3. L’ASSIETTE ET LE TAUX
Nous analyserons ci-après les règles d’évaluation de l’actif imposable (§1), la déduction des dettes (§2), le taux de l’IFI (§3) et la méthodologie de calcul de l’IFI (§4).
(§1) Les règles d’évaluation
L’article 23 de la LF 2023 ne comporte pas de dispositions circonstanciées traitant des règles d’évaluation des actifs immobiliers. En fait, cet article se limite à prévoir dans son paragraphe 1er que le seuil de 3 MDT se réfère à la valeur « commerciale réelle » desdits actifs (قيمتها التجارية الحقيقية) — qui correspond vraisemblablement à la valeur vénale de ce patrimoine —. On sait aussi que le 3e paragraphe prévoit certaines exonérations (habitation principale et immeubles à destination professionnelle) et que le 4e paragraphe fait inclure les parts des sociétés civiles immobilières dans le seuil des 3 MDT.
A — Règles d’évaluation des biens immobiliers
Le redevable de l’IFI est tenu de procéder à l’évaluation de son patrimoine immobilier à sa valeur vénale. L’exercice n’est sans doute pas aisé, car, pour le contribuable et à la différence des services fiscaux, il n’est pas toujours évident de disposer de comparables et d’informations sur les transactions récentes et les prix immobiliers. La loi aurait dû faire preuve de mansuétude à l’égard du redevable, de bonne foi, qui démontre qu'il n'était pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l'estimation de son patrimoine.
Outre cela, lorsque les biens immobiliers sont situés dans différents pays, le redevable de l’IFI en Tunisie peut être amené à effectuer cet exercice d’évaluation dans plusieurs pays. On notera ici que la loi ne distingue pas entre règles d’évaluation des immeubles situés en Tunisie et ceux situés à l'étranger. Si à l’étranger, les règles d’évaluation communément utilisées diffèrent de celles utilisées en Tunisie, on ne nous dit pas si les biens étrangers sont évalués dans les mêmes conditions que les biens situés en Tunisie. Étant souligné au demeurant que la LF 2023 a introduit la possibilité pour l'administration fiscale de faire appel aux experts étrangers. En plus et avant même l’introduction de cette mesure, l’on sait que l’administration fiscale peut avoir recours aux administrations fiscales étrangères en vue d’échanger des renseignements, et ce, conformément aux conventions de non double imposition et d’assistance administrative.
B — Règles d’évaluation des parts des sociétés civiles immobilières
Comme nous l’indiquions, la LF 2023 s’est contentée d’inclure les parts des sociétés civiles immobilières dans l’assiette de l’IFI, sans indiquer les règles d’évaluation y afférentes. D’aucuns diront qu’il convient tout simplement de retenir les mêmes règles d’évaluation à la valeur vénale.
Néanmoins, quand on y regarde de près, on s’aperçoit que les choses sont plus compliquées que cela puisse paraître, car cette évaluation soulève — avec le caractère elliptique de l’article 23 de la LF 2023 — une série interminable de questions :
Dès l’abord, l’évaluation des parts des sociétés civiles immobilières (incluses dans l’assiette de l’IFI) requiert inévitablement l’évaluation de la société civile immobilière. En principe, il convient d’évaluer la société civile selon la méthode de l’actif net comptable corrigé (valeur de l'actif actualisée compte tenu des plus ou moins-values immobilières, diminuée du passif et divisée par le nombre de titres). Pour autant, nous ne sommes pas sûrs que l’administration accepte cette approche et qu’elle accepte la compensation entre plus et moins-values pour la détermination de l’actif net corrigé. Nous ne savons pas non plus si l’administration serait encline à admettre d’autres méthodes d’évaluation, car il est d’usage que la valeur de l’actif net corrigé soit combinée avec d’autres valeurs. Quelle que soit la méthode d’évaluation, l’exercice suppose évidemment la détermination de la valeur vénale des biens immobiliers et la soustraction des dettes sociales. Comme l’IFI est exigible au 1er janvier de chaque année, cette évaluation doit reposer sur les états financiers arrêtés au 31 décembre de l’année précédant celle de l’imposition — ce qui au passage posera la question de savoir s’il convient d’arrêter des états financiers intermédiaires pour les sociétés dont la date de clôture des comptes ne coïncide pas avec l’année civile —.
