8 minutes de lecture 12 juill. 2018
Cup of tea with cannabis leaf

Comment les C. A. peuvent stimuler la croissance du secteur du cannabis

Par Monica Chadha

Leader nationale du secteur du commerce de détail, EY Canada

Définir la réussite dans des industries dynamiques. Passionnée de création littéraire, de santé et de bien-être.

8 minutes de lecture 12 juill. 2018

Le Canada peut devenir un leader mondial de l’industrie du cannabis, mais les conseils d’administration parviendront-ils à le demeurer? 

T
andis que les Canadiens se préparent à la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives cet été au Canada, EY s’intéresse aux enjeux potentiels de ce nouveau marché inconnu. Dans ce volet de notre série Ne tournons pas autour du pot, nous nous intéressons à la forme que pourrait prendre la gouvernance des producteurs de cannabis autorisés. Nous nous sommes entretenus avec Deborah Rosati, administratrice de sociétés chevronnée, pour recueillir son point de vue sur la forme et l’étendue possibles à donner aux responsabilités des administrateurs dans ce nouvel environnement.

EY : La gestion des risques a un sens large dans l’industrie du cannabis. Comment les conseils d’administration définissent-ils les risques?

DR : Le risque est un concept flou qui peut être interprété de différentes façons; or, il est essentiel d’en préciser le sens pour que tous l’assument de la même façon. Quelle place la gestion des risques doit-elle occuper au sein d’un conseil d’administration? Selon moi, la gestion de la totalité des risques ne devrait pas seulement incomber au comité d’audit, mais bien à l’ensemble du conseil.

Les conseils doivent prendre du recul, car leur rôle en est un de surveillance, et ils doivent adopter une vue d’ensemble pour aborder la gestion des risques. Mais puisque des occasions découlent des risques, il est aussi important que les conseils effectuent une analyse des forces, des faiblesses, des possibilités et des menaces. Par exemple, comment doit-on s’y prendre pour tenter une percée à l’étranger? À quelles conditions se fait une intégration dans le marché américain?

Dans l’industrie du cannabis, bon nombre de risques demeurent inconnus – tout doit être défini, de l’approvisionnement au potentiel de croissance. Et comme les risques changent constamment, ils doivent impérativement rester à l’ordre du jour des conseils d’administration.

Dans cette industrie, les entreprises partent de zéro à bien des égards. Donc, selon moi, elles n’ont pas à avoir déjà en place un cadre de gestion des risques rigoureux, un chef de la gestion des risques, et ainsi de suite. Les leaders de ces entreprises devraient plutôt faire appel à l’expérience de conseillers externes.

En fin de compte, c’est grâce à sa direction qu’une entreprise parviendra à naviguer entre les écueils.

EY : Les conseils d’administration s’attendent-ils à ce que la direction investisse dans l’établissement de bonnes pratiques, d’un concept et d’une structure organisationnels pour appuyer leurs objectifs stratégiques?

DR : La visée de l’entreprise repose sur la stratégie choisie. Dès le début, si votre production et votre approvisionnement sont déficients, vous risquez de vous retrouver à la traîne.

Les entreprises doivent pouvoir compter sur un chef de l’exploitation et disposer d’un système de contrôle qualité. Cette industrie est fortement réglementée – lorsque vous demanderez à Santé Canada de renouveler votre permis, il vaudra mieux pour vous que vos activités d’exploitation soient en ordre. Ce n’est pas très différent de la réalité de l’industrie du tabac ou du secteur de l’agriculture. Dans ces secteurs fortement réglementés, les entreprises doivent se doter de solutions d’ingénierie et de contrôles qualité. Leur rendement sera examiné et évalué en fonction de certains indicateurs de performance clés.

Même si elles exerceront leurs activités dans une toute nouvelle industrie, les entreprises devront définir clairement leur structure organisationnelle et se doter de processus opérationnels solides. Les conseils, par exemple, s’intéresseront au plan de relève de ces entreprises – et se demanderont si la direction a adopté les pratiques appropriées en matière d’embauche et d’emploi, si nécessaires à la croissance future des entreprises.

