Krista Fox et Alan Roth, Toronto
Le budget fédéral de 2022 a instauré des règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels pour s’assurer que les profits découlant d’une revente précipitée de biens immobiliers résidentiels au Canada soient considérés comme un revenu d’entreprise plutôt que comme un gain en capital, et soient ainsi assujettis à l’imposition complète.
Ces règles s’appliquent aux dispositions effectuées après 2022. Nous avons traité de ces règles, ainsi que d’autres mesures fédérales récentes visant à accroître l’abordabilité du logement, dans l’article « Pleins feux sur le logement » paru dans le numéro de février 2023 du bulletin Questionsfiscales@EY : spécial patrimoine familial.
Le présent article fait le point sur les développements récents, et traite notamment des commentaires que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a formulés sur l’application des règles à certains transferts de biens d’une société, sur la détermination de la date d’acquisition d’un bien aux fins des règles et sur l’interaction des règles sur les changements d’usage et des règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels.
Contexte
Selon la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), un bien à revente précipitée d’un contribuable s’entend d’un bien (sauf un bien figurant à l’inventaire) qui est un logement situé au Canada (ou un droit d’acquérir un logement situé au Canada, dans le cas de la cession d’un contrat de vente) qui a été détenu par le contribuable pendant moins de 365 jours consécutifs avant sa disposition, sauf si la disposition s’est produite en raison d’un des événements de la vie comme le décès, l’échec du mariage, une maladie grave, une invalidité ou une insolvabilité.
Si un logement est un bien à revente précipitée, tout gain réalisé à la disposition de ce bien est entièrement imposable à titre de revenu d’entreprise et ne donne pas droit à l’exemption pour résidence principale. Si la disposition donne lieu à une perte, cette perte est considérée comme une perte d’entreprise refusée.
Transferts de biens d’une société
En réponse à des questions du même ordre posées lors de la conférence nationale de 2024 de la Fondation canadienne de fiscalité (document de l’ARC no 2024‑1037751C6) et du congrès de 2024 de l’Association de planification fiscale et financière (l’« APFF ») (document de l’ARC no 2024‑1028361C6), l’ARC a formulé des commentaires sur l’application des règles sur les reventes précipitées dans le cadre d’une série de scénarios où un immeuble résidentiel locatif canadien appartenant à une société est transféré à une autre société en janvier (par suite d’une fusion ou d’une liquidation, par voie de roulement avec report d’impôt en vertu de l’article 85 de la LIR ou lors d’une vente à la juste valeur marchande) avant de faire l’objet d’une disposition en décembre de la même année.
L’ARC a indiqué qu’aux fins des règles sur les reventes précipitées, la période de détention relative à un logement, pour un contribuable, débute lorsque celui‑ci en devient propriétaire. Une société issue d’une fusion est réputée être une nouvelle société en vertu de la LIR, et la nouvelle société est réputée devenir propriétaire des biens appartenant aux sociétés remplacées. Par conséquent, si une société issue d’une fusion détient le bien transféré moins de 365 jours consécutifs avant sa disposition, comme dans le scénario de fusion décrit, les règles sur les reventes précipitées pourraient trouver application, pourvu que toutes les autres conditions soient respectées.
Pareillement, l’ARC a conclu que dans le cas d’une société mère qui liquide une filiale, le moment où la société mère se voit attribuer le bien de la filiale et où la filiale est réputée avoir disposé du bien en vertu de la LIR correspond généralement au moment qui marque le début de la détention du bien par la société mère. Ainsi, dans ce genre de situation, si la société mère avait détenu le bien pendant moins de 365 jours consécutifs avant sa disposition, alors les règles sur les reventes précipitées pourraient s’appliquer, comme dans le scénario de liquidation décrit.
L’ARC a indiqué que les règles sur les reventes précipitées ne comprennent aucune règle sur la continuité de la propriété lorsque le bien est acquis auprès d’une personne liée ou avec lien de dépendance dans le cadre d’un roulement avec report d’impôt en vertu de l’article 85. En conséquence, un bien est considéré être acquis par le cessionnaire au moment du roulement, de sorte que les règles sur les reventes précipitées pourraient s’appliquer si le cessionnaire détient alors le bien pendant moins de 365 jours consécutifs avant sa disposition, comme dans le scénario présenté.
De même, relativement à la vente à la juste valeur marchande d’un bien d’une société à une société liée, l’ARC a souligné que les règles sur les reventes précipitées ne prévoient aucune exception ni règle sur la continuité dans le cas d’un tel transfert.
