5 minutes de lecture 19 nov. 2019
milky way over communication tower

Canada : s’adapter aux indications sur les changements climatiques

Par Thibaut Millet

Associé, groupe canadien Services en changements climatiques et développement durable d’EY

Leader du monde des affaires et en environnement. Contributeur au capitalisme propre. Guide les entreprises sur le chemin du développement durable. Diplômé du MBA de McGill.

5 minutes de lecture 19 nov. 2019

Les changements climatiques transforment la réglementation et les exigences d’informations des émetteurs. La clé, c’est s’y adapter.

La réglementation est bouleversée par les changements climatiques.

Le degré de clarté que recherchent les organismes de réglementation de la part des émetteurs de documents réglementés n’est pas nécessairement nouveau. Depuis 2017, le rapport du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) est considéré comme la norme par excellence de la communication volontaire d’informations financières relatives aux changements climatiques.

Pourtant, au cours des dernières années, la portée même de la communication liée aux changements climatiques s’est élargie. Publié par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), l’Avis 51-358 du personnel des ACVM, Information sur les risques liés au changement climatique (Avis 51-358) approfondit la question.

Motivé par l’intérêt accru des investisseurs, l’amélioration qu’il faudrait apporter à la communication de l’information et des faits nouveaux tant au Canada qu’à l’étranger, l’Avis 51-358 clarifie l’importance relative des risques liés au changement climatique et s’ils exigent une communication.

Au cœur du problème se trouve la définition même de l’importance relative. Selon le dernier avis, l’information est en général considérée comme importante si son omission ou une communication inexacte à son égard influençait probablement la décision d’un investisseur d’acheter, de vendre ou de conserver les titres d’un émetteur.

Toutefois, prendre une décision n’est pas toujours simple. Dans l’Avis 51-358, les ACVM décrivent quatre principes directeurs qui, même s’ils ne sont pas exhaustifs, peuvent aider les émetteurs à déterminer l’importance relative :

  • Il y a l’absence de critère de démarcation précis. Autrement dit, comme il n’existe pas de seuil quantitatif à partir duquel une information devient importante, tenez compte de facteurs quantitatifs et qualitatifs pour déterminer l’importance relative.
  • Le contexte est important. Pour apprécier l’importance relative d’une information que l’on doit examiner, il faut tenir compte de sa nature et de sa quantité. Alors, n’évaluez pas l’importance de faits distincts. Lorsque certains faits ne semblent pas importants en soi, appréciez leur importance à la lumière de l’ensemble des faits connus.
  • Le moment choisi est primordial. Si on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’incidence d’une question environnementale s’accroisse au fil du temps, il pourrait être important pour l’investisseur raisonnable potentiel d’en être informé. C’est d’autant plus vrai lorsque le secteur d’activité de l’émetteur se caractérise par un long cycle d’exploitation ou d’investissement, ou lorsque l’émetteur doit se doter de nouvelles technologies.
  • Les tendances sont importantes. L’horizon temporel d’une tendance, d’un besoin, d’un engagement, d’un événement ou d’une incertitude connu pourrait être pertinent pour les émetteurs dans leur appréciation de l’importance relative. Tenez compte de la probabilité et de l’ampleur prévue de ces facteurs.

Même avec plus de clarté, la question de l’importance relative peut entraîner un effet domino considérable sur l’ensemble du marché. Les investisseurs, les créanciers et les assureurs mondiaux portent plus que jamais attention aux risques que pose le changement climatique pour le rendement des entreprises. Il en découlera également une incidence sur l’accès au capital, peu importe les mesures législatives ou réglementaires au Canada. Quels sont les principaux facteurs de la communication de l’information?

  • Le Groupe d’experts sur la finance durable mis sur pied par le gouvernement canadien a formulé de vastes recommandations en vue de mobiliser les services financiers concernant les risques et les possibilités liés aux changements climatiques. Le Groupe a aussi fortement recommandé l’adoption du rapport du GIFCC et il est même allé jusqu’à établir un échéancier à court terme pour les grandes sociétés et les institutions financières (banques, sociétés d’assurance, caisses de retraite et conseils d’investissement) afin qu’elles commencent à communiquer ce type d’information.
  • En 2019, la Commission européenne a publié de nouvelles indications destinées aux entreprises tenues de fournir de l’information environnementale et sociale et sur la gouvernance conformément aux Lignes directrices sur l’information non financière de l’Union européenne (qui est en place pour les grandes entités ouvertes depuis 2018). La dernière version recommande que les communications relatives aux changements climatiques soient alignées sur le rapport du GIFCC.
  • La loi de transition énergétique française impose à toutes les grandes institutions, y compris les banques et les investisseurs institutionnels, d’évaluer, de signaler et de réduire leur exposition aux risques financiers à long terme liés aux changements climatiques.
  • Selon Michael Bloomberg, président du GIFCC, et Mark Carney, président du Conseil de stabilité financière, plus de 800 entreprises à l’échelle mondiale, représentant environ 118 billions de dollars américains, se sont montrées favorables aux recommandations du GIFCC.