Ensuite, la loi n’a pas limité l’imposition des parts des sociétés civiles immobilières à la seule fraction de leur valeur représentative de biens immobiliers. Doit-on imposer la valeur des parts telle que dégagée par l’actif net corrigé de la société civile ? Ou bien doit-on déterminer la valeur vénale des titres puis leur appliquer un ratio qui correspond à la proportion des immeubles dans l’actif ? Dans la première hypothèse qui nous paraît improbable, l’IFI serait dû sur la valeur des parts si la société civile immobilière ne détient pas des immeubles, mais détient plutôt des liquidités ou des créances (ex. liquidités ou créances consécutives à la cession des actifs immobiliers inscrits au bilan de la société civile) ?
(§2) La déduction des dettes
Le 4e paragraphe de l’article 23 de la LF 2023 considère que les dettes contractées par le redevable peuvent être déduites de l'actif imposable lorsqu'elles existent au 1er janvier de l'année d'imposition et qu'elles grèvent les immeubles au sens du code des droits réels (بعد طرح الديون المحمّلة على العقارات المنصوص عليها بأحكام مجلة الحقوق العينية) excepté les garanties réelles au profit des sociétés.
Ainsi, seules les dettes afférentes à des actifs imposables peuvent être déduites et à la double condition qu'elles grèvent les immeubles au sens du code des droits réels et qu’elles ne se rapportent pas aux garanties réelles au profit des sociétés.
En plus, en liant les dettes à l’actif imposable, on en conclut aussi que les dettes afférentes aux actifs exonérés ne sont pas déductibles (ex. les dettes contractées se rapportant à la résidence principale et les dettes contractées se rapportant à des actifs professionnels exonérés).
Une première interrogation concerne la référence au code des droits réels. Comme nous le disions, la LF 2023 subordonne la déduction des dettes à la condition qu’elles grèvent les immeubles au sens du code des droits réels. En principe, la LF 2023 se réfère aux causes de préférence visées à l’article 193 du code des droits réels, qui prévoit que « Les causes légitimes de préférence sont les privilèges, le nantissement et le droit de rétention ». Mais à ce moment, est-il possible de déduire des dettes qui ne sont pas assorties de préférence ? Par exemple, est-ce qu’une dette non hypothécaire est déductible de l’assiette de l’IFI ?
Abstraction faite de la réponse à cette question fondamentale qui peut restreindre significativement le champ de déduction des dettes de l’assiette de l’IFI, l’analyse du 4e paragraphe de l’article 23 de la LF 2023 laisse émerger une pléthore de questionnements.
Partant du fait qu’aucun plafond de déduction des dettes n’est prévu — ce qui au passage entraine la défiscalisation des biens intégralement financés par la dette —, on peut nous interroger sur le cas particulier des dettes excédant la valeur de l’actif et sur la possibilité d’imputer le surplus de dettes sur le reste de l’actif imposable ?
En outre, suivant une lecture stricte du 4e paragraphe de l’article 23 de la LF 2023 — voulant que seules les garanties octroyées au profit des sociétés soient exclues des passifs déductibles —, peut-on déduire les dettes correspondant aux garanties octroyées aux personnes physiques (ex. cautionnement d’une dette contractée par un membre de la famille) et autres personnes morales n’ayant pas la qualité de sociétés (ex. Groupement d’intérêt économique, association, etc.) ?
Bien plus, comme aucune précision n’est donnée au sujet de la nature des passifs déductibles — la loi se limitant en effet à spécifier les dettes grevant les immeubles au sens du code des droits réels —, la déduction des dettes contractées auprès des membres de la famille, ou encore des dettes contractées auprès de sociétés affiliées au contribuable serait-elle possible ?