Des ressources humaines à l’approvisionnement en passant par les finances et l’ingénierie, de bonnes fondations assureront la prospérité des entreprises de producteurs autorisés dans une industrie en forte expansion. Pour se doter de fondations adéquates, les leaders de l’industrie du cannabis peuvent s’inspirer des meilleures pratiques en vigueur dans d’autres secteurs.

EY : Pour quelles raisons un administrateur choisirait-il l’industrie du cannabis? Quel conseil donneriez-vous aux administrateurs hésitants?

DR : Cette industrie sera bientôt tout à fait légale, mais bon nombre d’administrateurs hésitent toujours à y jouer un rôle, par peur de mettre leur réputation en jeu. C’est aussi ce qui se produit dans l’industrie du tabac : certaines personnes se demandent si vous avez raison de vous y engager.

Moi-même, j’ai douté au début. Mais je suis une entrepreneure : je suis attirée par les occasions d’affaires et par les bénéfices potentiels à en tirer. Selon moi, l’industrie du cannabis présente un fort potentiel de croissance et c’est exactement le genre d’occasion qui m’attire.

Le moment tournant pour moi a été le moment où les grandes banques ont décidé d’appuyer les entreprises dans cette industrie. La Banque de Montréal et la CIBC ont financé des entreprises dans l’industrie du cannabis et l’ancien chef de la direction de la Banque TD, Ed Clark, sera bientôt nommé président de la Liquor Control Board of Ontario (LCBO), qui chapeautera l’ensemble des activités encadrant la vente au détail des produits du cannabis en Ontario. Ces faits ont donné plus de crédibilité à l’industrie et lui ont permis de gagner en respectabilité et, finalement, je crois que la réticence d’autres administrateurs s’estompera.

Je conseillerai aux administrateurs de bien réfléchir avant de prendre une décision et de tenir compte du point où ils en sont dans leur carrière. Cette industrie émergente est en forte croissance   par conséquent, votre emploi du temps sera très chargé. Si vous avez une jeune famille, serez-vous prêt à consacrer les longues heures exigées? Dans cette nouvelle industrie, tout commencera sur les chapeaux de roue. Quelles sont vos attentes en matière de risque, d’engagement en temps et de bénéfices?

Pour ceux qui sont tentés par l’aventure, l’industrie offre véritablement de nouvelles possibilités. Souhaitez-vous contribuer à façonner et à influencer une industrie qui en est à ses balbutiements ou préférez-vous attendre qu’elle soit plus mature pour vous y intégrer?

Vous devriez aussi effectuer votre propre examen de l’industrie. Retroussez-vous les manches et apprenez-en le plus possible! Une société nouvellement ouverte traversera pour la première fois chaque étape de son cycle, donc ce n’est pas le genre de conseil qui vous convient s’il s’agit d’une première expérience. Ces entreprises ont besoin d’administrateurs chevronnés disposant d’un bagage d’expériences diverses, notamment en matière de marchés financiers, de produits pharmaceutiques, de présentation des produits, de marque, etc.

De plus, ces conseils d’administration seront petits. Vous travaillerez avec des gens qui en seront eux aussi à leurs premiers pas dans l’industrie. La culture en place vous conviendra-t-elle? Travaillerez-vous avec des gens dignes de confiance et respectables?

Les entreprises de produits de cannabis doivent s’assurer que les membres de leur conseil sont vraiment indépendants et qu’ils savent reconnaître de bons processus de gouvernance. Il peut être difficile de trouver les bonnes personnes qualifiées, mais elles sont là! Il faut juste prendre un peu plus de temps et chercher au bon endroit pour les dénicher. Heureusement, bien plus de candidats s’intéressent à cette industrie qu’il y a un an.

EY : La trajectoire de croissance des entreprises dans ce secteur est fulgurante. Comment les conseils d’administration peuvent-ils faire de plus en plus confiance aux capacités d’une direction à gérer les risques qui accompagnent une croissance sans précédent?

DR : Effectivement, une forte croissance entraîne des risques inconnus.