L’ARC a aussi confirmé que le revenu d’une société privée sous contrôle canadien provenant de la disposition d’un bien à revente précipitée pourrait constituer un revenu provenant d’une entreprise exploitée activement, ce qui comprend un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, et être admissible à la déduction accordée aux petites entreprises, pourvu que toutes les conditions pertinentes prévues dans la LIR soient remplies.
L’ARC a toutefois souligné qu’elle pourrait, selon les circonstances, envisager l’application de la règle générale anti-évitement dans le cadre des différents scénarios présentés si l’un des principaux objets d’une opération était l’obtention d’un avantage fiscal auquel un contribuable n’aurait pas autrement eu droit.
Enfin, l’ARC a précisé que même si les règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels ne s’appliquent pas dans un scénario donné, la question de savoir si la disposition d’un bien donne lieu à un revenu d’entreprise ou à un gain en capital ne peut être tranchée qu’à la suite d’un examen des faits et circonstances propres à la situation.
Détermination de la date d’acquisition du bien
Dans une autre question posée lors du congrès 2024 de l’APFF (document de l’ARC no 2024‑1027801C6), l’ARC devait expliquer comment elle déterminait la date d’acquisition d’un logement par un contribuable aux fins des règles sur les reventes précipitées, dans la situation où le contribuable construit, fait construire ou remplace un logement existant.
Il a été souligné qu’aux fins du régime d’accession à la propriété et du compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, la position de l’ARC était que la date d’acquisition d’un logement est la date où le bien devient habitable, par exemple lorsqu’il est doté de l’eau courante, de l’électricité, du chauffage et d’une salle de bain fonctionnelle.
L’ARC a confirmé que généralement, dans la situation où un contribuable construit, fait construire ou remplace un logement sur un terrain dont il est propriétaire, la date de début de la détention du logement, aux fins des règles sur les reventes précipitées, est la date à laquelle le logement devient habitable. L’ARC a aussi mentionné que la détermination du moment où le logement est devenu habitable est une question de fait qui doit être évaluée à la lumière de tous les faits et circonstances propres à chaque situation.
Règles sur le changement d’usage
Enfin, dans le cadre d’une autre question posée lors du congrès 2024 de l’APFF (document de l’ARC no 2024‑1027831C6), l’ARC s’est prononcée sur l’interaction des règles sur les changements d’usage prévues à l’article 45 de la LIR et des règles sur la revente précipitée d’immeubles résidentiels.
Dans le scénario présenté, un contribuable décide, en juin 2024, de mettre en location une résidence dont il est propriétaire et qu’il utilise à des fins personnelles depuis de nombreuses années. Le contribuable n’a pas fait le choix prévu au paragraphe 45(2) pour qu’il soit réputé qu’il n’y a pas eu de changement d’usage, de sorte que les règles sur le changement d’usage s’appliquent, donnant lieu à une disposition réputée du bien.
Moins d’un an plus tard, en avril 2025, le contribuable reçoit une offre intéressante et décide de vendre la résidence. L’ARC était appelée à préciser si la disposition réputée et la nouvelle acquisition du bien au moment du changement d’usage entraîneraient l’application des règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels lors de la vente du bien, étant donné que le contribuable détenait le logement pendant moins de 365 jours consécutifs entre le changement d’usage et la date de la vente du bien.
L’ARC a souligné que la définition du terme disposition dans la LIR énumère diverses opérations qui donnent lieu ou non à une disposition pour les fins de la LIR. Cette définition ne fait aucune mention de la question des changements d’usage. L’ARC a déclaré que même si un contribuable est réputé avoir disposé d’un bien en vertu des règles sur le changement d’usage et l’avoir, aussitôt après, acquis de nouveau à la juste valeur marchande lorsqu’il cesse d’utiliser sa résidence à des fins personnelles et qu’il commence à l’utiliser en vue de gagner un revenu sans faire le choix prévu au paragraphe 45(2), la présomption ne s’applique qu’au calcul des gains en capital imposables et des pertes en capital déductibles en vertu de la sous‑section C de la section B de la partie I de la LIR.
Par conséquent, puisque les règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels se trouvent à la sous‑section B de la section B, laquelle porte sur le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien, le contribuable dans le scénario présenté ne serait pas réputé avoir disposé du bien et l’avoir acquis de nouveau aux fins des règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels.
Conclusion
Les commentaires de l’ARC démontrent que l’application des règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels à des scénarios précis peut donner des résultats inattendus. Il reste à voir si le ministère des Finances envisagera d’apporter des modifications aux règles maintenant que l’ARC a mis en lumière certains résultats insatisfaisants, comme l’absence d’une règle sur la continuité de la propriété pour certaines restructurations d’entreprises aux fins des règles sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels.
Pour plus de précisions, consultez votre conseiller en fiscalité EY.