7 minutes de lecture 25 oct. 2019
Homme saute de la falaise

Comment les facteurs ESG contribuent à créer de la valeur à long terme

Par Thibaut Millet

Associé, groupe canadien Services en changements climatiques et développement durable d’EY

Leader du monde des affaires et en environnement. Contributeur au capitalisme propre. Guide les entreprises sur le chemin du développement durable. Diplômé du MBA de McGill.

7 minutes de lecture 25 oct. 2019

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Les informations ESG deviennent de plus en plus utiles pour les investisseurs qui souhaitent créer de la valeur pour l’entreprise.

Le secteur de l’investissement s’est transformé en ce qui concerne les programmes portant sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Autrefois reléguées à de longs rapports isolés sur le développement durable qui, souvent, n’attiraient pas beaucoup l’attention, les questions ESG sont revenues au premier plan des priorités des investisseurs.

Qu’entend-on par facteurs ESG?

Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) renvoient aux questions qui peuvent traditionnellement être associées au développement durable ou à la responsabilité sociale d’une entreprise, mais qui sont réputées avoir une incidence financière importante sur la valeur à court et à long terme de l’organisation. Ces questions peuvent varier selon le secteur d’activité, l’emplacement, la nature, la taille des activités, la chaîne d’approvisionnement, la stratégie commerciale, les valeurs et les investisseurs de l’organisation.

Au Canada, les investissements qui prennent en compte les facteurs ESG sont maintenant évalués à plus de 2 billions de dollars en actifs sous gestion dans l’ensemble des principales catégories de placements¹. Dans une étude réalisée en 2018 par la Responsible Investment Association (RIA), des investisseurs canadiens déclaraient que les deux principaux facteurs ESG qu’ils recherchaient étaient l’obligation fiduciaire et la gestion des risques². Ce résultat souligne le fait que les facteurs ESG ont dépassé le cadre de la responsabilité d’entreprise de base pour s’orienter vers le domaine du rendement financier et du risque d’entreprise.

Alors, comment les conseils d’administration et les cadres peuvent-ils répondre à cette nouvelle demande des investisseurs à l’égard des questions ESG de façon à générer de la valeur pour l’organisation? Les entreprises doivent tenir compte de trois éléments afin de pouvoir répondre à cette question.

Les facteurs ESG réduisent le risque et soutiennent la création de valeur

La recherche ne cesse de montrer qu’il existe un lien entre les facteurs ESG et le rendement d’une entreprise.

Cela est bien connu depuis de nombreuses années : une entreprise dotée de bonnes pratiques de gouvernance affiche un meilleur rendement. Or, des études plus récentes révèlent sans contredit que la performance dans l’ensemble des trois piliers ESG favorise le rendement. Une métaétude de plus de 200 sources menée en 2015 par l’Université d’Oxford et Arabesque Partners a révélé que 80 % des études revues démontrent que les pratiques prudentes de développement durable ont une influence positive sur le rendement des investissements³.

Les questions géographiques ont leur importance lorsqu’il est question de l’opinion des investisseurs à l’égard des éléments moteurs de ce lien. Selon un rapport de la RBC, la plupart des investisseurs canadiens ont tendance à considérer les facteurs ESG comme une activité d’atténuation des risques (68 %) par opposition à une source d’alpha (21 %), alors que les investisseurs européens les considèrent comme les deux à la fois⁴. Peu importe l’élément moteur, les investisseurs du monde entier sont de toute évidence bien informés du potentiel liant les facteurs ESG au rendement financier.

Les facteurs ESG sont devenus un moyen d’accéder à du capital

Devant l’évidence que les facteurs ESG soutiennent le rendement, les investisseurs les intègrent dans leur processus décisionnel en matière de placements.

Une récente recherche d’EY démontre qu’un pourcentage sans précédent d’investisseurs intègrent les facteurs ESG dans leurs décisions d’investissement, c’est-à-dire 97 % des investisseurs à l’échelle mondiale l’ont fait en 2018, contre 78 % en 2017. Ces résultats sont systématiquement appuyés par des études indépendantes, telles que celles effectuées par RBC⁵ et HSBC⁶.