De même, peut-on déduire les intérêts associés aux dettes contractées par le redevable, sachant qu’une réponse négative — c’est-à-dire si la déduction couvre le principal des dettes uniquement —, une distorsion pourrait être créée entre financement classique et financement islamique. En même temps, l’on peut s’oser à conjecturer que les redevables à l’IFI soient amenés à privilégier les emprunts remboursables in fine, car ils permettront — sauf interprétation administrative contraire — la déduction annuelle du montant de la dette contractée jusqu’à l’arrivée de l’échéance finale de remboursement.
Et puisque la LF 2023 ne traite pas des règles régissant le démembrement de la propriété, quelles sont les règles de déduction des dettes contractées servant à financer une dépense affectée au bien démembré ?
Maintes interrogations concernent aussi les passifs afférents aux parts des sociétés civiles immobilières. Elles sont peut-être plus amplifiées, car le texte fiscal — avec une frugalité déconcertante — s’est limité à inclure lesdites parts dans l’assiette de l’IFI et sans spécifier les modalités de déduction des dettes y afférentes : Est-ce que les conditions de déduction des dettes sont transposables aux sociétés civiles immobilières (dettes sens du code des droits réels excepté les garanties réelles au profit des sociétés), ce qui impliquerait dans l’affirmative une analyse circonstanciée des passifs de la société civile pour identifier les dettes susceptibles d’être prises en compte pour le calcul de la valeur des parts ? Est-ce qu’une déduction peut s’envisager quand l’associé contracte une dette pour financer l’acquisition de ses parts dans une société civile immobilière ? Etc.
Enfin, l’on constate que la loi refuse la déduction des dépenses engagées en vue d’acquérir, réparer, entretenir, agrandir, améliorer, reconstruire, le patrimoine immobilier. Au grand désarroi du redevable de l’IFI — surtout quand il adhère à une logique de transparence et de respect volontaire des obligations fiscales —, les impôts grevant l’acquisition (droits d’enregistrement, TVA), les impôts locaux (TIB, TNB) et l’IRPP afférent aux revenus fonciers n’ont pas été cités parmi les dépenses ouvrant droit à déduction de l’assiette imposable à l’IFI.
(§3) Le taux de l’IFI
Le 4e paragraphe de l’article 23 de la LF 2023 a fixé le taux de l’IFI à 0,5%. Ce taux s’applique au patrimoine net imposable (Actifs imposables — Dettes déductibles).
Force est de constater que l’IFI n’est pas indexé aux revenus. Il n’est pas difficile d’imaginer des situations où l’IFI frapperait iniquement des personnes ne réalisant aucun revenu (ex. étudiant héritant un terrain dont la valeur excède 3 MDT) et même des personnes physiques dont le revenu global soumis à l’IRPP est déficitaire.
La méthodologie de calcul de l’IFI
L’on se doit nous interroger sur la méthodologie que le redevable de l’IFI doit adopter pour calculer l’IFI. Plusieurs approches — conduisant pourtant au même résultat — nous semblent possibles :
1) Actif Net imposable= Valeur de tous les actifs (immeubles et parts) — Valeur des actifs exonérés (habitation principale et immeubles à destination professionnelle) — Dettes déductibles
2) Actif Net imposable = Valeur des actifs imposables (immeubles et parts) — dettes déductibles
3) Actif Net imposable = Valeur des actifs imposables (immeubles et parts) nette des dettes déductibles
Avec la première approche, le contribuable entre dans le champ d’application de l’IFI et sera tenu de déposer une déclaration de l’IFI dès que sa fortune immobilière brute (qui inclut tous ses immeubles et parts y compris ceux de ses enfants mineurs sous sa tutelle) est supérieure ou égale à 3 MDT. Dans la deuxième approche, le calcul de l’actif net se fait hors déclaration de l’IFI et ladite déclaration se limite à inclure les seuls actifs imposables et ne fait pas apparaître les actifs défiscalisés. Dans la troisième approche, la déclaration de l’IFI inclut les valeurs nettes des seuls actifs imposables, c’est-à-dire déduction faite des passifs grevant les immeubles.
Pour dépeindre les enjeux liés à ces approches, prenons l’exemple d’une personne possédant une maison d’habitation dont la valeur vénale équivaut à 4 MDT et un terrain dont la valeur est égale à 5 MDT et qui a contracté un emprunt de 3 MDT pour financer le terrain :