Même les lignes de production finissent par évoluer et s’améliorer avec le temps, ce qui veut dire qu’il est crucial de mesurer sa performance : sa capacité, son rendement, la construction et la gestion de nouvelles installations, l’embauche et les revenus. Ça fait beaucoup de données financières à couvrir.

Vous devez garder en tête le budget de votre entreprise et connaître sa situation par rapport au budget. Qu’en est-il de la mise en production? Et du personnel? Il faut pouvoir mesurer toutes les données importantes d’une unité fonctionnelle de l’entreprise, de la qualité aux ressources humaines. Si les mesures ne conviennent pas, vous devez réfléchir et découvrir pourquoi.

Pour ce qui est de percer des marchés à l’étranger, il y a tellement de destinations possibles. Vous ne pouvez pas vous y aventurer d’un coup; votre approche doit être stratégique. Cette percée se fait-elle dans le cadre d’une entente de licence? D’une coentreprise? Il n’existe pas de modèle standard à suivre, alors, à l’étranger, vous devrez compter sur de bons partenaires locaux pour vous assurer que vos opérations à l’étranger seront couronnées de succès.

Puisque le Canada est le premier pays à légaliser la consommation du cannabis à des fins récréatives à l’échelle nationale, des acteurs d’autres pays viennent s’installer ici et obtiennent des permis. Nous avons l’occasion de devenir des leaders mondiaux, mais parviendrons-nous à conserver cette position enviable?

Il y a fort à parier que l’industrie sera rapidement le théâtre de regroupements et qu’elle comptera déjà bien moins de joueurs d’ici trois à cinq ans. Ceux qui se spécialiseront dans un créneau donné deviendront les leaders de l’industrie. Les entreprises sont déjà en train de se positionner. Préférez-vous miser sur une croissance interne ou sur une fusion? Plusieurs voies s’offriront à vous, du financement à l’expansion internationale, en passant par le choix de structures fiscales. Du jamais vu! Vous devez donc bien vous renseigner avant de prendre des décisions et espérer que vous posez les bonnes questions. Il y a tellement de fronts à couvrir que vous devrez vous adapter aux situations au fur et à mesure qu’elles surviennent.

EY : Une structure de gouvernance et un programme de gestion des risques solides constituent-ils un avantage concurrentiel?

DR : Les entreprises veulent être viables à long terme et socialement responsables. Pour y arriver, il est crucial qu’elles définissent les fondements de leurs processus. Votre environnement change constamment et vous contribuez à le définir, donc mieux vaut tenter de contribuer sans tarder à son amélioration en embauchant les bonnes personnes, en vous attaquant aux bons enjeux et en déployant les structures appropriées.

L’industrie du cannabis peut tirer des leçons d’autres secteurs – tant de leurs meilleures pratiques que des pièges à éviter – et ainsi tirer le meilleur de tous les mondes. L’industrie ne se placera pas à la fine pointe de la technologie et il est difficile de prévoir la forme qu’elle prendra dans les quelques prochaines années.

Les dirigeants d’entreprises dans l’industrie du cannabis font appel aux technologies, mettant à profit les technologies éprouvées tout en cherchant à innover. Les technologies touchent tellement de sphères de ces organisations, contribuant notamment à la culture de variétés de cannabis uniques, au développement de nouveaux produits et même à la gestion des installations. Assurez-vous que les technologies que vous adoptez sont durables et peuvent être réitérées.

Le compte rendu de cette entrevue a été modifié et résumé.

Les points de vue de tiers figurant dans la présente publication ne correspondent pas nécessairement à ceux de l’organisation mondiale EY ou à ceux de ses sociétés membres. Ces points de vue doivent par ailleurs être considérés en tenant compte du moment où ils ont été exprimés.

Résumé

Dans ce volet de notre série Ne tournons pas autour du pot, nous nous intéressons à la forme que pourrait prendre la gouvernance des producteurs de cannabis autorisés. Nous nous sommes entretenus avec Deborah Rosati, administratrice de sociétés chevronnée, pour recueillir son point de vue sur la forme et l’étendue possibles à donner aux responsabilités des administrateurs.

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Par Monica Chadha

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