Dans le pire des cas, la piètre performance des facteurs ESG ou d’informations fournies à leur égard peut mener à la réduction de l’intérêt des investisseurs ou même au désinvestissement complet. Toutefois, pour la plupart des entreprises, le plus grand risque est de rater des occasions d’accéder à de nouvelles sources de capital souvent plus fiables. Par exemple :

  • Investisseurs institutionnels : De solides antécédents au chapitre de la gestion des facteurs ESG et de la performance peuvent attirer l’attention des investisseurs qui ont une vision à plus long terme, en particulier les caisses de retraite. Au Canada, les caisses de retraite représentent 65 % de l’ensemble des investissements nationaux qui tiennent compte des facteurs ESG⁷, et elles jouent un rôle important dans le cadre de la demande internationale visant l’amélioration des exigences d’information sur les questions ESG.
  • Investisseurs passifs : Devant l’essor des fonds négociés en bourse (FNB) et des stratégies d’investissement passives, certaines entreprises tiennent pour acquis que ce type d’investisseur accorde moins d’attention aux facteurs ESG. Ce qui n’est pas nécessairement le cas. Morningstar a soumis plus de 20 000 produits gérés et indices ciblant les investisseurs passifs à une évaluation de la durabilité et publié cette évaluation sur sa page de cotes standard⁸. Étant donné que les investisseurs de la génération Y deviennent un segment de plus en plus important du marché de l’investissement de détail, leur intérêt pour les investissements fondés sur la valeur (une autre façon d’envisager l’intégration des facteurs ESG) augmentera la pression en faveur de la transparence des facteurs ESG, même au niveau des fonds. En définitive, étant donné que les investisseurs passifs sont par nature des investisseurs à long terme, l’intégration des facteurs ESG devient un élément encore plus important de la gestion des risques dans le cadre d’une stratégie passive.
  • Investisseurs d’impact : Bien que l’investissement d’impact – investir dans des entreprises qui ont l’objectif de s’attaquer à des enjeux environnementaux ou sociaux particuliers pour en améliorer les résultats – demeure un créneau restreint au Canada, avec seulement 15 milliards de dollars, il peut représenter une nouvelle source de capital pour les entreprises exerçant leurs activités dans les bons secteurs⁹.

L’absence d’une gestion et d’informations fondées sur les risques en matière d’ESG peut entraîner une sous-évaluation

Pour alimenter leurs modèles d’investissement, les investisseurs exigent des données ESG de grande qualité, axées sur le risque et comparables entre les entreprises et les secteurs, mais de telles données ne sont pas facilement disponibles dans le contexte de présentation de l’information des sociétés d’aujourd’hui.

Le sondage mondial de 2019 d’EY auprès des investisseurs institutionnels sur les facteurs ESG indiquait que 56 % des investisseurs étaient d’avis que l’information sur les questions ESG n’était pas suffisante, soit une légère amélioration depuis 2017, alors que 60 % des investisseurs étaient de cet avis.

Les informations communiquées par les entreprises portent trop souvent sur les mesures prises par opposition aux raisons expliquant de telles mesures et pas suffisamment sur le lien entre les résultats des facteurs ESG et la performance de l’entreprise. Les investisseurs veulent des informations ESG qui identifient les facteurs environnementaux et sociaux importants pour l’entreprise dans l’atteinte de ses objectifs stratégiques et qui établissent des cibles en lien avec ces facteurs qui seront pertinents à moyen et à long terme.

De la même manière qu’une entreprise doit communiquer les bons comme les mauvais côtés lorsqu’il est question de ses informations financières, de l’information ESG de qualité devrait également faire connaître ce qui est bon et ce qui l’est moins sur des sujets importants, ainsi que les plans de l’entreprise pour remédier à toute lacune.

