dans le calcul de votre impôt régulier à payer (c.-à-d. selon un taux d’inclusion de 50 %), une réduction par rapport au taux d’inclusion actuel de 80 %11. Ainsi, aux fins de l’impôt minimum, même si vous devez inclure 100 % des gains en capital dans votre revenu, vous ne pouvez appliquer que 50 % des pertes en capital inutilisées d’autres années en réduction de ces gains en capital.
Autres déductions : En vertu des modifications proposées, vous ne pouvez demander que 50 % de certaines déductions aux fins de l’impôt minimum, au lieu de 100 %. Si certaines de ces déductions peuvent être peu courantes, en voici quelques-unes qui sont fréquemment rencontrées :
• certaines dépenses d’emploi, comme les frais de déplacement et les cotisations professionnelles admissibles;
• les intérêts et les frais de financement engagés pour tirer un revenu d’un bien. Pour certaines dépenses qui sont actuellement limitées en vertu de règles relatives à l’IMR précises, comme les intérêts ou les frais de financement demandés à l’égard de biens de location, les restrictions actuelles continueraient de s’appliquer;
• les frais de déménagement;
• les frais de garde d’enfants.
Vous pouvez continuer de demander 100 % des déductions qui ne sont pas expressément visées par les règles sur l’impôt minimum proposées, comme la déduction au titre du REER et la déduction pour pension alimentaire versée.
2. Montant d’exemption de base
Le montant d’exemption de base que vous pouvez demander, qui est actuellement de 40 000 $, serait augmenté pour correspondre à la limite inférieure de la quatrième tranche d’imposition fédérale, laquelle est indexée annuellement selon l’inflation et devrait s’établir à environ 173 000 $ en 202412.
3. Taux d’imposition minimum
En vertu des mesures proposées, le taux d’imposition minimum fédéral forfaitaire serait augmenté pour passer de 15 % à 20,5 %.
4. Crédits d’impôt
Bien que les types de crédits non remboursables que vous pouvez demander pour réduire votre impôt minimum soient restreints, vous avez actuellement le droit de demander 100 % de ceux qui sont autorisés, par exemple le crédit pour dons de bienfaisance, le crédit personnel de base et le crédit pour frais médicaux. Toutefois, en vertu des règles proposées, vous ne pouvez demander que 50 % des crédits autorisés.
En revanche, en vertu des règles proposées, vous pouvez demander des crédits supplémentaires, au taux proposé de 50 %, qui ne sont pas actuellement autorisés. Il s’agit notamment du crédit pour pension, des crédits pour frais de scolarité qui vous ont été transférés et du montant pour personnes handicapées qui vous a été transféré.
Les autres crédits qui ne sont pas actuellement autorisés demeureront les mêmes. Il s’agit notamment du crédit d’impôt pour dividendes, du crédit d’impôt à l’investissement et du crédit d’impôt pour contributions politiques.
5. Fiducies
Actuellement, l’impôt minimum s’applique à la plupart des types de fiducies, à quelques exceptions près. En vertu des règles proposées, davantage de types de fiducies seraient exemptées de l’application de l’impôt minimum. Plus particulièrement, les successions assujetties à l’imposition à taux progressifs ne seraient plus assujetties à l’impôt minimum en vertu des modifications proposées.
Aucune modification n’est proposée à la période de report prospectif de sept ans.
Le résumé ci-dessus présente les principales modifications prévues dans les règles relatives à l’IMR proposées. Pour en apprendre davantage sur les nouvelles règles ou d’autres modifications non abordées ici, veuillez communiquer avec votre conseiller EY.
Exemple tenant compte des règles relatives à l’IMR proposées13
Emma est propriétaire d’une petite entreprise constituée en société qu’elle a décidé de vendre. Les actions qu’elle détient sont des actions admissibles de petite entreprise (« AAPE »), ce qui signifie qu’elles donnent droit à l’ECGC. Emma n’a jamais utilisé son ECGC par le passé.
En 2024, Emma vend ses actions, réalisant un gain en capital de 1 715 865 $, duquel un montant de 1 015 865 $ peut être entièrement mis à l’abri de l’impôt grâce à l’ECGC14. À la fin de 2024, elle avait des pertes en capital nettes inutilisées de 100 000 $ d’années précédentes. Le seul crédit non remboursable auquel elle a droit en 2024 est le montant personnel de base.
Le revenu imposable régulier d’Emma et le revenu imposable assujetti à l’IRM révisé, selon les règles actuelles et les règles proposées, sont calculés et comparés ci-après. L’impôt minimum provincial n’est pas pris en compte aux fins de l’exemple.
En vertu des règles actuelles, puisque le calcul de l’impôt minimum fédéral d’Emma donne un résultat plus élevé que celui du calcul de l’impôt régulier à payer, Emma devrait payer un impôt fédéral total de 97 593 $. Elle aurait un montant de report d’impôt minimum de 41 476 $. En vertu des règles proposées, Emma devrait payer un impôt fédéral total de 148 950 $; elle aurait un montant de report d’impôt minimum de 92 833 $. L’application des règles proposées à la situation d’Emma entraînerait un montant d’impôt à payer supplémentaire de 51 357 $.
Dans l’exemple ci-dessus, les règles proposées exigent beaucoup plus de liquidités dans une année pour remplir l’obligation d’impôt minimum. Bien qu’Emma puisse être en mesure de récupérer l’IMR supplémentaire au cours de la période de report de sept ans, elle pourrait devoir procéder à une planification supplémentaire pour s’assurer d’avoir un revenu régulier suffisant au cours de la période de report afin de récupérer l’IMR payé pour l’année d’imposition 2024.
Conclusion
Bien que l’impôt minimum ne s’applique qu’à un nombre limité de contribuables chaque année, à la lumière des modifications proposées, il est important de ne pas en faire abstraction dans votre planification fiscale. Plus particulièrement, si vous prévoyez vendre des AAPE et réaliser un gain en capital important après 2023, n’oubliez pas de tenir compte de tout impôt minimum à payer. De plus, si vous prévoyez recevoir d’importants avantages liés à des options d’achat d’actions après 2023, tenez compte de l’impôt minimum lorsque vous déterminerez le moment auquel exercer les options.
Pour être bien certain de comprendre l’application possible de l’impôt minimum, consultez votre conseiller EY.
Chapitre 2
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