Ayoub v. The King, 2025 TCC 48
Kelsey Horning et Caitlin Morin, Toronto, et Jeanne Posey, Vancouver
Dans l’affaire Ayoub v. The King, la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») s’est penchée sur la responsabilité de l’administrateur dans le cas de l’omission par une société de verser la taxe sur les produits et services / taxe de vente harmonisée (la « TPS/TVH »). Cette omission était partiellement attribuable à la présomption de vente découlant de la location d’immeubles résidentiels neufs avant leur vente.
La CCI a rejeté les arguments de l’administrateur selon lesquels la société n’avait pas omis de verser la taxe, car elle n’avait jamais perçu le produit de la vente, et que la défense de diligence raisonnable devrait s’appliquer. La CCI a considéré que les mesures prises par l’administrateur pour empêcher l’omission étaient insuffisantes pour établir le bien-fondé d’une défense de diligence raisonnable.
Contexte et faits
Contexte
M. A était l’unique administrateur et actionnaire d’une société qui exerçait des activités de construction de maisons sur mesure et qui avait antérieurement fait de la gestion de projets pour des projets de construction de telles maisons. Après avoir commencé la construction d’habitations en vue de la revente, la société avait entamé la construction de six habitations à Ottawa. En 2014 et en 2015, les conditions du marché s’étaient détériorées, et la société avait de la difficulté à vendre les habitations si bien que M. A en avait réduit le prix.
Même si trois des habitations avaient été vendues au cours de la première moitié de 2014, la société éprouvait des difficultés financières. M. A avait investi des fonds personnels dans la société et emprunté des fonds à ses amis, à sa famille ainsi qu’à des prêteurs privés pour couvrir les coûts de clôture et les coûts récurrents. Pendant cette période, les prêteurs avaient aussi demandé le remboursement des prêts hypothécaires en cours.
Après avoir consulté son avocat et un agent immobilier, M. A avait décidé de louer deux des habitations pour générer des liquidités. Ces habitations étaient demeurées en vente pendant les périodes de location. La première habitation avait été louée à un tiers le 10 avril 2015, puis vendue en juillet 2017. La seconde avait été louée à un tiers le 28 octobre 2015, puis vendue en octobre 2016.
En octobre 2015, le comptable de M. A l’avait informé que la location des habitations avait entraîné une obligation de verser la TPS/TVH, mais la société n’avait pas versé le montant de taxes applicable. Les deux habitations avaient par la suite été vendues, mais aucune TPS/TVH n’avait été perçue puisqu’il s’agissait de ventes exonérées.
En résumé, la société n’avait pas versé le montant requis de TPS/TVH, dans le délai et selon les modalités prévus, pour plusieurs périodes de déclaration en 2014, en 2015 et en 2016. En outre, la plupart des déclarations de la société au cours des périodes pertinentes avaient été produites plusieurs mois après la date d’échéance.
Règles sur la fourniture à soi-même et responsabilité de l’administrateur
Des cotisations avaient été établies à l’égard de la société en vertu des règles sur la fourniture à soi-même prévues dans la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »). Ces règles prévoient que, dans le cas où un constructeur loue un immeuble résidentiel neuf ou ayant fait l’objet de rénovations avant de le vendre, l’immeuble fait l’objet d’une présomption de vente, et le constructeur doit percevoir et verser la TPS/TVH sur cette vente réputée.
Sans les règles relatives à la fourniture à soi‑même, la Couronne n’aurait pas l’occasion de percevoir la TPS/TVH à l’égard d’une habitation louée par un constructeur malgré l’octroi de crédits de taxe sur les intrants pendant la phase de construction.
L’Agence du revenu du Canada avait établi une cotisation de 332 863 $ à l’égard de la société à titre de taxe nette à payer, de pénalités et d’intérêts pour les trimestres terminés les 31 décembre 2014, 31 mars 2015, 30 juin 2015 et 30 septembre 2016.
En vertu des dispositions sur la responsabilité des administrateurs prévues dans la LTA, une cotisation avait été établie relativement à M. A, lequel était solidairement tenu avec la société de payer le montant dû. Ces dispositions prévoient qu’un administrateur peut être tenu responsable de la TPS/TVH à payer par la société, sauf si une défense de diligence raisonnable (abordée plus loin) ou si une autre exception s’applique, comme le fait d’avoir cessé d’être administrateur deux ans avant l’établissement de la cotisation, le cas échéant.
Analyse de la CCI
Ni M. A ni la société n’ont contesté le montant de TPS/TVH établi dans la cotisation. M. A a plutôt fait valoir que la société n’avait pas reçu le produit de la vente réputée des habitations louées ni perçu de TPS/TVH, il n’avait donc pas omis d’effectuer de versements. La CCI a rejeté cet argument.
Dans le cas des habitations louées, il y avait eu, en vertu des dispositions pertinentes, une vente présumée fondée sur la juste valeur marchande des habitations au moment où elles avaient été louées. La LTA établit une obligation de calculer la taxe nette en fonction « (d)es montants devenus percevables et (d)es autres montants perçus ». Autrement dit, l’obligation de versement ne dépend pas de la perception réelle de la TPS/TVH.
M. A a aussi soutenu que la défense de diligence raisonnable s’appliquait quant à la responsabilité des administrateurs. La CCI a également rejeté cet argument.
Dans la défense de diligence raisonnable prévue par la LTA, l’administrateur prend des mesures pour empêcher l’omission, par la société, de verser la taxe à payer. Plus précisément, l’administrateur est tenu d’agir « avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement […] que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances ».
La CCI a souligné que la norme de diligence était accrue lorsque, comme en l’espèce, les administrateurs savent que la société éprouve des difficultés financières.
La CCI a fait remarquer que, même si la société avait produit tardivement les déclarations et payé une partie de la taxe due, les mesures prises pour financer la société et corriger les manquements après coup ne suffisaient pas à établir le bien‑fondé d’une défense de diligence raisonnable. La CCI a également ajouté que M. A n’avait pas consulté son comptable ni un autre professionnel de la fiscalité avant de louer les deux habitations, ce à quoi on aurait pu s’attendre s’il était préoccupé par les versements de la TPS/TVH.
En outre, les fonds que M. A et d’autres parties ont investis dans la société ont été utilisés à d’autres fins, comme le règlement des emprunts hypothécaires et l’obtention de fonds suffisants à la clôture, et non pour s’acquitter des obligations fiscales. La CCI a conclu que M. A n’avait pas fait de l’obligation incombant à la société de verser la taxe due une priorité.
Leçons tirées
Cette décision fait ressortir les critères de la défense de diligence raisonnable en vertu de la LTA quant à la responsabilité des administrateurs, notamment lorsque les administrateurs sont au courant des difficultés financières qu’éprouve la société. Les administrateurs doivent veiller au respect des obligations liées à la TPS/TVH et prendre les mesures nécessaires pour empêcher un défaut de versement de la taxe. Un administrateur peut être solidairement tenu avec la société de payer la TPS/TVH non versée ainsi que les intérêts ou pénalités connexes.
Les contribuables dans le secteur du développement immobilier devraient prendre note que les règles sur la fourniture à soi‑même peuvent s’appliquer s’ils louent un immeuble résidentiel neuf ou ayant fait l’objet de rénovations au lieu de le vendre. Ils devraient également demander conseil à un professionnel pour évaluer les incidences fiscales et veiller au respect de leurs obligations avant de louer ou de vendre un immeuble.