Lorsqu’une entreprise échoue à fournir des informations ESG de qualité aux investisseurs, ces derniers se tournent souvent vers des agences de notation tierces ou des modèles internes généralisés. À l’instar des sociétés spécialisées telles que Sustainalytics, de grands noms comme Bloomberg, ISS, Moody’s, MSCI et S&P publient maintenant des notations en matière d’environnement, de responsabilité sociale et de gouvernance propres aux entreprises. Cependant, de telles notations peuvent être perçues comme non uniformes¹⁰, et leur qualité peut en souffrir en raison du manque de normes comptables à l’égard des informations ESG et du fait que les rapports sur de telles données demeurent facultatifs dans la plupart des territoires. Lorsque vous laissez le soin à des agences tierces de déduire l’information sur votre performance en matière de facteurs ESG à partir de sources indirectes, vous perdez une excellente occasion de présenter votre propre point de vue.

 

Pleins feux sur les changements climatiques

Les changements climatiques sont l’un des risques prioritaires pour les investisseurs d’aujourd’hui en raison des risques liés à la stabilité financière qui peuvent en découler.

Les investisseurs comme les émetteurs se fient aux nouvelles règles mises de l’avant par les investisseurs, y compris au Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (« GIFCC »), pour mieux évaluer et gérer les risques liés au climat ainsi que présenter les informations à leur égard aux entreprises et aux portefeuilles. Par conséquent, à l’heure actuelle, bon nombre de conseils d’administration et d’entreprises concentrent leurs efforts en matière de facteurs ESG sur leur évaluation et répondent au risque lié aux changements climatiques comme l’un des principaux risques ou comme un point d’entrée en particulier du cadre en matière d’environnement, de responsabilité sociale et de gouvernance.

De quelle façon les organisations devraient-elles répondre?

Notre expérience nous montre que les entreprises qui sont proactives sur le plan des questions ESG possèdent un avantage certain sur le marché. Même les premiers adoptants qui ont produit des rapports sur le développement durable pendant nombre d’années doivent effectuer une transition active de leur stratégie et des informations à fournir vers la nouvelle ère ESG.

Il existe des outils pour vous aider. Les évaluations de la pertinence du développement durable utilisées traditionnellement pour identifier les principaux enjeux ESG d’une entreprise peuvent être adoptées dans le cadre d’un exercice axé sur les risques et les investisseurs.

Le Committee of Sponsoring Organizations (COSO) a collaboré avec le World Business Council for Sustainable Development afin de publier des lignes directrices détaillées sur la façon dont les facteurs ESG peuvent être intégrés aux pratiques en matière de gestion du risque en entreprise. Les cadres de communication d’information axés sur les investisseurs tels que ceux élaborés par le Sustainable Accounting Standards Board et le GIFCC peuvent faire en sorte d’adapter les informations afin qu’elles répondent mieux aux besoins des investisseurs.

Il importe d’abord et avant tout de ne pas oublier qu’il s’agit d’un objectif. Que vous revoyiez l’ensemble de vos stratégies en matière d’ESG ou que vous vous penchiez sur les facteurs ESG pour la première fois, les investisseurs comprennent que le changement ne peut venir d’un seul coup. Dans les premières étapes, établir votre vision sur l’incidence des questions ESG sur votre entreprise, appuyée par une stratégie pluriannuelle et une feuille de route, peut faire autant pour changer les perspectives que de solides mesures et objectifs à long terme. Parmi les autres étapes importantes, mentionnons l’intégration des facteurs ESG dans le registre des risques d’entreprise et la communication d’informations clés pour les investisseurs.

Une chose demeure : les conseils d’administration et les cadres ont l’obligation fiduciaire de tenir compte de la façon dont leur organisation détermine et gère les risques liés aux questions ESG et de l’information que le marché obtient sur leur performance. Ne pas déployer les efforts nécessaires à ce stade-ci peut signifier laisser de l’argent sur la table.