Quoi qu’on en dise, les communications permettent aux émetteurs de renseigner les investisseurs sur la durabilité de leur modèle d’entreprise, et sur les mesures prises pour atténuer ces risques et s’y adapter. Comment les émetteurs canadiens peuvent-ils saisir l’occasion de renforcer le dialogue avec les parties prenantes? Les émetteurs qui posent maintenant les bonnes questions peuvent mieux comprendre les façons dont les politiques évoluent et se préparer à la suite des choses.

À titre de membre de la direction, réfléchissez à comment vous pourriez :

  • évaluer l’exposition actuelle de votre entreprise aux changements climatiques et aux autres éléments susceptibles de perturber les activités ainsi que leurs incidences potentielles dans l’avenir. Cette évaluation devrait porter sur les risques et les occasions afin de guider vos décisions et de vous aider à gérer les résultats qui en découlent. Le GIFCC offre des conseils utiles sur la façon d’y parvenir au moyen de son cadre recommandé;
  • vous concentrer sur ce qui importe réellement et sur ce qui peut devenir important dans l’avenir. Pour certaines entreprises, ce sont les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités ou la variation de la demande sur le marché. Pour d’autres, ce pourrait être le risque lié à la substitution technologique, ou encore les incidences météorologiques sur les actifs ou la chaîne d’approvisionnement. En mettant l’accent sur les principaux risques, vous pourrez consacrer les ressources qu’il faut aux initiatives visant à y faire face;
  • lorsque cela est possible, intégrer les risques financiers liés aux changements climatiques dans les processus existants. Les émetteurs ayant les capacités de mener des recherches et des analyses économiques en interne (p. ex., les grandes banques et certaines entreprises du secteur de l’énergie) soumettent régulièrement leurs actifs à des scénarios de simulation de crise macroéconomique réalistes, qui peuvent être élargis pour y inclure les incidences des changements climatiques.

À titre de membre du comité d’audit, réfléchissez à comment vous pourriez :

  • tenir une discussion constructive sur les risques et les occasions liés aux changements climatiques qui pourraient avoir une incidence sur l’entreprise à long terme (prendre conscience que cette période peut dépasser celle habituellement prise en compte dans la planification financière), et décider si les informations qui en découlent devraient être abordées dans les rapports de l’entreprise (p. ex., le rapport de gestion, les états financiers et les autres rapports rendus publics);
  • dans l’exercice de vos responsabilités de surveillance, examiner l’évaluation de la direction concernant l’importance relative des questions liées aux changements climatiques, et vous assurer que les informations contenues dans les documents déposés concordent avec cette évaluation;
  • encourager la direction à commencer dès maintenant, alors qu’elle n’est pas encore bousculée, à bien faire les choses. La communication d’information utile à la prise de décision aux créanciers, aux investisseurs et aux assureurs relativement aux incidences financières possibles des risques à plus long terme dans les principaux documents à déposer nécessitera un certain temps. Il faudra discuter et collaborer avec les fournisseurs de capitaux, le gouvernement et les entreprises dans le même secteur, ce qui mènera à des ajustements à mesure que de nouveaux renseignements sont obtenus et que les données s’améliorent.

Quelle est la prochaine étape?

Des informations plus exhaustives sur les risques – et les occasions – qui se présenteront à moyen et à long termes, notamment les changements climatiques, pourraient réduire le besoin pour les autorités en valeurs mobilières de mettre en place de nouvelles règles. En revanche, si de nouvelles exigences sont mises en place, une stratégie interne proactive pour la détermination et la gestion de ces risques permettra aux émetteurs d’être prêts à prendre les mesures qui s’imposent. Investir maintenant dans la bonne planification peut vous permettre de posséder les éléments de la solution afin d’intervenir efficacement plus tard.

Résumé

La réglementation est de nouveau bouleversée en raison des changements climatiques. Une communication volontaire d’informations financières transparentes, fiables et efficaces liées aux changements climatiques n’est qu’un élément de la solution. La portée même de la communication liée aux changements climatiques s’élargit pour englober les risques à long terme et les événements imprévisibles, comme la cybersécurité et l’incidence des technologies de rupture. Poser maintenant les bonnes questions au sein de votre organisation peut vous aider à comprendre la façon dont les politiques évoluent et à mieux vous préparer pour la suite des choses.

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Par Thibaut Millet

Associé, groupe canadien Services en changements climatiques et développement durable d’EY

Leader du monde des affaires et en environnement. Contributeur au capitalisme propre. Guide les entreprises sur le chemin du développement durable. Diplômé du MBA de McGill.