Autres références

  1. The link between ESG and performance, site Web, http://www.robeco.com/en/insights/2019/01/the-link-between-esg-and-performance.html, 9 janvier 2019.
  2. Robert G. Eccles, Ioannis Ioannou et George Serafeim. The Impact of Corporate Sustainability on Organizational Processes and Performance, site Web Harvard Business School, http://www.hbs.edu/faculty/Publication%20Files/SSRN-id1964011_6791edac-7daa-4603-a220-4a0c6c7a3f7a.pdf, 25 novembre 2011.
  3. Climate change threatens ‘both the economy and the financial system, says Bank of Canada, site Web Canadian Broadcasting Corporation, http://www.cbc.ca/news/politics/climate-change-bank-of-canada-financial-system-review-1.5137625, 16 mai 2019.
  4. Why sustainable investing matters, site Web EY, https://www.ey.com/en_us/financial-services/why-sustainable-investing-matters, 19 juin 2018.
  • Montrer les sources de l'article

    1. 2018 Canadian Responsible Investment Trends Report, site Web Responsible Investment Association, https://www.riacanada.ca/content/uploads/2018/10/2018-RI-Trends-Report-FINAL-WEB-1.pdf, octobre 2018.
    2. 2018 Canadian Responsible Investment Trends Report, site Web Responsible Investment Association, https://www.riacanada.ca/content/uploads/2018/10/2018-RI-Trends-Report-FINAL-WEB-1.pdf, octobre 2018.
    3. From the Stockholder to the Stakeholder: How Sustainability Can Drive Financial Outperformance, site Web Arabesque Partners, https://www.arabesque.com/research/From_the_stockholder_to_the_stakeholder_web.pdf, mars 2015.
    4. L’avenir de l’intégration des critères ESG, site Web Gestion mondiale d’actifs de RBC, https://www.rbcgam.com/fr/ca/article/the-future-of-esg-integration/detail, 15 janvier 2019.
    5. Charting a Sustainable Advantage: 2018 Responsible Investing Survey, site Web RBC Global Asset Management, https://www.rbcgam.com/documents/en/other/esg-executive-summary.pdf, octobre 2018.
    6. Sustainable Financing and Investing Survey 2019: Markets alert to the environment and society, site Web HSBC, https://www.societygbm.hsbc.com/insights/sustainable-financing/sustainable-financing-and-investing-survey-2019, 24 septembre 2019.
    7. 2018 Canadian Responsible Investment Trends Report, site Web Responsible Investment Association, riacanada.ca/content/uploads/2018/10/2018-RI-Trends-Report-FINAL-WEB-1.pdf, octobre 2018.
    8. Morningstar Sustainability Rating: Methodology, site Web Morningstar, http://www.morningstar.com/content/dam/marketing/shared/Company/Trends/Sustainability/Detail/Documents/Morningstar-Sustainability-Rating-Methodology-0916.pdf, 31 octobre 2018.
    9. 2018 Canadian Responsible Investment Trends Report, site Web Responsible Investment Association, http://www.riacanada.ca/content/uploads/2018/10/2018-RI-Trends-Report-FINAL-WEB-1.pdf, octobre 2018.
    10. Timothy M. Doyle. Ratings That Don’t Rate: The Subjective World Of ESG Ratings Agencies, site Web American Council for Capital Formation, http://www.accfcorpgov.org/wp-content/uploads/2018/07/ACCF_RatingsESGReport.pdf, juillet 2018.

Résumé

Le secteur de l’investissement s’est transformé en ce qui concerne les programmes portant sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Autrefois reléguées à de longs rapports isolés sur le développement durable qui, souvent, n’attiraient pas beaucoup l’attention, les questions ESG sont revenues au premier plan des priorités des investisseurs.

À propos de cet article

Par Thibaut Millet

Associé, groupe canadien Services en changements climatiques et développement durable d’EY

Leader du monde des affaires et en environnement. Contributeur au capitalisme propre. Guide les entreprises sur le chemin du développement durable. Diplômé du MBA de McGill.